Ophélie
Le soleil n’est encore qu’un halo pâle à l’horizon quand je sors enfin de l’hôtel. Mes jambes tremblent sous moi, chaque pas me rappelle la violence douce et brutale de la nuit, le feu qui a consumé mon corps et mon esprit. Je serre mon sac contre moi, mais il est inutile de cacher l’état dans lequel je suis : mes hanches brûlent, mes cuisses sont douloureuses, et chaque mouvement me fait grimacer de cette douleur délicieuse qui témoigne de ce que je viens de vivre.
Je marche dans les rues encore désertes, les talons lourds sur le pavé, et je sens mes vêtements collés à ma peau, ma robe froissée portant la trace de mes gestes, de ses mains, de sa possession. La fatigue est totale, mais étrange, comme un poids qui me tire vers le sol et, en même temps, un vertige délicieux qui me fait sourire malgré tout.
Je repense à chaque instant de la nuit : la façon dont il m’a possédée avec cette sauvagerie contrôlée, le souffle chaud contre mon cou, ses lèvres qui brûlaient ma peau, la pression de ses mains sur mes reins, sur mes cuisses, sur tout mon corps. Je me souviens de chaque fois qu’il m’a prise, encore et encore, sans jamais montrer le moindre signe de fatigue, comme si mon corps était la seule source de son énergie, et que chaque gémissement, chaque frisson le nourrissait. Trois fois, trois fois il a franchi mes limites, mais dans mon esprit, ce chiffre ne suffit pas. Je compte, je recompte mentalement, essayant de retrouver chaque assaut, chaque poussée, chaque instant où il m’a dévorée, jusqu’à ce que je perde le compte, épuisée et extatique à la fois.
Je m’appuie contre un mur pour reprendre mon souffle, les mains tremblantes sur mes cuisses endolories. La douleur n’est pas désagréable, elle est la trace de ce que j’ai donné et reçu, de ce que j’ai vécu et de ce que j’ai laissé s’imprimer dans mon corps. Je ferme les yeux un instant et je laisse le souvenir m’envahir : l’odeur de sa peau, la chaleur de ses mains, les gémissements étouffés, les mouvements frénétiques et doux à la fois.
Je me rends compte que j’ai été payée trois fois ce que je pensais recevoir pour une seule nuit, mais l’argent n’est rien comparé à ce que je ressens. Ce n’est pas une transaction, ce n’est pas un salaire : c’est un vertige, un tremblement, une marque qui restera gravée sur ma peau et dans mon esprit. Trois fois ma paie pour trois fois ma vie brisée et reconstruite dans la même heure, pour trois fois l’impression d’avoir été possédée sans relâche, sans répit, comme si chaque parcelle de moi lui appartenait et qu’il ne se lasserait jamais.
Quand j’atteins mon appartement, je m’effondre sur le canapé, les mains encore brûlantes, les cuisses douloureuses mais vibrantes de ce désir que je ne peux contenir. Je ferme les yeux et je sens le vide, le calme qui suit la tempête, et pourtant je sais que rien n’est terminé. Mon corps hurle, mon cœur tambourine, et mon esprit ne peut s’empêcher de rejouer chaque geste, chaque souffle, chaque pression, chaque morsure douce ou brutale.
Je revois son regard, la manière dont il m’a tenue, comment il m’a poussée contre les murs, sur le lit, comment il a alterné la sauvagerie et l’intimité avec une précision effrayante. Je me rappelle chaque fois qu’il a frappé mes limites, que j’ai crié silencieusement, que mon corps s’est plié à sa force et que mon esprit a chaviré. Trois fois, quatre fois, peut-être cinq fois… je perds le compte dans le vertige de mes souvenirs. Chaque instant est gravé, chaque douleur est un écho de plaisir.
Je reste là, immobile, pendant de longues minutes, laissant la chaleur et la douleur se mêler, laissant mon corps absorber l’empreinte de cette nuit sauvage. Et dans cette extase postérieure, dans cette fatigue saturée de plaisir et de douleur, je comprends que quelque chose en moi a changé. Que je ne serai plus jamais la même, que je ne pourrai plus jamais aborder mon travail comme avant, que chaque homme, chaque toucher, chaque souffle, chaque regard sera désormais filtré à travers cette expérience.
Et pourtant, malgré tout, une part de moi sourit. Parce que j’ai survécu, parce que j’ai brûlé, parce que j’ai cédé et que j’ai été désirée comme jamais auparavant. Trois fois ma paie, trois fois la sensation de me perdre pour renaître, trois fois cette nuit qui restera gravée, indélébile, jusqu’à ce que je ferme les yeux pour la dernière fois.
ÉLODIELe vent gifle mon visage quand je monte dans la voiture, mes mains tremblent sur le volant, je n’arrive même pas à mettre la clé dans le contact. Ma respiration est saccadée, ma vue trouble. Tout ce que je vois, c’est la porte derrière moi, cette porte que j’ai claquée comme on ferme un chapitre, et pourtant je sens encore son odeur, sa voix, son silence.Je veux partir, m’arracher à tout ça, m’éloigner de cette maison maudite, de cette mascarade.— Élodie !Sa voix.Marc.Je ferme les yeux, mais le bruit de ses pas se rapproche, pressé, désespéré. Il me rattrape avant que je puisse fuir. Sa main se pose sur la portière, m’empêchant de l’ouvrir.— Laisse-moi, Marc. Laisse-moi partir.— Non. Pas comme ça.Il se penche, son visage à quelques centimètres du mien, ses yeux pleins d’une panique que je n’avais jamais vue. Le vent emporte nos mots, mais je l’entends encore, ce ton brisé, cet homme qui essaie de rattraper l’irréparable.— Élodie, tu ne peux pas partir, murmure-t-il. Ce
ÉLODIELe silence après la phrase de la grand-mère n’a rien d’un silence ordinaire.C’est une suspension du monde, une fissure dans la réalité.Tout s’arrête.Même la respiration de la maison semble s’éteindre.Je reste là, droite, les muscles tendus, le cœur battant trop fort. Ophélie est toujours assise, les jambes croisées, un léger sourire aux lèvres, ce genre de sourire qui ne dit pas « je suis désolée » mais « j’ai gagné ». Ses doigts glissent nonchalamment sur le velours du canapé, caressant l’accoudoir comme si c’était déjà le sien. Comme si elle marquait son territoire.Chaque geste qu’elle fait m’écorche les nerfs.Je la hais. Physiquement. Intensément.Et pourtant, elle reste là, impassible, tranquille, le menton légèrement relevé.Je voudrais hurler, la gifler, la tirer par les cheveux jusqu’à la porte et la jeter dehors.Mais mon corps ne bouge pas.Ma rage est trop grande, elle me paralyse.— Non, dis-je enfin, d’une voix rauque, étranglée. Non. Elle ne reste pas ici.Pa
ÉLODIEJe pensais que cette journée serait tranquille, que nous pourrions enfin retrouver Marc et moi un peu de sérénité dans la maison familiale, quand je sens un frisson parcourir mon dos. Quelque chose cloche. L’air semble chargé, lourd, presque oppressant, et mon instinct me crie que je ne suis pas seule dans le confort feutré de notre intimité.Marc est près de moi, calme, mais je perçois un léger tressaillement dans sa posture, un éclair de surprise qu’il s’efforce de contenir. Moi, mon estomac se noue, mes mains deviennent moites, mes doigts s’accrochent au rebord de mon sac comme pour m’ancrer à la réalité.— Marc… quelque chose… je sens… je sais pas…Il fronce légèrement les sourcils, scrutant la maison comme pour vérifier ce que je pressens déjà.— Qu’est-ce qu’il se passe ? murmure-t-il, la voix basse, inquièteJe ne peux répondre. Mon regard se tourne vers l’escalier, et là, je la vois. Cette femme de mauvaise orgues : Ophélie , elle descend lentement, chaque pas mesuré, c
ÉLODIELa semaine de lune de miel s’achève comme un souffle que l’on retient trop longtemps avant de revenir à la réalité, et pourtant chaque instant passé avec Marc semble s’être gravé dans ma chair, dans mes sens, dans ma mémoire, comme si l’océan avait emporté tous les doutes pour les remplacer par une chaleur étourdissante . Mais à présent le soleil s’élève au-dessus de nos têtes, implacable, et nous rappelle que nous devons retrouver notre maison, notre quotidien, et surtout la demeure où trois femmes m’attendent, chacune portant sur elle le poids de l’histoire de Marc, chacune détentrice d’une part de son univers que je n’ai encore qu’effleurée .Nous roulons côte à côte sur l’autoroute bordée d’arbres en fleurs, le vent entrouvre légèrement les vitres, et je sens l’odeur du cuir mêlée à celle des pins et de l’air salin, une odeur qui me rappelle la mer mais qui, paradoxalement, ne fait qu’accroître mon appréhension. Marc conduit en silence, son visage fermé, ses doigts crispé
ÉlodieLa nuit s’est étirée comme une étoffe de soie sur nos corps encore fiévreux, bercée par le ressac de l’océan et la respiration régulière de Marc contre ma nuque, mais je ne dors pas, je n’y parviens pas, mes yeux grands ouverts scrutent la pâleur de la lune filtrant à travers les rideaux, et au milieu de cette paix apparente un souvenir s’impose, brutal, indélébile, comme une écharde plantée dans ma chair : cette femme, son cri, son ventre arrondi, son accusation qui a glacé l’assemblée entière au moment même où nous échangions nos vœux.Je sens ma gorge se serrer, mon ventre se nouer, et soudain je sais que je ne peux plus attendre, que je ne peux pas m’enfermer dans cette bulle dorée sans chercher à comprendre. J’inspire profondément, je me redresse légèrement, mes cheveux encore épars sur ses épaules, et ma voix tremble quand je murmure :— Marc…Il entrouvre les yeux, surpris, encore alourdis de sommeil et de satiété.— Qu’est-ce qu’il y a, Élodie ?Je détourne le regard, i
ÉlodieL’avion s’éloigne, minuscule point dans le ciel, et il ne reste plus que le bruit régulier des vagues, cette respiration profonde de l’océan qui semble battre à l’unisson avec mon cœur. Le sable blanc s’étend à perte de vue, brûlant et doux sous mes pieds nus, la mer reflète les dernières lueurs du jour, et la villa nous attend, comme un écrin isolé, une cage dorée offerte par nos familles… mais une cage dont je n’ai plus peur.Marc marche à mes côtés, ses pas calmes, ses yeux toujours tournés vers l’horizon, comme s’il cherchait à y lire les réponses à toutes les questions qu’il ne prononce pas. Je le regarde, incapable de détacher mes yeux de lui : cet homme est mon mari désormais, mon époux, et pourtant il m’échappe encore, enfermé dans ses silences, dans sa fierté, dans cette réserve héritée de son éducation stricte. Mais ce soir, je le sens, les murs commencent à se fissurer.Je me rapproche, je glisse ma main dans la sienne, et je murmure :— Tu n’as plus besoin de jouer