MasukLilithLes jours qui suivent la visite sont un brouillard. Les mots de Cain résonnent en moi, une mélodie sombre et entraînante. Reine. Pas une princesse. L'offre est un poison, mais un poison qui a la saveur du pouvoir pur, de la vengeance ultime. Prendre ce qu'ils ont bâti et le faire mien. Transformer ma douleur en arme, ma terreur en autorité.Je marche dans les rues, mais je ne les vois plus. Je sers des cafés au « Clair de Lune », mais mes mains pourraient tout aussi bien tenir un couteau. Élise me regarde avec une inquiétude grandissante. Thomas vient tous les jours, son regard plein de questions silencieuses que je refuse de voir.Un soir, il m'intercepte alors que je range des livres après la fermeture.— Lilith, ça suffit. Parle-moi.— Il n'y a rien à dire, Thomas.— Ce n'est pas vrai. Quelque chose a changé. Depuis cette visite... tu es encore plus loin.Je me retourne, lasse. — Tu ne comprendrais pas.— Alors fais-moi comprendre ! crie-t-il, perdant enfin patience. Je suis
LilithLa décision est prise. Un lourd calme m'envahit, plus terrifiant que la panique. J'ai appelé l'avocat. Une visite a été arrangée. Rapide, discrète. Sous prétexte de "clôture psychologique" pour la victime. Personne ne doit savoir, surtout pas Leo ou Thomas.Le jour venu, je m'habille avec des vêtements simples, sombres. Je me regarde dans le miroir. Je ne reconnais pas la femme qui me fait face. Ses yeux sont deux braises froides dans un visage de marbre. C'est la Lilith du manoir. Celle qui a survécu.Le trajet jusqu'au centre de détention est un flou. Des bâtiments gris, des barrières, des checkpoints. Des hommes en uniforme aux regards suspicieux. Des procédures. Des portes qui claquent. Chaque bruit est un coup de marteau sur mes nerfs.On me conduit dans une petite pièce nue, divisée par une épaisse vitre pare-balles. Des téléphones sur chaque côté. Un banc en métal fixé au sol. L'air sent le désinfectant et le désespoir.J'attends.Puis, une porte s'ouvre de l'autre côté.
LilithLa silhouette dans l'ombre a disparu quand le jour se lève, laissant derrière elle un sentiment de violation bien plus profond que tout ce que j'avais connu au manoir. Là-bas, la menace était contenue entre quatre murs. Ici, elle se répand, toxique, contaminant chaque parcelle de ma vie d'emprunt.Je ne parle pas à Leo de ce que j'ai vu. Il s'inquiéterait, poserait des questions, appellerait peut-être la police. Cela ne ferait qu'attiser la colère de Cain. Non. Cette bataille est mienne. Seule.Je range la carte de Thomas dans un tiroir, au fond, sous des piles de vêtements. Un rêve enterré avant même d'avoir pu naître.Les jours au « Clair de Lune » deviennent un exercice d'équilibre constant. Je souris aux clients, je plaisante avec Élise, mais mes yeux scrutent incessamment la rue. Chaque voiture qui ralentit, chaque client nouveau qui semble me regarder un instant de trop, chaque ombre qui bouge – tout est une menace potentielle.Thomas revient. Son sourire est toujours aus
LilithLes semaines se transforment en mois. La routine devient une armure. Je vis chez Leo, je souris aux voisins, je fais les courses. Je joue si bien la comédie de la convalescente que j’ai fini par me convaincre moi-même. Pourtant, chaque nuit, je vérifie les verrous. Deux fois. Je garde un couteau de cuisine sous mon oreiller. La peur est devenue un organe vital, un sixième sens.Leo reprend sa vie. Il travaille, sort, retrouve des amis. Il me supplie de faire de même. — Il faut que tu tournes la page, Lilith. Recommence.Recommencer. Comme si on pouvait effacer l’encre indélébile dont ils m’ont tatouée l’âme.Un soir, il rentre, excité. — J’ai trouvé un travail pour toi ! Au « Clair de Lune », ce café-librairie dont je t’ai parlé. La propriétaire, Élise, est super. C’est tranquille. Juste quelques heures par jour.Je veux refuser. Me cacher. Mais la partie de moi qui a appris à jouer un rôle voit l’opportunité. Une couverture parfaite. La jeune femme fragile qui tente de repre
LilithLa liberté a la saveur fade des couloirs d'hôpital et l'odeur aseptisée du désinfectant. On me garde ici pour "observation". Observation de quoi ? De l'étendue des dégâts ? Personne ne peut voir les véritables blessures, celles qui ne cicatriseront jamais.Les jours passent, tous identiques. Des médecins compatissants, une psychologue au regard trop perçant, une femme flic qui revient avec ses questions douces et ses silences pesants. Je joue parfaitement mon rôle : la survivante traumatisée, fragile, reconnaissante. Je leur donne des miettes de vérité, soigneusement sélectionnées. L'enlèvement. La peur. La violence de Cain. La froideur de Damian. Je suis le portrait parfait de la victime.On m'apprend que Damian est bien mort. Une balle de Cain, m'assure-t-on, avant que les renforts n'interviennent. Cain, lui, est incarcéré en attendant son procès. On me promet qu'il ne sortira pas de sitôt. Je hoche la tête, les yeux pleins de larmes factices. À l'intérieur, quelque chose se
LilithLa liberté a un goût de terre, de sang et de peur. Je rampe dans l'obscurité des jardins, chaque inspiration un couteau dans ma poitrine. Mes côtes crient à chaque mouvement, ma jambe droite refuse de me porter. Le froid humide de la nuit pénètre mes vêtements déchirés, mais c'est une douleur lointaine, submergée par l'urgence de fuir.Derrière moi, le manoir n'est plus qu'une silhouette massive et menaçante, percée de quelques fenêtres éclairées d'où proviennent encore des bruits de lutte. Ils se déchirent là-haut. Cain et Damian. Le fauve et le stratège. Mon œuvre.Je me traîne vers la lisière de la forêt, mes doigts s'enfonçant dans la terre meuble. La forêt est une gueule noire, un abîme de ténèbres. Elle m'effraie autant qu'elle m'attire. C'est l'inconnu. Mais c'est aussi l'échappatoire.Soudain, des phares balayent l'allée gravillonnée. Une voiture arrive à grande vitesse, freinant dans un crissement de pneus devant le perron. Des portières claquent. Des voix autoritaires







