Maëva
Je le regarde, figée, comme prise dans une toile invisible. Son regard ne cligne pas. Il ne sourit pas. Il ne dit rien, mais son silence hurle, remplit la pièce comme un cri sourd.
— Qu’est-ce que... vous voulez ? Ma voix me trahit, fragile, plus faible qu’un souffle porté par le vent.
Il incline légèrement la tête, comme s’il pesait mes mots, scrutait au-delà des apparences.
— Tu sais pourquoi je suis là, Maëva. Tu ne crois pas qu’un homme comme moi vient te voir par hasard.
Un poids tombe sur mes épaules. Mes mains moites tremblent. Chaque muscle de mon corps se tend, prêt à fuir, à me recroqueviller, à disparaître.
— Vous… vous avez dû entendre des choses sur moi, des rumeurs. Des… histoires.
Son regard s’assombrit, devient plus froid, plus dur.
— Des rumeurs, oui. Mais je ne me fie pas aux rumeurs. Je me fie aux faits. Ce que j’ai vu, ce que je sais.
Je sens un frisson glacé traverser ma colonne vertébrale.
— Alors dites-moi ce que vous voulez, murmuré-je enfin, me forçant à croiser ses yeux.
Il se penche légèrement en avant, comme pour confier un secret interdit, un pacte scellé dans l’ombre.
— Je veux un accord, un pacte, une chance.
Je cligne des yeux, incrédule, déstabilisée.
— Un pacte ? Avec vous ? Pourquoi moi ?
Un sourire court, bref, cruel comme une lame, fend son visage.
— Parce que tu as survécu à ce qui aurait dû te détruire. Tu es plus forte que tu ne le crois, Maëva. Et tu es seule. Très seule.
Sa voix grave, profonde, résonne comme un écho dans la pièce vide. Une vérité dure à entendre.
— Mais pourquoi m’aider ? Pourquoi s’intéresser à moi ?
Il se redresse lentement, dominateur, imposant. Sa stature écrase presque l’espace autour de nous.
— Parce que je peux te donner ce que tu as perdu. La puissance, la protection, la vengeance.
Je sens en moi une vague d’émotions contradictoires : peur, curiosité, désir d’y croire.
— Et à quel prix ? Je souffle, le cœur battant si fort que j’ai peur qu’il s’échappe.
Son regard se fait plus dur, presque cruel, et pourtant chargé d’une étrange promesse.
— À un prix que tu devras accepter. Mais tu n’as plus rien à perdre, Maëva. Rien.
Un silence s’installe, lourd, pesant. Mes lèvres tremblent malgré moi. Mon cœur tambourine dans ma poitrine comme un tambour de guerre.
Je rassemble mon courage pour poser enfin la question qui me brûle.
— Vous avez dit que vous connaissiez Dorian. Qui est-il ? Pourquoi est-il si important pour vous ?
Il serre les poings, ses doigts blanchissant sous la pression. Son regard se fait sombre, empli de haine.
— Dorian… c’est un voleur. Un manipulateur. Quelqu’un qui a trahi ma confiance et volé ce qui m’appartenait.
— Volé ? Mon front se plisse, l’incompréhension creuse ses sillons.
— Il a disparu avec ce qui ne lui appartenait pas. Sans laisser de trace. Et je veux le retrouver. Parce que je veux qu’il paye.
Sa voix est dure, froide, pleine d’un dégoût à peine contenu.
— Pourquoi me voulez-vous pour ça ? Je ne suis qu’une femme brisée. Je ne sais rien de lui.
Son regard m’enserre, dur et pénétrant, comme s’il sondait mes entrailles.
— Parce que toi, tu sais ce que c’est que de perdre tout ce qui compte. Et parce que tu es liée à lui, plus que tu ne le crois.
Je fronce les sourcils, confuse, déstabilisée.
— Liée à lui ? Je ne comprends pas.
Il se redresse lentement, pesant ses mots comme une sentence.
— Tu as un passé avec Dorian. Un passé que tu refuses de voir, mais qui t’attend, prêt à te rattraper.
Je serre les dents. Une vague de vertige m’envahit. Le sol semble se dérober sous mes pieds.
Je veux détourner la conversation, trouver une ancre dans ce flot de mystère. Alors je lui demande, presque à voix basse :
— Et vous… votre mari ? Qu’est-ce qu’il vous a fait ?
Il me fixe, et pour la première fois, son expression se durcit, devient glaciale, fermée.
— Je n’ai pas de mari.
Je le regarde, surprise, cherchant dans ses yeux la vérité.
— Alors pourquoi parlez-vous comme ça ? Pourquoi… pourquoi ça me ressemble tant ?
Il détourne le regard, fuyant ma question comme un souvenir qu’il voudrait oublier.
— Ce n’est pas important. Ce qui compte, c’est ce que nous allons faire. Ensemble.
Je sens mon cœur battre à tout rompre, entre l’espoir d’un renouveau et la méfiance de l’inconnu.
— Alors dites-moi. Que dois-je faire ?
Son visage se fait impénétrable. Son regard ne bouge pas, me transperçant.
— Pour commencer, tu vas me suivre. Tu vas m’écouter. Et ensuite, on verra.
Je sens une panique sourde vouloir me submerger. Je voudrais reculer, fuir cette proposition irréelle. Mais il y a quelque chose dans sa voix, dans sa présence, dans ce silence chargé, qui m’enchaîne.
Je ne sais pas encore que ce pacte, ce choix, va tout changer. Que c’est le début d’une descente vers l’abîme. Mais aussi peut-être… la seule chance que j’ai de me relever.
Je me lève, chaque mouvement un effort, avec une hésitation qui me fait vaciller.
Il se lève aussi, imposant, et s’avance vers moi, m’attendant, immobile.
Le vampire n’a pas besoin de me tendre la main. Je la tends moi-même, tremblante, hésitante.
Le pacte est scellé.
Un dernier regard s’échange, lourd de promesses et de menaces.
Et la porte s’ouvre sur un monde que je n’aurais jamais cru devoir affronter.
MaëvaJe le regarde, figée, comme prise dans une toile invisible. Son regard ne cligne pas. Il ne sourit pas. Il ne dit rien, mais son silence hurle, remplit la pièce comme un cri sourd.— Qu’est-ce que... vous voulez ? Ma voix me trahit, fragile, plus faible qu’un souffle porté par le vent.Il incline légèrement la tête, comme s’il pesait mes mots, scrutait au-delà des apparences.— Tu sais pourquoi je suis là, Maëva. Tu ne crois pas qu’un homme comme moi vient te voir par hasard.Un poids tombe sur mes épaules. Mes mains moites tremblent. Chaque muscle de mon corps se tend, prêt à fuir, à me recroqueviller, à disparaître.— Vous… vous avez dû entendre des choses sur moi, des rumeurs. Des… histoires.Son regard s’assombrit, devient plus froid, plus dur.— Des rumeurs, oui. Mais je ne me fie pas aux rumeurs. Je me fie aux faits. Ce que j’ai vu, ce que je sais.Je sens un frisson glacé traverser ma colonne vertébrale.— Alors dites-moi ce que vous voulez, murmuré-je enfin, me forçant à
MaëvaLes murs de l’hôpital suintent le désinfectant et l’oubli.Le drap rêche me gratte la peau. Ma perfusion est vide depuis des heures, mais personne ne vient.Je suis un corps en transit. Une ombre à libérer dès que la paperasse sera faite.Un reste.J’ai eu des points de suture. Une injection contre l’infection. Et une phrase vide du médecin :Vous avez eu de la chance.Non. J’ai eu la malchance de survivre.Le silence dans la chambre est écrasant. Seul le bip intermittent d’un moniteur dans la pièce d’à côté me rappelle que le monde continue.Pas le mien.J’ai froid. Un froid qui ne vient pas du climatiseur ni du carrelage, mais du vide.Un froid qui mord sous la peau, dans la moelle.Un froid qui ne veut plus partir.Mon sac est là, au pied du lit. Vide.Plus de téléphone. Plus de portefeuille. Plus de rien.Mais l’infirmière m’a tendu un vieux téléphone à clapet, en me disant :— Il y avait une carte SIM. Peut-être qu’il reste un contact à appeler ?Un nom m’est venu. Comme un
MaëvaJe suis restée là.Allongée dans le caniveau, le regard perdu entre les gouttes qui tombent et les phares qui défilent.Des phares qui me frôlent sans jamais s’arrêter.Je n’existe pas.L’eau froide s’infiltre dans ma robe.J’ai arrêté de trembler. Mon corps n’en a plus la force. Il a renoncé à se réchauffer.Je me suis endormie, je crois. Ou alors j’ai juste cessé de penser.Mais quand j’ai ouvert les yeux, il faisait nuit à nouveau.Et j’étais encore là.Un homme s’est approché.Pas le genre pressé, pas le genre nerveux.Le genre lent.Le genre dangereux.Il portait une veste de cuir trop grande, les mains dans les poches. Il empestait la cigarette et la misère.— T’as pas froid, princesse ?Je me suis redressée à moitié. Trop lentement.— J’ai rien, j’ai soufflé. Je ne veux rien.— Tu crois que t’as le choix ? T’es à moitié morte dans la flotte, t’es même pas foutue de marcher droit.Il s’est accroupi devant moi, son visage près du mien.Son souffle chaud et acide m’a heurtée
MaëvaJ’avais dit « demain ».Mais demain ne vient pas.Il pleut .Pas cette pluie douce et légère qui apaise. Non.Une pluie grise, froide, impitoyable. Une pluie lourde, qui tombe comme une sentence. Une pluie qui s’infiltre partout : sous la robe, dans les cheveux, dans la peau.Elle me fouette le visage, me colle aux os, me lave du peu de chaleur qu’il me restait, jusqu’à m’enlever la notion même de confort.Le vent me coupe le souffle. Il siffle dans mes oreilles comme une gifle prolongée. Une gifle du monde.Je suis restée là toute la nuit, recroquevillée derrière cet abribus, les jambes ramenées contre ma poitrine, les bras en travers du ventre. Une posture de protection. Une coquille vide.Et au lever du jour, je me suis levée avec peine, les muscles engourdis, les articulations raides, comme si mon corps refusait désormais de me porter.Mes pieds sont douloureux, couverts d’ampoules éclatées, de plaies noires, de crasse séchée. Chaque pas est une agonie.Je boite. J’ai cessé
MaëvaJe n’ai plus de téléphone.Je ne sais même pas à quel moment je l’ai perdu. Ou s’il a été volé. Peut-être que je l’ai laissé tomber dans cette ruelle où j’ai vomi mes illusions. Ou peut-être que je l’ai lâché exprès, inconsciemment, comme pour couper tous les ponts.Mais au fond, est-ce que j’aurais eu quelqu’un à appeler ?Je pense à Clara. Encore. Peut-être qu’elle m’en veut. Peut-être qu’elle sait ce que j’ai fait. Ce que j’ai laissé faire. Peut-être qu’elle a vu les signaux avant moi, compris ce que moi je refusais de voir. Peut-être qu’elle a juste décidé de me rayer de sa vie. Et je ne peux même pas lui en vouloir.Je l’ai trahie, quelque part. En disparaissant. En m’oubliant. En l’abandonnant sans explication.Ma mère ? Non. Rien qu’à son nom, un frisson me traverse, mais ce n’est pas de tendresse. C’est de la peur du rejet.Il y a longtemps que son regard a cessé de me chercher. Longtemps qu’elle ne me regarde plus comme une fille, mais comme un poids.Je pourrais mourir
MaëvaJe marche.Sans destination.Sans envie.Juste pour ne pas m’effondrer.Le tissu de ma robe, déchiré et sale, colle à mes jambes.Mes pieds nus sont couverts de poussière, de petites coupures et d’ampoules déjà douloureuses.Le bitume semble rugueux, hostile, indifférent à ma douleur.Le vent s’infiltre entre les pans de tissu, me glaçant la peau.J’ai froid.Un froid qui s’installe jusque dans mes os, comme un silence cruel.Les visages passent devant moi, flous, distants.Ils ne me regardent pas vraiment.Ou alors, ils voient ce que je suis devenue : une femme brisée, une mariée sans mari, une inconnue à la dérive.Certains esquissent un sourire condescendant, d’autres détournent les yeux, gênés.Personne ne tend la main.Personne ne s’arrête.Je finis par m’asseoir sur un banc d’un parc déserté par le soleil de fin d’après-midi.Je me recroqueville sur moi-même, essayant de me protéger du monde entier.Un vieil homme passe, promenant son chien.Son regard croise le mien un in