ELISSALe miroir est devenu mon seul compagnon.Chaque matin, je me tiens devant lui, nue, les pieds froids sur le carrelage, le cœur étrangement calme, les paumes moites, et je m’observe. Longtemps. Lentement. Avec cette minutie d’un artisan qui découvre les limites d’un matériau neuf.Les premiers jours, je ne faisais que chercher les coutures.Aujourd’hui, je scrute les angles.Mon reflet est encore une énigme, une œuvre en cours. Les gonflements ont diminué, les ecchymoses se sont estompées, mais la peau garde cette tension étrange, comme si elle hésitait entre deux visages, entre deux vérités. Quand je souris, ce n’est pas naturel. Pas encore. Il faut désapprendre. Réapprendre. Oublier le masque de Maëva. Habiter celui d’Elissa.Jack ne me laisse pas de répit.— Lève le menton. Non. Pas comme ça. Garde-le souple, mais haut. Tu dois toujours sembler au-dessus, même en silence.Il me fait marcher. Talons hauts. Robes fendues. Maquillage impeccable. Son regard me sculpte autant que
MaëvaLe silence est médical. Il n’a rien de rassurant. Il a cette netteté blanche, désinfectée, impitoyable. L’odeur d’alcool, de latex, de métal froid. J’attends dans une pièce trop claire, nue sous une blouse fine qui flotte autour de mon corps comme une dernière illusion de pudeur.Je regarde mes mains. Ce sont les mêmes. Pour l’instant.Une femme entre, élégante, stricte. Une chirurgienne suisse, discrète, précise, inattaquable. Son accent est tranchant, sans chaleur mais pas sans douceur.— Vous savez ce que vous perdez ? demande-t-elle sans détour, en observant mon visage comme un sculpteur face à une statue incomplète.Je ne réponds pas. Elle n’attendait pas de réponse. Juste une trace de doute. Je n’en montre aucune.Elle note quelque chose sur un formulaire numérique, effleure ma joue du bout de ses gants.— Ce ne sera pas radical. Il faut que ce soit subtil. Une variation plus qu’une rupture. Juste assez pour brouiller les réflexes.J’acquiesce.— Vous dormirez profondément
MaëvaJe suis restée là, longtemps après qu’il ait quitté la pièce, seule face à ce bureau qui sentait encore sa présence, imprégnée de son odeur, de sa voix, de sa volonté implacable. Le cuir du fauteuil craquait à peine sous mon poids, comme si la pièce elle-même retenait son souffle, suspendue entre deux mondes, entre deux décisions. J’avais la sensation d’être entrée dans une autre dimension, faite de lignes de faille, de promesses dangereuses, de silences acérés.Je ne sais pas combien de temps j’ai passé à fixer ce carnet posé sur le bureau, au cuir usé, d’un noir profond, fermé par une lanière rigide. Il l’avait laissé là, volontairement, j’en suis certaine. Un test. Une invitation.Je l’ai ouvert.Des noms. Des dates. Des notes brèves, concises, presque codées, mais terriblement limpides dans leur froideur. Je reconnais certains visages, certains événements dont la presse avait à peine effleuré la surface. Accidents, faillites, disparitions discrètes. Tous reliés, comme un fil
MaëvaÀ peine la porte de la salle à manger s’était-elle refermée derrière la domestique que j’ai senti un frisson glacé parcourir mon échine, comme si l’air lui-même venait de s’alourdir, saturé d’une tension invisible et pourtant étrangement palpable. Je restais un instant figée, la main encore posée sur la tasse à moitié vide, les doigts cherchant inconsciemment un ancrage dans ce silence devenu oppressant. Puis, lentement, je me suis redressée, le regard attiré vers l’entrée du salon.Il était là, immobile, imposant, silencieux.Jack Valmont.Son regard, aussi froid que l’acier, s’est immédiatement fixé sur moi avec la précision d’un chasseur qui jauge sa proie. Aucun mot, aucune hésitation. Il avançait d’un pas sûr, la silhouette massive dessinée par la lumière tamisée, chaque mouvement mesuré, contrôlé. Le parquet sous ses bottes résonnait d’un écho sourd, pesant, comme si la pièce retenait son souffle.— Maëva, murmura-t-il d’une voix basse, rauque, presque étranglée, mais plei
Maëva Je cligne des yeux, incapable de détacher mon regard. Tout ici est trop grand, trop beau, trop silencieux pour que je me sente autre chose qu’une étrangère au milieu d’un monde qui n’est pas le mien. Pourtant, chaque détail me captive, me subjugue. C’est comme si la maison elle-même voulait me raconter une histoire que je ne comprends pas encore.Je passe une main sur les murs couleur ivoire, si lisses qu’ils semblent faits de soie. Le plafond est si haut qu’il disparaît presque dans une brume de lumière douce, filtrée par les vitraux ciselés. Le sol sous mes pieds est froid, mais d’un marbre poli si parfait qu’il reflète mes mouvements comme un miroir liquide.Je m’approche du lit à baldaquin, les rideaux de mousseline flottant légèrement, comme agités par un souffle imperceptible. L’étoffe est si fine que mes doigts s’y enfoncent avec une délicatesse presque irréelle. Je sens la douceur m’envelopper, un contraste saisissant avec l’acier froid qui semble habiter chaque pierre
Jack ValmontLa ville ne dort jamais.Elle halète, elle vibre, elle se tord sous ses propres lumières blafardes et les néons criards qui dessinent des cicatrices sur le bitume humide. Elle n’a rien de beau, cette ville. C’est un animal qui se nourrit de sueur, de peur et de sang. Du haut de ma tour de verre, j’observe cet océan de vie comme on regarde une bête qu’on a domptée. Mes mains sont posées sur la table de marbre noir, froide, lisse, polie comme un cercueil de luxe. Tout ici respire la puissance et la menace.Je suis Jack Valmont.Et ce monde m’appartient.Mes docks, mes clubs, mes entrepôts… Je possède des pans entiers de cette ville. Le moindre sous-sol, la moindre route souterraine qui sert à faire circuler de la drogue ou de l’argent sale. Même la police ferme les yeux : elle sait qu’elle ne peut pas m’atteindre. Quand je parle, les gens se taisent. Quand je veux quelque chose, je le prends. Et quand quelqu’un me trahit… il disparaît. Pas seulement lui, mais son nom, ses s