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Chapitre 5 : Le Souffle de Verre

Author: Nicemz
last update Last Updated: 2025-06-16 21:41:43

Les jours suivants, Elara et Kaelen marchèrent sans relâche vers le nord-est, longeant des crêtes couvertes de cendres et de lichen bleu, où la lumière semblait hésiter à pénétrer. Au-delà des falaises brisées s’étendait une vallée nommée Vareth, un ancien territoire oublié sur toutes les cartes humaines. Pourtant, Elara en avait découvert le nom inscrit dans les marges de la carte révélée par la Pierre-Mémoire.

Un nom effacé par le temps, rayé par les cartographes officiels. Vareth. Terre du Souffle de Verre.

— "Tu es certaine de ce que tu as vu ?" demanda Kaelen une nuit, alors qu’ils partageaient le feu d’un ancien sanctuaire brisé.

— "Oui", répondit Elara. "Le Souffle de Verre est un phénomène, pas un artefact. C’est une tempête. Une magie ancienne, qui pétrifie tout sur son passage… mais qui conserve les souvenirs."

Kaelen fronça les sourcils. Il connaissait les légendes. Des voyageurs changés en statues de cristal. Des villages figés pour l’éternité. Mais jamais il n’avait imaginé que cela puisse être une piste.

— "Tu crois qu’on peut y trouver une trace de l’artefact ?"

— "Je crois qu’on peut y trouver ceux qui savaient où il était. Figer une âme, c’est figer sa mémoire, non ?"

Kaelen ne répondit pas. Il observait Elara avec ce regard mélancolique, chargé de respect, mais aussi d’un doute profond. Chaque jour, elle changeait. Sa manière de marcher, d’observer le monde, d’écrire ses cartes. Elle devenait… quelque chose d’autre. Plus qu’une cartographe. Une témoin. Une porteuse d’histoire.

Le troisième jour, ils parvinrent aux portes de Vareth.

La vallée s’ouvrait comme une gueule immense, protégée par deux statues d’êtres ailés à moitié enfouis dans la roche. Le vent qui soufflait là n’avait rien de naturel : il vibrait, chuchotait, fredonnait même une mélodie ancienne. Elara eut la chair de poule.

Ils pénétrèrent dans la vallée. Très vite, le sol changea. Le sol était craquant, lisse, couvert d’un dépôt cristallin. Et puis ils les virent.

Les formes figées.

Des silhouettes humaines. Hommes, femmes, enfants. Leurs traits conservés avec une précision terrifiante. Certains hurlaient, d’autres semblaient prier ou fuir. Leurs vêtements, leurs armes, même la sueur sur leur front… tout était transformé en verre.

Elara s’approcha d’un homme agenouillé. Il tenait un parchemin contre sa poitrine. Ses yeux, ouverts, reflétaient une terreur immense.

— "Ils sont… morts ?" demanda-t-elle doucement.

Kaelen hocha la tête. "Pas vraiment. Le Souffle de Verre fige le corps et l’esprit. Mais leur âme reste enfermée dans ce cristal. Si tu savais les appeler, ils pourraient te parler."

— "Et si je brise le verre ?"

— "Tu les libères. Et ils meurent. Définitivement."

Elara regarda autour d’elle. Toute une cité était là, figée depuis des siècles. Les tours de pierre avaient survécu. Les étals du marché. Même un chat, sa patte en l’air, figé en plein saut.

Elle sentit un vertige.

Puis elle le vit.

Un cercle gravé dans le sol, au centre de la ville. Une ancienne table de mémoire, comme elle en avait vu dans ses visions. Elle y courut, le cœur battant, suivie par Kaelen.

La table était recouverte de symboles. Certains brillaient encore faiblement.

— "C’est ici qu’ils enregistraient leur histoire", murmura Kaelen. "Avant la fracture. On y déposait des souvenirs, des images. On y communiquait avec ceux qui savaient."

Elara posa ses mains sur la pierre. Un choc l’envahit.

Elle se retrouvait au milieu d’un conseil. Des sages aux visages graves. Ils débattaient de l’avenir du monde, de la montée des ténèbres, de la convoitise des humains.

Puis apparut une image : un fragment de l’artefact originel. Une pierre d’obsidienne renfermant une lumière mouvante. Elle avait été confiée à une protectrice, une cartographe, la dernière capable de lire les lignes du monde.

Elara sentit ses jambes flancher.

Elle vit son visage. Ce n’était pas elle. Mais… c’était une ancêtre. Une femme aux traits familiers, entourée de papiers, de plumes, de cartes.

Elle entendit son nom : Elyrène.

Et elle comprit.

— "Mon sang…" murmura-t-elle. "Ma lignée… nous avons gardé le fragment. Nous étions les Gardiennes. Et nous avons… trahi."

Quand elle revint à elle, elle tomba à genoux. Kaelen la rattrapa.

— "Je… je l’ai vue", dit-elle en haletant. "Une ancêtre. Une cartographe comme moi. Elle avait l’artefact. Mais elle a choisi de le cacher… de l’éloigner de tous les peuples. Pour empêcher une nouvelle guerre."

— "Et maintenant ?" souffla Kaelen.

Elara leva les yeux. La cité figée brillait autour d’eux, comme si elle les observait.

— "Maintenant, il faut la retrouver. Son tombeau. Ses cartes. Il faut que je retrace son parcours. Et peut-être… que je fasse ce qu’elle n’a pas pu."

Kaelen se redressa.

— "Alors nous devons quitter cette vallée."

Elara regarda une dernière fois les âmes figées autour d’elle. Elle posa la main sur le bras du vieil homme au parchemin, et murmura un mot d’excuse.

Puis ils quittèrent la cité de verre.

Mais, dans leur sillage, la poussière scintillante se mit à frémir, et une voix brisée s’échappa du vent :

"Elara…"

Elle se retourna. Personne.

Mais elle savait que Vareth ne l’avait pas oubliée.

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