Le soleil filtrait à travers les immenses baies vitrées du salon principal, dorant les meubles anciens et les tapis épais. Belvida, assise dans le coin lecture, faisait semblant de lire un roman qu'elle avait déjà parcouru deux fois. En réalité, elle observait. Elle écoutait. Elle attendait quelque chose qu'elle ne pouvait pas nommer.
Depuis quelques jours, une agitation étrange régnait dans la maison. Son père recevait d'étranges appels, sa mère semblait plus distante qu'à l'accoutumée, et les domestiques murmuraient dans les couloirs. Mais au fond, c'était surtout en elle que quelque chose avait changé. Une étincelle. Un frisson. Un souffle nouveau. C'était depuis ce jour où elle avait croisé le regard de Stéphane. Elle ne savait pas exactement ce qui l'avait frappée. Ce n'était ni sa tenue modeste, ni sa posture respectueuse. C'était dans ses yeux. Quelque chose de vrai. D'indompté. De profondément vivant. --- Ce matin-là, alors qu'elle sortait sur la terrasse arrière, elle l'aperçut, agenouillé près d'un massif de fleurs. Il remplaçait les jardiniers ce jour-là, dit-on. Mais il semblait tout aussi à l'aise avec une pelle qu'avec un regard silencieux. Elle hésita. Puis, comme portée par un instinct, s'approcha lentement. - Ces fleurs n'aiment pas trop le soleil, dit-elle doucement, en désignant les pivoines qu'il venait de planter. Stéphane releva les yeux, surpris de l'entendre lui adresser la parole. - Je sais, mademoiselle. Je les ai mises là juste le temps d'humidifier la terre. Je vais les déplacer à l'ombre dans un instant. Elle hocha la tête, un peu gênée. Mais intriguée aussi. - Vous avez l'air de savoir ce que vous faites. Vous êtes jardinier à la base ? Il sourit légèrement. - Pas exactement. Mais j'apprends vite. Et j'aime que les choses vivent autour de moi. Ce fut comme un coup. Une phrase simple. Mais qui portait quelque chose d'inattendu. De différent de tout ce qu'on lui disait d'habitude. Belvida s'assit sur le rebord de la fontaine, un geste presque inconscient. - Et vous vivez ici depuis longtemps ? demanda-t-elle, en jouant avec une feuille tombée. - Depuis quelques mois. Je suis... polyvalent. Elle comprit le sous-entendu. Un homme de l'ombre, utile mais invisible. Et pourtant, à cet instant, il n'avait jamais été aussi présent. - Je ne vous avais jamais vraiment remarqué, dit-elle. Il haussa les épaules. - C'est le but, non ? Elle le fixa. Il ne souriait pas comme les autres. Il ne cherchait pas à plaire. Il était. Et pour une fois, elle se sentait exister aussi. - Et vous ? demanda-t-il soudain. Vous aimez vraiment vivre ici ? Elle hésita. Personne ne lui avait jamais posé cette question. Et surtout pas en la regardant droit dans les yeux. - C'est... compliqué. - Parfois, les cages ont des coussins en soie, mais ça reste des cages, répondit-il simplement. Elle sentit un frisson lui parcourir l'échine. Pas de romantisme exagéré, pas de regard appuyé. Juste une vérité nue, comme un miroir tendu. Un domestique surgit au loin, les interrompant. Stéphane se releva, s'inclina légèrement. - Bonne journée, mademoiselle. Et il s'éloigna. Belvida resta là, immobile. Pour la première fois, son cœur battait un peu plus vite. Pas à cause du luxe, ni du devoir, ni des ambitions de ses parents. Mais à cause d'un homme qui avait osé lui parler sans masque. --- Ce soir-là, au dîner, elle ne parla presque pas. Son père lui décrivait les projets d'expansion de son groupe, sa mère commentait une future réception. Mais elle, elle revivait cette conversation sur la terrasse. Chaque mot, chaque regard. C'était la première fois qu'un simple échange faisait éclater les murs invisibles autour d'elle. Elle savait que quelque chose avait commencé. Elle ne savait pas encore quoi. Mais ce n'était pas rien. Ce n'était plus rien. Le manoir était silencieux. Belvida déambulait dans les couloirs, comme à la recherche d'air, ou d'un sens à tout cela. Les portraits de famille accrochés aux murs semblaient l'observer, témoins muets d'un monde qui l'étouffait. Alors qu'elle passait devant le petit salon, elle entendit des voix. Faibles. Lointaines. Une conversation entre ses parents, à demi couverte par les rideaux entrouverts. Elle allait s'éloigner quand elle entendit son nom. - ...Belvida n'est plus une enfant, Rodrigo, disait la voix feutrée de sa mère. - Justement, répliqua son père. C'est le moment où elle doit comprendre que la vie, ce n'est pas des rêveries ou des... discussions inutiles avec des employés. Belvida sentit son cœur se serrer. Il avait vu. Il avait deviné. - Tu crois que je n'ai pas remarqué ce garçon qui rôde autour ? poursuivit-il. Il est intelligent. Trop peut-être. Il faudra le surveiller. - Ce n'est qu'un échange, Rodrigo, souffla Blandine. Et puis... tu oublies vite d'où je viens, moi aussi. Il y eut un silence. Un long silence, lourd de sous-entendus. - Ce n'est pas la même chose, dit-il enfin, la voix plus dure. Toi, tu as su rentrer dans le rang. - J'ai dû abandonner qui j'étais, répondit-elle. Et tu sais ce que ça m'a coûté. Belvida s'écarta brusquement du mur. Le souffle court. Elle ne voulait pas en entendre plus. Pas maintenant. Mais déjà, quelque chose était en train de se fissurer en elle. Sa mère. Toujours si élégante, si froide, si distante. Elle avait aimé, elle aussi ? Et elle avait renoncé ? Elle remonta dans sa chambre sans faire de bruit, les mots de sa mère résonnant dans sa tête. « Tu oublies d'où je viens... J'ai dû abandonner qui j'étais. » Elle comprenait, sans tout saisir encore. Mai s une chose était sûre : ce que sa mère avait perdu, elle n'était pas prête à le sacrifier à son tour.Quelques semaines s’étaient écoulées dans la forteresse entourée de pins et protégée par les meilleurs dispositifs de sécurité, qui offrait une paix précieuse que Stéphane et Belvida n’avaient pas connue depuis longtemps.La vie y coulait lentement, rythmée par les balades matinales, les petits-déjeuners en terrasse, et les longues soirées passées à lire ou discuter au coin du feu. Belvida, dont le ventre s’était encore arrondi, rayonnait dans cette atmosphère apaisée. Stéphane, attentif et doux, se montrait plus présent que jamais. Il avait troqué les armes et les urgences contre les soins, les mots tendres, et les repas faits maison.Mais un matin, alors que le soleil se levait à peine sur la cime des arbres, un cri retentit depuis la chambre principale.—« Stéphane ! »Il bondit du lit, le cœur battant. Belvida, penchée contre le mur, respirait fort. Les contractions étaient revenues et cette fois, elles étaient régulières. Trop régu
Le soleil caressait doucement l’asphalte de l’aéroport privé où le jet les attendait, prêt à les emmener vers une nouvelle vie. Stéphane et Belvida avaient passé la nuit précédente à leur manoir, rangé ce qui devait l’être, confié le reste à des mains sûres, puis avaient fermé les portes sans se retourner. L’heure n’était plus aux regrets. C’était un nouveau départ.Rodrigo avait mis à leur disposition un jet privé, équipé de tout le confort possible, et surtout d’une destination bien précise : une somptueuse forteresse sécurisée dans les montagnes californiennes, construite depuis quelques mois dans la plus grande discrétion. Une retraite dorée, loin du tumulte, mais protégée par les plus hauts standards technologiques. C’était sa façon à lui de veiller sur sa fille à distance.Le vol s’annonçait long mais tranquille. Belvida, installée confortablement sur les sièges moelleux de l’appareil, ferma les yeux, laissant son époux gérer les derniers détails du plan
La soirée s’annonçait sereine, presque parfaite, alors que Stéphane et Belvida prenaient la route pour rendre visite à ses beaux-parents. Le trajet avait été calme, sans urgence, un moment rare où ils pouvaient simplement profiter de leur compagnie mutuelle après des mois de stress. Quand ils arrivèrent à la grande demeure de Rodrigo et Blandine, le contraste avec leur récente réalité frappait. Ici, tout semblait tranquille, intemporel, presque comme un havre de paix.Blandine les accueillit avec un sourire chaleureux, presque soulagée de les voir en sécurité après toute cette période d’incertitude. Elle prit Belvida sous son aile, l’emmenant dans une pièce tranquille de la maison pour discuter entre femmes. Pendant que les deux femmes partageaient un moment de complicité, parlant de tout et de rien, Stéphane et Rodrigo se dirigèrent vers le salon, où un verre de whisky les attendait, posé sur une petite table en bois sombre.Rodrigo, avec son caractère solide
Après des heures d’intense tension et de décisions critiques, Stéphane ferma doucement la porte de la salle de commandement derrière lui. L’atmosphère lourde de la guerre froide venait de céder place à un silence presque réconfortant dans les couloirs du QG.Il marcha d’un pas plus lent, presque prudent, comme s’il ne voulait pas troubler la paix retrouvée. Lorsqu’il poussa la porte de l’infirmerie, la lumière tamisée baignait la pièce d’une chaleur douce.Belvida était allongée sur le lit, adossée à un oreiller, un plaid léger couvrant son ventre arrondi. Ses yeux se levèrent aussitôt vers lui, remplis de soulagement.—« Tu es là… » souffla-t-elle, un sourire apaisé au coin des lèvres.—« Je suis là, mon amour. Et cette fois, pour de bon. »Il s’approcha sans dire un mot de plus, prit doucement sa main entre les siennes, puis s’agenouilla à son chevet. Ils restèrent ainsi un moment, sans avoir besoin de parler. Le sile
La grande horloge murale de la salle de commandement affichait 18 :00 précises. Le silence pesant qui avait régné pendant les minutes précédentes fut soudain brisé par une voix ferme et déterminée :—« C’est l’heure. Déploiement immédiat. Opération Zeta-47-B, lancement autorisé. »À bord de l’unité tactique Alpha 1, Stéphane referma sa combinaison pare-balles, l’œil déterminé. Il hocha la tête, comme s’il s’y attendait. Autour de lui, les membres de l’unité finalisaient les derniers préparatifs. L’hélicoptère vrombissait au-dessus du périmètre de la zone Zeta-47-B, balayée par les projecteurs thermiques et les drones de surveillance.Le site Zeta-47-B, caché dans une ancienne base logistique abandonnée à la lisière nord de la forêt de Mavou-Tsinga, venait d’être repéré grâce aux indications précises de Kaël. Protégé par un système de sécurité autonome et partiellement souterrain, l’endroit avait été bâti pour dissimuler une technologie sensible à l
Salle de commandement – QG de l’unité spéciale La porte blindée s’ouvrit en coulissant lentement. Stéphane entra, le visage tendu mais maîtrisé. Ses traits portaient encore les marques de l’émotion qu’il venait de vivre auprès de Belvida. Mais dans ses yeux, une lueur s’était rallumée : celle du soldat, du stratège, de l’homme de terrain. Marcelo l’accueillit d’un bref signe de tête. — « Comment va-t-elle ? » demanda-t-il, tout en désignant du menton l’écran central. — « Stable. Les contractions sont sous contrôle. Elle est entre de bonnes mains. » répondit Stéphane en s’approchant de la table tactique. « Maintenant Zeta-47-B. » Le silence dans la pièce était chargé de tension. Toutes les unités étaient en position d’alerte. Sur les écrans géants, des vues satellitaires montraient une zone montagneuse isolée, dense en végétation et protégée par une ancienne base souterraine désaffectée depuis des an