Chapitre 1
L’avion perçait la couche grise qui couvrait Rome.Par le hublot, j’apercevais la ville étalée comme une cicatrice, la même qu’il y a dix ans.
Rien n’avait changé. Ni les toits dorés, ni les ruelles sombres, ni cette impression d’éternité arrogante.
Et pourtant, pour moi, Rome n’était plus qu’un cimetière. Un cimetière où chaque pierre me rappelait ce que j’avais perdu.
— Bienvenue à Rome, signore De Luca, lança l’hôtesse avec ce sourire vide qu’on réserve aux fantômes.
Je répondis d’un simple signe de tête. Ma voix se serait brisée si j’avais essayé de parler. Dix ans. Dix ans d’exil, de silence, de colère étouffée. Dix ans à fuir le nom que je portais. Mais un fils ne fuit pas éternellement son héritage. Un jour ou l’autre, il revient. Pour comprendre. Pour juger. Pour punir.
L’air humide de Rome me frappa dès que je mis le pied dehors.
L’odeur du bitume mouillé, du café, du diesel… tout me heurta comme un souvenir oublié.
Et puis, je le vis. Matteo. Fidèle parmi les ombres.
Même carrure, même regard dur.
Mais le temps l’avait fatigué. Comme si la ville l’avait rongé de l’intérieur. Il me fixait, hésitant, avant de souffler :
— Leo… je n’étais pas sûr que tu viendrais.
— Je n’étais pas sûr non plus.
Ma voix sonnait étrangère à mes propres oreilles.
L’américain avait gommé l’accent romain, poli mes mots. Mais pas ce qu’il y avait dessous : la rancune.
Je jetai ma valise à l’arrière de la voiture, sans un mot de plus.
Le claquement de la portière résonna dans le silence.
— Tout le monde te croit mort ou en cavale, ajouta-t-il en démarrant.
— Qu’ils continuent à le croire. Les morts font moins peur que les revenants.
Il ne répondit pas.
Le moteur ronronnait doucement tandis que la pluie commençait à tomber sur le pare-brise.
Je regardais la ville défiler derrière la vitre : les ruelles, les façades décrépites, les églises où personne ne prie plus.
Chaque coin de rue portait une trace de mon enfance.
Des rires, des cris, du sang.
Surtout du sang.
— Ton père… commença Matteo après un long silence. Il n’était plus le même ces dernières années.
Je le coupai net.
— Épargne-moi les condoléances, Matteo.
Il insista, les doigts crispés sur le volant.
— Ce n’est pas ça. Je crois que sa mort n’est pas ce qu’on raconte.
— Je le sais.
Mon reflet dans la vitre me renvoya un regard que je ne reconnus pas.
Des yeux froids, sans éclat. Des yeux d’homme qui n’attend plus rien.
Je me souvenais du dernier appel de mon père. Sa voix tremblante, éteinte. Il voulait me parler. Me prévenir, peut-être. Je n’ai pas eu le temps de revenir.
Trois jours plus tard, il était mort.
Et tout ce qu’il restait de lui, c’était un empire en ruine.
Quand nous arrivâmes à la villa, le portail s’ouvrit lentement, dans un grincement lugubre.
Les gardes détournèrent le regard.
Même eux avaient oublié ce que signifiait mon nom.
Je descendis sans attendre, la pluie s’abattant sur mon manteau.
L’air sentait le jasmin et la poussière l’odeur de ma jeunesse et de ma déchéance.
À l’intérieur, tout était identique.
Les tableaux, les tapis, le marbre… sauf que tout semblait mort.
Le silence pesait, et les murmures dans le grand salon me donnaient la nausée.
Des hommes politiques, des financiers, des prêtres. Tous vêtus de noir, tous la même expression fausse.
Et au milieu d’eux, Don Romano.
Son sourire était une gifle.
— Leonardo De Luca… quelle surprise de te revoir parmi nous, dit-il avec une douceur venimeuse.
— La mort attire toujours les vautours, répondis-je, sans le regarder.
Un léger murmure parcourut la salle.
Je me tenais debout devant le cercueil comme devant une scène déjà écrite, les mains posées sur le bois froid, le cuir du costume froissé par la pluie.
Je ne pleurai pas. Je ne pouvais pas. Les De Luca ne pleurent pas en public. Mais à cet instant précis, j’aurais voulu hurler.
Autour de moi, la salle respirait à peine un souffle retenu, ponctué par le raclement discret d’une chaise, le cliquetis d’un bijou, le froissement d’un mouchoir. Les visages étaient autant de masques : certains peinaient à faire croire à la douleur, d’autres souriaient en silence, calculant déjà.
Le portrait de mon père, posé à l’avant, le montrait jeune, dominateur, cet homme qui avait fait trembler et respecter Rome d’une seule phrase. Maintenant, la peau était lisse, la bouche close, et je comprenais que c’était la dernière fois que je le verrais ainsi figé entre légende et mensonge.
Don Romano était là, à l’écart, impeccable. Son regard croisait le mien juste assez longtemps pour que je sache qu’il savait. Ou qu’il croyait savoir. Les prêtres psalmodiaient, des politiciens hochaient la tête avec un sérieux de théâtre, des cousins se recueillaient avec cette pudeur qui en disait long.
Matteo, discret dans l’ombre, ne quittait pas mon profil des yeux. Je sentais sa tension comme on ressent une lame invisible.
Je n’étais pas venu pour les rites. Les mots des prêtres glissaient sur moi comme l’eau sur l’huile. Alors je m’avançai. Le murmure monta d’un cran : « Il est revenu », « C’est lui », « Qu’est-ce qu’il veut ? » Quelques portables glissèrent sous les nappes, des regards se figèrent.
Je ne pris pas le pupitre. Je restai là, les mains jointes sur le bois. Et je parlai pas pour consoler, pas pour rendre hommage. Je parlai pour dire l’évidence voilée que personne n’osait prononcer.
« Mon père n’est pas mort d’un simple malheur, ni d’un accident, » dis-je en laissant chaque mot tomber comme un caillou dans un bassin immobile. « Ceux qui racontent autre chose se mentent à eux-mêmes. Et ils mentent aux autres. »
Un frisson parcourut la salle. Quelqu’un toussa, mal à l’aise. Don Romano inclina à peine la tête, amuseur contenu. Quelques visages pâlirent ; d’autres se durcirent. J’entendais les cellules se verrouiller, les alliances se raccommoder en silence.
« Je suis revenu parce que je ne veux plus de mensonges, » continuai-je. Ma voix n’était pas haute elle n’avait pas besoin de l’être pour se faire entendre.
« Je suis revenu pour déterrer la vérité. Et je ne m’arrêterai pas avant d’avoir trouvé ceux qui ont posé la main sur lui la dernière nuit. Ceux qui ont décidé que mon nom devrait être orphelin. »
On chuchota. Un des cousins, trop proche du pouvoir, se leva d’un bond comme s’il avait reçu une gifle.
« Leonardo… ce n’est pas l’endroit, » murmura-t-il, plus pour lui que pour moi. Mais les mots n’avaient plus d’importance ; je les avais laissés sortir.
Je vis dans la foule des visages se figer, certains détourner le regard ceux qui avaient quelque chose à cacher. D’autres, au contraire, restèrent immobiles, défiants : vous croyez que je ne vois rien, pensaient leurs yeux. Parmi eux, un lieutenant de mon père, pâle, qui sut qu’il venait d’être mis sur la sellette. Il baissa la tête. Un silence lourd tomba.
« Si vous avez orchestré sa chute, » dis-je en plantant mes yeux dans la foule, « préparez-vous à rendre des comptes. Rome connaît le prix du sang quand on le lui montre. Et je n’ai pas l’intention de faire preuve de clémence. »
Le murmure monta en crescendo, des mains se serrèrent, des sourires s’effacèrent. Don Romano se rapprocha, alors, lentement, comme un fauve qui jauge sa proie, et me dit assez bas pour que seuls ceux entre nous puissent entendre :
« Les funérailles ne sont pas le tribunal, Leonardo. Respecte le rituel. Honore ton père. »
Je le regardai. Son parfum, son arrogance, tout me rappelait les batailles anciennes. Je penchai la tête, faussement conciliant.
« J’honore mon père en disant la vérité, » murmurai-je. « Le reste, je le laisserai aux vivants. »
Je sentis la tension lorgner sur ma nuque, les alliances recalculer. C’était parfait. C’était exactement ce que je voulais : provoquer une onde, voir qui vacille.
Je fis une pause, les mots se retirant comme une lame. Ma gorge me brûlait d’une tristesse que je n’admettais qu’à demi. Il y avait, sous la rage, une douleur âpre et sourde la perte d’un homme qui, à sa manière, m’avait façonné et trahi.
Puis, sans plus attendre, je posai ma main sur le cercueil. Un dernier regard, non pas de deuil mais d’inventaire : j’enregistrais les visages, les réactions, les respirations. Je sentis le bois froid contre ma paume, et pendant un instant bref comme un éclair je crus voir mon père se redresser et sourire. Le son était irréel.
« Je ne resterai pas ici pour des sourires feints. » Je laissai ma voix s’éteindre comme on coupe un fil.
« Ceux qui ont vendu notre sang, cachez-vous. Vous n’aurez nulle part où fuir. »
Sans attendre que la tempête que j’avais déclenchée prenne toute son ampleur, je me tournai et descendis l’allée. Les murmures éclatèrent derrière moi, des phrases hachées, des supputations.
Des mains se tendirent peut-être pour m’arrêter je ne m’en souviens pas. Je traversai la foule comme on traverse un champ de mines, chaque pas calculé, chaque respiration contrôlée.
À l’entrée, la pluie s’était transformée en une fine grêle qui frappait le seuil de la villa.
Matteo était là, immobile, son visage fermé. Je ne fis que croiser son regard. Il comprit sans mot dire. Je ne pleurerais pas dans ce registre de faux déchirements. Ma vengeance se forgerait autrement : dans la patience et dans le feu.
Je sortis, laissant derrière moi la chaleur artificielle de la salle et ses faux alliés. La ville m’attendait, humide et indifférente. J’ôtai ma veste, laissa la pluie la laver, comme si l’eau pouvait emporter un peu de ma colère.
Mais la promesse restait, lourde et nette au fond de ma poitrine : je trouverai qui a cassé mon monde. Et je leur ferai payer, jusqu’au dernier souffle.
Chapitre 7 LE POINT DE VUE D'ISABELLA Le déjeuner de famille aurait pu être un tableau d’élégance romaine : argenterie polie, soleil filtré par les rideaux de soie, vin blanc dans des verres gravés au blason des Romano.Mais pour moi, c’était surtout une mise en scène, un théâtre où je jouais un rôle que je n’avais jamais choisi.Je reposai ma fourchette avec un petit bruit sec, parfaitement calculé. Je savais déjà que le sujet viendrait mon père n’avait pas cette patience italienne que les journaux aiment tant à lui prêter.Et il vint.— Isabella, dit mon père, le regard posé sur moi comme sur une acquisition mal rangée, il est temps que nous parlions de ton futur.Je levai à peine les yeux, feignant l’ennui le plus distingué.— Mon futur ? Mon cher père, si c’est encore une question de mariage, je t’arrête tout de suite.Il plissa le front, signe qu’il était prêt à s’imposer, mais je poursuivis avant qu’il n’ouvre la bouche.— Cinq mois, Isabella. Cinq mois avant ton mariage avec
Chapitre 6 LE POINT DE VUE DE LÉO — Oh bébé, oh bébé, oh bébééééé.—Putain Je ne suis pas ton bébé, arrête .Ces gémissements m’envoient des ondes dans tout le corps, me motivant à aller plus fort. Elle bouge ses hanches sur ma langue et c’est là que je comprends directement que cette nana est une patate, une vraie pétasse, et moi j’adore les grandes pétasses.J’ai retiré mon doigt légèrement et j’ai vu ses lèvres s’affaisser puis j’ai une fois encore enfoncé la fraise. Cette fois je la pénétrais avec le bout de la fraise. Je ressors mon doigt et je la goûte. Il y avait le jus de sa chatte dessus et ça sentait terriblement bon. J’enfonce encore une fois la fraise pour ressortir un peu du jus de sa chatte et je lèche complètement tout le jus qui en ressort. Puis maintenant je lui tend le doigt qu'elle suce à son tour.Ensuite elle me supplie de la prendre sauvagement :— vas-y maintenant, prends-moi sauvagement.Je retire ma bite de mon caleçon et je la pose sur sa chatte comme un co
Chapitre 5 LE POINT DE VUE DE LÉONARDO Je rentre dans ma chambre comme on revient d’une guerre perdue : lourd, sale de pluie, les épaules encore tendues. La porte claque derrière moi avec ce bruit sec qui dit qu’il n’y aura pas de discussion. La chambre est celle que j’ai toujours eue trop grande pour un homme seul, trop petite pour le poids du silence qui l’habite. Je jette la veste sur une chaise, les gouttes trouent l’air autour de moi comme des petites questions sans réponse.Je m’avance vers la console où repose la bouteille. J’ai toujours gardé ce flacon pour les moments où le monde devient trop net : un whisky dur, sans fioritures. Je verse. Le liquide coule, ambré, et je soulève le verre. Deux gorgées, et la chaleur monte comme un mensonge confortable. Trois. Le métal du liquide ralentit les bords du monde.Puis quelque chose cède. C’est d’abord un souffle, puis un hoquet, puis des sanglots trop gros pour un homme qui s’est promis de ne jamais pleurer en public. Mes mains t
Chapitre 4LE POINT DE VUE DE LÉONARDO — Qui c’était, au juste ? demandai-je à Matteo, tandis qu’on s’éloignait du vitrage où elle venait de disparaître.Il souffla, comme si le nom qu’il allait prononcer pesait plus lourd qu’un sac de pierres.— Isabella Romano, répondit-il. La fille de Don Romano. L’ennemi — du moins celui qu’on dit être l’ennemi de ton père.— Ah, fis-je simplement. Je comprends maintenant.Il y eut un silence chargé. Puis, d’un ton qui voulait masquer toute agitation, j’ajoutai :— Très bien. Allons faire ce pourquoi nous sommes venus.Matteo hocha la tête, soulagé peut-être que j’évitais de m’enferrer dans autre chose. Nous suivîmes l’employé jusqu’à la salle VIP masculine un sanctuaire feutré où la lumière se pliait et où l’on pouvait croire, pendant un moment, que rien d’important ne se passait.Le massage fut un rituel mécanique et apaisant : mains expertes qui glissaient, pressions calculées qui dénouaient des nœuds que je n’avais pas su nommer depuis des an
Chapitre 3Les couloirs étaient silencieux, tapissés de bois sombre, éclairés par des lumières dorées qui semblaient flotter. On passait devant plusieurs portes closes, derrière lesquelles filtraient parfois un rire étouffé, un soupir, ou simplement le bruit léger de l’eau.— Il y a deux sections VIP, précisa l’homme en marchant. Une pour les femmes, une pour les hommes.Je hochai la tête sans répondre. Puis, au détour d’un couloir, mon regard fut happé.Derrière une large vitre dépoli, légèrement transparente, une salle s’offrait à moitié à la vue.Une femme était allongée sur une table, nue sous une serviette blanche. Ses hanches rondes épousaient la lumière, ses bras détendus pendaient de chaque côté, ses cheveux bruns glissant sur le rebord.Deux masseuses travaillaient lentement sur son dos, méthodiques, précises.Je m’arrêtai net.Matteo fit quelques pas avant de se retourner, me suivant du regard.Je ne dis rien. Je regardais simplement.Ce n’était pas de la curiosité vulgaire
Chapitre 2LE POINT DE VUE DE LÉO Je me tenais encore sous la pluie, la villa derrière nous s’éloignant comme une respiration qu’on retient trop longtemps, quand je me tournai vers Matteo.— Fais-moi découvrir un club, dis-je. J’ai besoin de changer d’air.Il me fixa, étonné, puis lassé, comme s’il devinait que je cherchais à noyer autre chose que la pluie.— Tu devrais rester, Leo. Tu devrais être là, à l’enterrement. C’est ton père.Je sentis la remarque comme un poids déplacé sur ma poitrine. Je l’admis tout haut, parce que Matteo avait ce droit de le dire et parce que, malgré tout, il avait souvent raison.— Je te respecte, Matteo. Tu as raison. Mais non. Je ne veux pas assister à ça. Je l’ai déjà vu.Il fronça les sourcils.— Comment ça, tu l’as déjà vu ?— Je l’ai déjà vu, répondis-je. Les rites, les poses, les consolations hypocrites… J’ai vécu ça toute ma vie. Aujourd’hui, je veux autre chose. Juste un endroit où on m’oublie pour une heure.Je marquai une pause, jaugeant sa r