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Chapitre 3 : La Morsure de la Lune

Author: Déesse
last update Last Updated: 2025-12-02 22:43:21

Léo

La marche de retour depuis la clairière de Kael est un voyage entre deux mondes. Mon corps est encore empreint de la chaleur du Silvanien, chaque cellule vibrante de l'énergie qu'il m'a transmise. Le goût de ses lèvres, mi-écorce mi-chair, est un philtre sur ma langue. Je porte sa marque, une braise de vie juste au-dessus de mon cœur, et ses mots résonnent en moi : « Tu es le chaînon manquant. »

Mais la forêt, à mesure que je m'éloigne du sanctuaire, redevient hostile. L'ombre des sapins s'allonge, griffant le sol. L'air fraîchit, et avec le froid revient le souvenir des yeux dorés d'Elias. Les deux désirs se livrent une guerre en moi : la paix envoûtante de Kael, et l'appel sauvage, primitif du loup. Je les sens tous les deux sous ma peau, comme deux courants contraires.

Je suis presque à la lisière, la maison en vue, quand la sensation me frappe. Une oppression dans la poitrine. Un silence anormal. Les crickets se sont tus. Le vent lui-même semble retenir son souffle.

Il émerge d'un fourré, sans un bruit.

Elias.

Il est sous sa forme humaine, ou presque. La musculature est trop saillante, les tendons bandés sous la peau. Une fourrure rase et sombre couvre ses avant-bras et son torse. Ses ongles sont des griffes épaisses et recourbées. Et ses yeux... ses yeux brûlent de ce même feu jaune, fixés sur moi avec une intensité qui me cloue sur place. La sauvagerie émane de lui en vagues presque palpables.

— Tu sens différent.

Sa voix est un grognement rauque, à peine intelligible. Elle gratte mes tympans, si éloignée de la mélodie mentale de Kael.

— Tu portes l'odeur du vieux bois. De la magie stagnante.

Il avance d'un pas, souple, prédateur. Je recule, mais mon dos heurte le tronc rugueux d'un pin. Coincé.

— Il t'a touché.

Ce n'est pas une question. C'est un constat chargé de jalousie et de rage. Ses narines frémissent, humant l'air autour de moi.

— Laisse-moi, Elias.

Ma voix est un filet, tremblante. La braise laissée par Kael sur mon sternum palpite, comme pour me rassurer.

— Je ne peux pas.

Il est sur moi en deux enjambées félines. La chaleur de son corps est écrasante, animale. Une de ses mains aux griffes menaçantes se referme sur mon bras, non pour me blesser, mais pour m'immobiliser. Le contact est brûlant, électrique. C'est une revendication.

— Tu ne comprends pas. Chaque nuit, la bête en moi hurle. Elle déchire, elle détruit. Elle a soif de sang... et de paix. Et toi...

Il penche son visage près du mien. Son haleine est chaude.

— Toi, tu es un silence. Une promesse de calme. Je le sens. Depuis que tu es arrivé, le feu en moi... il trouve un point fixe. Toi.

Son autre main se pose sur ma poitrine, exactement à l'endroit où Kael avait posé la sienne. Mais là où Kael avait insufflé de la vie, la griffe d'Elias semble vouloir arracher, posséder. La douce chaleur de Kael se change en une brûlure douloureuse sous sa paume.

— Il t'a marqué, mais sa marque est faible. Elle ne te protégera pas. Elle ne peut pas te donner ce que moi je peux te donner.

— Et qu'est-ce que tu peux me donner ? La mort ? craché-je, la peur se mua en défi.

Un rictus tordu découvre ses canines, anormalement longues.

— La vie. La vraie. Brutale et libre. Pas cette comédie végétale, cette lente pourriture. La force de te défendre. La puissance de n'avoir plus jamais peur.

Il se penche plus près, ses lèvres effleurant mon oreille. Un frisson incontrôlable me parcourt l'échine.

— Laisse-moi faire, Léo. Laisse-moi te montrer.

Sa main sur mon bras se resserre, ses griffes entaillant légèrement la peau à travers le tissu de ma chemise. La douleur est vive, réelle. Elle ancre cette scène dans une terrible réalité. Je ferme les yeux, cherchant désespérément l'image de Kael, la sensation de son baiser.

Mais tout ce que je trouve, c'est le corps brûlant d'Elias contre le mien, son odeur musquée et sauvage qui envahit mes sens, et la terreur... mêlée à une fascination horrible, irrationnelle. Cette force brute, ce désir absolu, exerce sur moi une attraction ténébreuse, l'appel de l'abîme.

— Non, murmuré-je, faiblement.

— Si.

Sa bouche se presse contre la mienne.

Ce n'est pas un baiser. C'est une attaque. Une revendication violente. Là où Kael avait donné, Elias prend. Ses dents me mordillent les lèvres, sa langue force le passage. C'est un goût de fer, de terre et de foudre. Une vague de chaleur brute, incontrôlée, déferle en moi, balayant les derniers vestiges de la sérénité de Kael. C'est excitant. C'est terrifiant. C'est humiliant. Je veux le repousser, mais mes mains, comme traîtres, s'agrippent à ses épaules, sentant les muscles durs se contracter sous mes doigts.

Quand il se retire, je suis à bout de souffle, les lèvres meurtries et gonflées, le corps tremblant d'adrénaline et de confusion. Ses yeux dorés brillent d'un triomphe sombre.

— Tu vois ? La bête en moi reconnaît la tienne. Elle est juste endormie.

Soudain, il pousse un grognement, se raidit. Sa tête se tourne vers le ciel où la lune, presque pleine, commence à poindre entre les branches.

— La lune... elle appelle. Je ne peux pas rester.

Son regard revient vers moi, empli d'un conflit déchirant.

— La prochaine fois... je ne pourrai peut-être pas me contrôler. La prochaine fois, tu devras choisir. Te cacher dans les bois avec ton fantôme de mousse... ou affronter la tempête avec moi.

Il recule d'un pas, son corps semblant se dissoudre dans les ombres du soir.

— Choisis bien, Léo. Car si tu ne viens pas à moi... je viendrai te chercher.

Et il disparaît.

Je reste adossé à l'arbre, les jambes flageolantes, le goût de son baiser sauvage dans la bouche, l'emprise de ses griffes sur mon bras, et la marque brûlante de Kael sur ma poitrine. Je suis déchiré, souillé, et plus vivant que je ne l'ai jamais été.

Je rentre dans la maison, je ferme la porte à clef. Mais je sais que c'est inutile. Les murs ne peuvent pas me protéger. La bataille ne se joue plus dehors. Elle se joue en moi. Entre la paix verdoyante et la passion dévorante. Et je sens, au plus profond de mon être, que quel que soit mon choix, il me brisera avant de me reconstruire.

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