Le vent avait changé.Dans les hauteurs du territoire, là où les pins se dressaient serrés comme des soldats, une odeur inconnue s’infiltrait. Musc, fer, cendre. Et la peur, sourde, animale. Le genre de peur que seuls les lycans pouvaient sentir vibrer dans leur chair. L’instinct, profondément enfoui, se réveillait.Thorne l’avait senti le premier.Cela faisait plusieurs nuits qu’il ne dormait plus, quittant silencieusement leur couche avant l’aube. Il rôdait en silence sous sa forme de loup, humant le vent, observant les limites du territoire. Et chaque matin, Isalys le retrouvait dans la salle du conseil, les traits tirés, le regard sombre. Mais dès qu’elle entrait, il se redressait. Son Alpha retrouvait sa colonne droite, et la chaleur dans ses yeux revenait — parce qu’elle était là.Ils se comprenaient sans mots. Chaque geste entre eux était chargé de cette histoire que seuls eux deux pouvaient porter. L’amour d’Ashara, les cicatrices de Raven, les promesses d’Isalys. Thorne avait
Le vent s’était levé sur la plaine , charriant avec lui l’odeur âcre du sang et des cendres. La nouvelle de la mort de Kaelen, héritier des Ombres-Grises, s’était propagée à une vitesse fulgurante, aussi vive qu’un hurlement de guerre dans la nuit. La meute de Thorne n’avait pas eu le temps de panser ses plaies. Déjà, les grondements sourds de la guerre résonnaient dans les forêts voisines.Lyra, encore vêtue de son manteau nuptial souillé, refusait de parler. Assise près du feu sacré, elle fixait la flamme sans ciller. Ses yeux, d’ordinaire d’un bleu limpide, s’étaient voilés d’une brume intérieure — une vision lointaine dont elle seule portait le poids. Elle avait rêvé de cette mort. Mais dans son rêve, c’était elle qui tombait, pas lui.— « C’était lui ou moi, » finit-elle par dire d’une voix rauque. « Le poison n’a pas été déplacé par hasard. Quelqu’un a voulu briser l’alliance. »Thorne, debout au centre du cercle des anciens, serrait les mâchoires. Son instinct hurlait. Le pacte
Le corps du jeune loup gisait au centre du cercle sacré, les yeux grands ouverts, figés dans un éclat de surprise. Sa coupe renversée répandait le reste du vin noir sur les pierres, teintant la terre d’un rouge épais et tragique. L’air était saturé du parfum des herbes brûlées, des fleurs fanées, du sang.Le silence qui suivit sa mort fut plus terrifiant encore que le chaos qui allait s’en suivre.Les loups de la meute du Nord, venus comme alliés, se dressèrent, leurs regards accusateurs braqués sur la meute de Thorne. Ils grognaient déjà, les poils hérissés, prêts à bondir. L’un d’eux, grand et voûté, pointa une griffe vers Lyra.— Elle l’a tué. Cette sorcière savait.Varg s’interposa, les yeux luisants d’or.— Elle est innocente. Le poison ne venait pas d’elle.— Alors de qui ?! hurla un autre.Isalys sentit les battements de son cœur résonner dans ses tempes. La cérémonie, censée unir les meutes, venait de se transformer en piège. Mais pas celui que tout le monde imaginait. Ce n’ét
La neige était tombée dans la nuit. Une fine couche blanche recouvrait la forêt, étouffant les bruits du monde comme un secret chuchoté à l’oreille des anciens. Les hurlements des loups, cette nuit-là, avaient été différents. Lents. Précis. Comme une incantation.Lyra s’était levée avant l’aube, sans un mot. Ses yeux, encore voilés de sommeil, fixaient un point invisible dans l’obscurité. Elle avait quitté le lit sans réveiller Nyra, sa sœur jumelle, et était sortie pieds nus dans le froid. Elle suivait un appel que personne d’autre n’entendait.Ce n’était pas la première fois.Elle marcha longtemps, frôlant les arbres familiers, glissant entre les branches comme une ombre. Lorsqu’elle atteignit enfin la clairière de la Lune — un cercle ancien de pierres levées, abandonné depuis des générations — elle s’arrêta.— Tu es revenue, dit une voix.Nyra sortit de l’ombre, le souffle visible dans l’air glacé. Elle n’était jamais loin.— Tu as rêvé, encore ? demanda-t-elle doucement.Lyra hoch
L’hiver n’était pas encore arrivé, mais un froid étrange planait sur les terres de la meute de Thorne. Une tension sourde, presque animale, se propageait dans l’air, comme un frisson glissant sous la peau. Les hurlements des loups se faisaient plus longs, plus sombres. Les anciens le sentaient, les enfants aussi : quelque chose approchait.Dans la grande clairière où se réunissaient les siens, Thorne avait convoqué un conseil exceptionnel. Le cercle sacré était au complet. Isalys, debout à ses côtés, le regard droit et concentré, observait les visages fermés de leurs plus fidèles alliés. La Lune, presque pleine, perçait à travers les cimes, caressant les épaules tendues des loups réunis.Un éclaireur s’avança, capuchon dégoulinant de boue et de givre. Il s’agenouilla avant de parler.— Nous avons vu des feux, au nord du fleuve. Des meutes étrangères s’y rassemblent. Des symboles de guerre sont tracés dans la neige. Et il y a des chants… des anciens rituels.Un murmure s’éleva dans la
Les années s’étaient écoulées comme un murmure dans les bois, à la fois paisibles et remuantes. Varg avait grandi, entouré de l’amour de ses parents et de la loyauté d’une meute enfin apaisée. Mais un matin d’hiver, tandis que le givre mordait les fenêtres de la maison de l’alpha, deux cris perçaient l’air gelé, éclatant comme deux éclats de Lune. Les jumelles étaient nées.Nyra et Lyra.Leurs prénoms s’étaient imposés à Isalys comme un souffle venu d’un autre monde, une vibration ancienne — la première signifiant ombre lumineuse, la seconde chant des astres. Contrairement à la naissance éprouvante de Varg, celle des jumelles s’était déroulée dans une étrange douceur, presque comme si la nature elle-même s’inclinait devant leur venue.À peine sorties du ventre d’Isalys, Nyra avait ouvert les yeux. Une chose rare chez les nouveau-nés lycans. Ses iris, d’un argent profond, avaient accroché la lumière des chandelles, comme un éclat de Lune fixe. Lyra, elle, avait poussé un cri si harmoni