Chapitre 3 : La Meute

Les jours passèrent, rythmés par l’entraînement, la douleur, et les murmures de la forêt. Chaque matin, Élina s’éveillait avec les muscles endoloris, mais une détermination plus vive. Le regard de Kaël, toujours distant mais brûlant, la poussait à se surpasser.

Maëlys ne relâchait jamais la pression. Elle la jetait au sol sans ménagement, la forçait à se relever encore et encore. Pourtant, Élina comprenait : ce n’était pas de la cruauté. C’était de la préparation. Car ce qui venait… serait bien pire.

Un soir, alors que le soleil se couchait derrière les collines, Kaël entra dans sa chambre.

« Il est temps que tu les rencontres. »

« Les autres ? »

Il hocha la tête. « La meute. »

Élina sentit son cœur s’accélérer. Jusqu’ici, elle ne les avait pas vus. Elle entendait leurs voix, leurs rires au loin, leurs pas dans les bois. Mais ils ne s’étaient jamais montrés.

Elle suivit Kaël à travers les couloirs sombres du vieux sanctuaire, puis à l’extérieur. La nuit tombait doucement. La forêt paraissait plus vivante que jamais.

Ils arrivèrent à une clairière baignée par la lumière dorée de la lune. Une douzaine de silhouettes s’y tenaient déjà. Des hommes et des femmes, jeunes pour la plupart, aux yeux brillants et aux gestes félins.

Le silence tomba à leur approche. Tous les regards se tournèrent vers Élina.

Une fille aux tresses blondes plissa les yeux. « C’est elle, la morsure sauvage ? »

Un garçon à l’air moqueur ricana. « Elle va pas tenir trois jours. »

Élina sentit sa gorge se nouer, mais elle redressa les épaules.

Kaël ne dit rien. Il la laissa seule face au cercle. Maëlys s’avança, les bras croisés.

« Bienvenue dans la meute du Croissant Noir. Tu es ici à l’essai, Élina. Tu n’es pas encore l’une des nôtres. Ce sera à l’Alpha d’en décider. »

Une tension soudaine saisit l’air. Les autres se redressèrent, presque en alerte.

Et puis, il arriva.

Un homme immense sortit de l’ombre. Silencieux, menaçant. Sa peau sombre brillait sous la lune, ses yeux étaient d’un gris perçant. Il portait une simple chemise ouverte, révélant un torse sculpté, marqué par des cicatrices anciennes.

L’Alpha.

Kaël s’inclina légèrement à son approche.

Élina sentit une force invisible émaner de lui. Pas une force physique, mais quelque chose de plus ancien. De plus ancré.

Il s’arrêta devant elle.

« Ton nom. »

« Élina. »

« Tu es venue de ton plein gré ? »

Elle hocha la tête. « Oui. »

L’Alpha la fixa longuement, comme s’il scrutait son âme. Puis, il se tourna vers les autres.

« Elle a été mordue par l’un des nôtres. Elle est liée à notre sang. Elle sera testée comme toutes les recrues. Si elle échoue, elle sera bannie. Si elle réussit… elle sera des nôtres. »

Le cercle se resserra. Plusieurs s’approchèrent, la flairèrent comme une bête nouvelle. Une d’elles, une jeune femme aux cheveux rouges, murmura : « Elle sent différent. »

Kaël intervint enfin.

« Parce qu’elle est différente. »

Le regard de l’Alpha s’assombrit. « Il y a quelque chose en elle. Quelque chose d’inconnu. »

« Elle mérite une chance. »

Le silence retomba. Puis l’Alpha déclara :

« Qu’elle participe au Rituel. Si elle survit, elle sera une louve. »

⸻

De retour dans sa chambre, Élina se laissa tomber sur le lit.

« Le Rituel ? » demanda-t-elle à Kaël.

Il s’assit en face d’elle, les coudes sur les genoux.

« Un ancien rite de passage. Les nouveaux doivent affronter leur nature dans la Forêt Morte, seuls, pendant une nuit entière. Tu y entreras humaine. Tu devras en ressortir vivante. »

« Et si je me perds ? »

« Tu ne peux pas te perdre. Ce n’est pas un labyrinthe. C’est un miroir. Ce que tu verras là-bas… c’est ce que tu portes au fond de toi. »

Élina frissonna.

Kaël se leva. « Prépare-toi. Tu pars demain soir. »

⸻

Le lendemain, la tension était palpable. Même les membres de la meute, si moqueurs les jours précédents, la regardaient maintenant avec un mélange de curiosité et de respect.

Maëlys lui tendit une gourde d’eau et une lame courte. « Juste au cas où. Mais ce ne sont pas des bêtes que tu vas affronter. »

Kaël l’accompagna jusqu’à l’orée de la Forêt Morte. Le soleil disparaissait lentement à l’horizon.

« Tu es plus forte que tu ne le crois, » dit-il.

« Et si je perds le contrôle ? »

« Alors tu verras de quoi tu es vraiment faite. »

Il lui tendit un talisman de cuir. Un croissant de lune gravé dans une pierre sombre.

« Ça t’aidera à te souvenir de qui tu es. »

Elle prit l’objet, le serra contre elle. Puis elle s’enfonça dans les bois.

Le silence y était étrange, lourd. Pas un oiseau, pas un bruissement. Comme si la forêt retenait son souffle.

Les arbres se resserraient autour d’elle. La lune éclairait faiblement le sol moussu.

Au bout d’une heure, les visions commencèrent.

D’abord floues. Des silhouettes. Des ombres. Puis des visages. Sa mère. Son père. Leurs cris. Leur peur. Une chambre d’hôpital. Une seringue.

Puis elle se vit elle-même.

Plus jeune. Frêle. En pleurs. Seule.

« Pourquoi tu n’as jamais hurlé ? » murmura une voix qui venait d’elle-même.

Et alors, elle comprit : ce n’était pas un test de survie.

C’était un test de vérité.

⸻