Ophélie
Léa et moi sortons enfin de l’appartement, le parfum des fleurs fraîches et l’air encore frais du matin nous enveloppant doucement. Le taxi nous attend au coin de la rue, ses vitres légèrement embuées, un cocon qui semble nous isoler du monde. Je m’assois sur la banquette arrière, les mains posées sur mon ventre, encore tremblante de l’aperçu furtif de cet homme, de ce regard qui m’a traversée comme une flèche.
— Prends une grande inspiration, me souffle Léa en m’effleurant l’épaule. On va respirer un peu, juste toi et moi.
Je ferme les yeux, essayant de calmer le tumulte de mon cœur, de laisser la surprise et la peur se mêler à l’excitation et à ce vertige que je connais si bien. Pourtant, je n’y arrive pas. Chaque feulement de moteur, chaque vibration de la route me ramène à lui, à cette nuit, à ce souffle brûlant.
Le taxi s’arrête devant l’entrée de la demeure où se tient le mariage. La façade est somptueuse, couverte de fleurs, de rubans et de dorures, et déjà les invités affluent, vêtus de robes chatoyantes et de costumes impeccables. La scène est un tableau vivant, éclatant de luxe et d’élégance, et je me sens à la fois minuscule et exposée.
Nous descendons et, en franchissant l’allée menant aux portes de la salle principale, je remarque une agitation particulière près de l’entrée. Des serveurs passent avec des plateaux de champagne, des rires cristallins fusent, et au centre de tout cela, un homme attire tous les regards, sa posture, son élégance, sa prestance… et soudain, mon souffle se bloque.
C’est lui. L’homme de cette nuit. Le même visage brûlant dans ma mémoire, les yeux sombres et perçants, le port droit et impeccable. Et au bout de son bras, une robe blanche immaculée, délicate, ajustée avec une perfection presque irréelle. Mon esprit refuse d’y croire, mon cœur s’emballe : il est le marié. Le marié.
Je sens Léa à côté de moi, son regard devinant mon trouble. Elle chuchote, presque inquiète :
— Ophélie ? me murmure Léa derrière moi, percevant mon trouble. Qu’est-ce qui se passe ?
— C’est… c’est le père de mon enfant, dis-je enfin, ma voix presque inaudible, tremblante et choquée.
Léa, étonnée, me regarde avec de grands yeux, mais comprend immédiatement. Elle serre mon bras, silencieuse, comme pour me soutenir face à ce choc inattendu.
— Tu vois ce que je vois ?
Je hoche la tête, incapable de prononcer un mot, mes mains se crispant sur mon sac. Mon ventre s’arrondit sous mes doigts, et je sens que chaque battement de mon cœur se répercute dans cette partie de moi qu’il a engendrée. La confirmation, l’évidence que cet homme, ce visage que je croyais perdu dans le passé, est maintenant celui qui unit une autre vie, un autre destin, mais qui reste étrangement lié au mien.
Puis nos regards se croisent. Le temps semble s’arrêter. Il me dévisage, mais son expression est étrange, à la fois étonnée et contenue, et ses yeux s’attardent sur mon ventre, sur cette rondeur qui trahit ce que je suis devenue. Il ne parle pas, mais je lis dans son regard une question muette, une interrogation silencieuse qui me traverse.
Nous avançons lentement dans la cour, essayant de paraître naturelles, tandis que je vole des regards furtifs vers lui. Il parle, rit, ajuste son nœud papillon avec une précision presque militaire, et ses invités l’entourent, le félicitant et l’admirant. Tout chez lui est contrôlé, élégant, parfait… et moi, je me rappelle la sauvagerie de cette nuit, la passion brute, l’empreinte de son corps sur le mien, et je frissonne.
— Ophélie… murmure Léa, son souffle chaud sur mon oreille. Tu veux qu’on trouve un endroit pour s’asseoir un peu avant que tout commence ?
Je hoche la tête, encore incapable de parler. Mon esprit est un tourbillon de souvenirs et de surprises. La vérité est là, incontestable : l’homme qui m’a enflammée il y a sept mois est le marié. Le mariage, la robe blanche, le sourire éclatant, tout cela ne fait aucun doute. Et pourtant, mon ventre arrondi, la vie qui grandit en moi, ajoute une tension silencieuse, une question muette entre nous, un mystère que personne d’autre ne connaît.
Nous trouvons finalement une table dans un coin plus discret de la grande salle, où je peux respirer un peu, observer et analyser. Chaque mouvement du marié me fait vaciller, et je me surprends à scruter son visage, à chercher des indices, une reconnaissance, un frisson d’inquiétude ou d’étonnement dans ses yeux. Mais il reste impeccable, souriant, élégant, incarnant la perfection d’un mariage fastueux, entouré des riches et influents de la ville.
Je sens Léa presser doucement ma main, me ramenant un peu dans le présent :
— Reste calme, Ophélie… observe, respire. Rien ne presse, tu es juste ici, parmi nous , mais je pense qu'il doit savoir que tu es enceinte de lui avant le mariage .
Et pourtant, rien ne sera plus jamais comme avant. La tempête est arrivée avec lui, silencieuse, contenue, mais prête à tout emporter. Ce mariage fastueux, ces éclats de luxe et de rire, sont désormais le décor de notre rencontre, et je sais que la nuit que nous avons partagée, ce feu qui brûle encore en moi, est loin d’être éteint.
Je me demande si je dois le lui dire ? Ou me taire ?
ÉlodieLe silence retombe progressivement dans la salle, comme si le monde retenait encore son souffle, suspendu entre le scandale et l’attente. Mes genoux tremblent légèrement, mes mains crispées sur mon voile, mais un étrange soulagement commence à poindre : Marc n’a pas encore fui, il est là, son regard me traverse, chargé de questions, de confusion, mais aussi d’une lueur qui n’est pas complètement fermée.Chaque respiration devient précieuse, chaque battement de mon cœur résonne comme un écho de ce chaos qui vient de passer. Mes doigts se posent instinctivement sur mon ventre, comme pour chercher un ancrage, un point de stabilité dans ce tumulte intérieur. La vie que je porte me semble soudain plus réelle, plus urgente, et ce petit être à l’intérieur de moi amplifie mes émotions, transformant chaque frisson de peur en un vertige de désir et d’espoir.— Marc… s’il te plaît… murmuré-je, ma voix fragile mais tremblante de supplication, laisse-nous continuer… laisse-moi…Mes mots flo
LÉAJe sens que l’air de la maison devient plus lourd. Ou peut-être est-ce mon cœur qui se serre. Mes pensées s’enchevêtrent et je n’arrive plus à rester immobile. Je me lève un peu maladroitement, les mains tremblantes, et je dis doucement :— Grand-mère… je crois que je vais rentrer chez moi. Il se fait tard, et je ne voudrais pas abuser.Son regard se tourne vers moi, à la fois surpris et indulgent. Comme si elle lisait en moi le besoin de fuir et la fatigue qui me plie. Puis elle hoche la tête lentement, avec cette majesté tranquille qui la caractérise, comme si rien ne pouvait la prendre de court.— Bien sûr ma chère, dit-elle. Je vais demander à un chauffeur de te raccompagner. Tu n’as rien à craindre. Et tu sais que tu seras toujours la bienvenue ici, puisque ta meilleure amie est désormais des nôtres. Cette demeure t’est ouverte, à toute heure, sans condition.Ces mots me réchauffent malgré ma hâte de sortir. Je me sens enveloppée d’une sorte de bénédiction, et en même temps p
OphélieJe ne m’attendais pas à ce que la soirée prenne cette tournure, et pourtant la grand-mère est toujours là, assise devant moi, son regard clair et pénétrant posé sur mon visage comme si elle voulait y lire quelque chose que je n’ose pas encore nommer, je me sens observée, mais pas jugée, scrutée comme on scrute un métal pour savoir s’il peut être forgé— Tu peux me tutoyer, dit-elle soudain, sa voix est douce mais ferme, comme une consigne qui ne laisse pas de place à la discussion, et appelle-moi grand-mère, puisque désormais nous sommes de la même familleJe reste un instant interdite, surprise par cette familiarité offerte, moi qui ai toujours gardé une distance respectueuse avec elle, comme si sa présence imposait naturellement une barrière invisible, mais je sens qu’elle veut autre chose ce soir, un pacte, une alliance— Grand-mère, soufflé-je enfin, et ce mot résonne en moi comme une promesse et une peur à la fois, car je comprends qu’il m’engage plus loin que je ne pensa
Léa La grand-mère se tourne vers nous, et je sens soudain une autre lueur dans son regard, plus vive, plus perçante, presque stratégique. Une tension différente, comme un courant qui circule entre ses souvenirs et ses projets. Elle croise les bras, s’appuie légèrement sur le dossier du fauteuil, et je perçois qu’elle n’est plus seulement en train de raconter son passé : elle prépare un futur, un plan invisible mais précis.— Il y a quelque chose que vous devez savoir, dit-elle d’une voix basse, mais qui coupe l’air comme un couteau : je n’ai jamais aimé celle que votre petit-fils a choisie comme épouse. Jamais. Et ce n’est pas un caprice, ce n’est pas de l’orgueil. C’est… instinct, intuition, mais aussi la connaissance des hommes et de ce qu’ils voient ou ne voient pas. Elle ne lui correspond pas, Ophélie. Elle ne correspond pas à lui, ni à moi .Je sens mon souffle se bloquer. Ophélie me regarde, surprise, et moi aussi, je sens un mélange d’incrédulité et d’excitation : la grand-mèr
LéaMon corps se fige, mon souffle se bloque dans ma poitrine, je sens chaque fibre de moi prête à se tendre ou à rompre, et pourtant je sais que je ne peux pas fuir. Ses yeux de jade me transpercent, et je sens qu’elle attend de moi autre chose qu’un simple acquiescement. Chaque mot que je retiens est un poison qui me brûle les lèvres, chaque silence, une accusation. Je prends une profonde inspiration, mes doigts s’accrochent à ceux d’Ophélie, cherchant un ancrage, une force que je croyais mienne, et je parle d’une voix qui tremble à peine :— Je… j’ai toujours su qu’il y aurait des secrets à protéger, murmuré-je, et que parfois le silence valait mieux que la vérité… mais je ne veux pas mentir, pas devant vous.Le silence tombe, lourd, saturé de tensions contenues. La grand-mère incline la tête, observant chaque nuance de mon visage, chaque hésitation, chaque micro-frisson. Enfin, elle laisse échapper un souffle, presque imperceptible, qui fait vibrer l’air.— Vous avez du courage, d
OphélieElle ne bouge pas, elle nous scrute, et j’ai l’impression que son silence pèse plus qu’un cri, qu’il écrase l’air autour de nous comme une chape de plomb. Ses doigts battent l’accoudoir, secs, réguliers, ce bruit sec ressemble au compte à rebours d’un sablier invisible, et chaque battement me rapproche de l’instant où je devrai parler. Enfin, sa tête se penche légèrement, imperceptiblement, et sa voix s’élève, grave, lente, chaque mot détaché comme si elle dictait une sentence.— Je n’aime pas les mensonges, dit-elle, et je n’aime pas les histoires mal racontées. Ici, vous allez parler. Tout. Clair. Net. Comme si vous étiez devant un tribunal.Je baisse les yeux, incapable de soutenir ses prunelles vertes qui luisent dans la pénombre du salon, et ma gorge se serre, douloureuse. La main de Léa se crispe autour de la mienne, chaude et tremblante, mais elle ne dit rien, et je comprends que c’est à moi de porter cette vérité, de la faire jaillir, de me mettre à nu devant cette fem