LOGINMaëva
Je marche.
Sans destination.
Sans envie.
Juste pour ne pas m’effondrer.
Le tissu de ma robe, déchiré et sale, colle à mes jambes.
Mes pieds nus sont couverts de poussière, de petites coupures et d’ampoules déjà douloureuses.
Le bitume semble rugueux, hostile, indifférent à ma douleur.
Le vent s’infiltre entre les pans de tissu, me glaçant la peau.
J’ai froid.
Un froid qui s’installe jusque dans mes os, comme un silence cruel.
Les visages passent devant moi, flous, distants.
Ils ne me regardent pas vraiment.
Ou alors, ils voient ce que je suis devenue : une femme brisée, une mariée sans mari, une inconnue à la dérive.
Certains esquissent un sourire condescendant, d’autres détournent les yeux, gênés.
Personne ne tend la main.
Personne ne s’arrête.
Je finis par m’asseoir sur un banc d’un parc déserté par le soleil de fin d’après-midi.
Je me recroqueville sur moi-même, essayant de me protéger du monde entier.
Un vieil homme passe, promenant son chien.
Son regard croise le mien un instant.
Je lis dans ses yeux une hésitation : faut-il intervenir ou passer son chemin ?
Il choisit la prudence.
Je me sens plus seule que jamais.
La nuit a emporté mes rêves, mes espoirs, ma confiance.
Je suis vide.
Vide comme cette chambre d’hôtel où il n’est jamais revenu.
Vide comme cette alliance qui ne signifie rien.
Vide comme mon ventre qui crie famine.
Je pense à ma mère.
Je revois son visage fermé, ses jugements silencieux, ses mots qu’elle n’a jamais dits mais qui m’ont blessée plus que n’importe quelle insulte.
Elle ne m’a jamais aimée assez pour me croire.
Elle ne saura jamais ce que j’ai traversé.
Je pense à Clara, ma meilleure amie.
Si elle savait…
Mais son téléphone ne répond jamais.
Je me demande si elle est partie. Si elle aussi m’a abandonnée.
Je n’ai plus de maison.
Plus de famille.
Plus de passé auquel me raccrocher.
Je ne sais plus qui je suis.
Je passe la nuit sur le trottoir, emmitouflée dans des cartons volés à une benne.
L’air est glacial, mordant.
Je ferme les yeux en serrant les dents, cherchant à oublier la faim, la peur, la honte.
Le murmure de la ville autour de moi semble lointain, irréel.
Un jeune homme s’approche, me tend une canette vide, pensant que je suis une droguée.
Je refuse violemment.
La colère est tout ce qu’il me reste.
Le matin me surprend recroquevillée contre un mur, le visage sale, les cheveux emmêlés.
Je ne reconnais plus la fille qui croyait au prince charmant.
Je ne reconnais plus cette fille du miroir.
Je repère une boulangerie.
L’odeur du pain chaud me brûle la gorge.
J’ai dix centimes au fond de ma poche, et pourtant, je n’ose pas entrer.
Un gamin me voit, s’approche et me tend une pièce.
Je secoue la tête. Je refuse.
Je refuse d’être une mendiante.
Je refuse qu’on me voie tomber aussi bas.
Mais ma fierté n’est plus qu’un mirage fragile.
Je fouille les poubelles derrière un café.
Je ramasse des miettes.
La serveuse m’aperçoit et me hurle dessus.
Je m’enfuis en courant, le cœur battant, la peur au ventre.
Chaque heure qui passe me déchire un peu plus.
Chaque regard posé sur moi me transperce comme un couteau.
Chaque reflet dans une vitrine me renvoie l’image d’une femme détruite.
Mais le pire, ce n’est pas la faim.
Ce n’est pas le froid.
C’est la honte.
La honte d’avoir cru en lui.
La honte d’avoir aimé.
Je revois ses mains caresser ma nuque, ses lèvres murmurer contre ma peau :
« Tu es à moi maintenant. »
Je l’étais.
Corps et âme.
J’avais tout donné.
Il ne m’a pas juste volé mon argent.
Il m’a volé ma première fois.
Ma confiance.
Mon nom.
Ma voix.
Je n’ai plus rien.
Je n’ai même plus la force de pleurer.
Il ne reste que ce vide glacé, cette absence sourde.
Et cette phrase obsédante, qui me hante jour et nuit : tu l’as laissé faire.
Je m’en veux plus qu’à lui.
Et c’est ça, le pire des poisons.
Je passe la soirée dans une station de métro, assise sur un banc de pierre froide.
La robe empeste la sueur et la poussière.
Mon corps aussi.
Les gens s’écartent.
Je me gratte le bras machinalement, un tic nerveux qui trahit ma douleur.
Comme si je voulais me débarrasser de cette peau qui ne m’appartient plus.
Je ferme les yeux, la tête posée contre la vitre.
Mes paupières se ferment sous le poids de la fatigue et du désespoir.
La nuit tombe, épaisse, silencieuse.
Et le monde tourne, implacable, indifférent.
Mais dans ce gouffre sombre, une petite étincelle résiste encore.
Fragile.
Timide.
Déterminée.
Une pensée s’ancre dans mon cœur meurtri.
Tu vas survivre.
Tu vas te relever.
Tu vas redevenir celle que tu étais.
Et il paiera.
MaëvaLe soleil se couche sur la ville, mais ici, tout en haut, il ne fait que commencer. La terrasse du penthouse est baignée d'une lumière dorée, chaude et douce. Ce n'est plus une forteresse de verre et d'acier. Ce soir, c'est une demeure. Notre demeure.Léo et Liliane, maintenant âgés de cinq ans, courent sur la pelouse synthétique, leurs rires cristallins se mêlant au sifflement discret du vent en altitude. Léo, sérieux et déterminé, poursuit un ballon avec une concentration de stratège. Liliane, plus espiègle, danse, ses petites jambes traçant des cercles désordonnés, ses cheveux noirs flottant comme une auréole sauvage.Je suis affalée sur un sofa profond, mon verre de vin à la main. Je regarde la scène, et pour la première fois depuis si longtemps, la sensation qui m'envahit n'est pas la satisfaction du pouvoir, mais une chaleur profonde, tranquille, qui emplit chaque espace de mon être. C'est une paix conquise, non octroyée.Victor sort de l'ombre intérieure, deux dossiers so
MaëvaLe silence se brise comme du verre. Un cri perçant, puis un deuxième, s’élèvent en un duo impérieux depuis le salon. Léo, toujours le premier à affirmer sa présence. Liliane, plus rusée, laisse son frère ouvrir la brèche avant d’ajouter sa voix, plus aiguë, plus exigeante.Je me lève de mon bureau, laissant derrière moi les clauses d’une acquisition hostile. Une lassitude familière, vite balayée par une vague de détermination froide, m’étreint. Ces cris ne sont pas une plainte. C’est un rappel à l’ordre.Alors que je m’approche des berceaux, une silhouette se détache de l’ombre du couloir. Elara, la gouvernante, aussi discrète qu’une ombre, s’incline légèrement.—Je m’en occupe, Madame.—Non. Laisse-nous.Je soulève Léo. Son petit corps est raide de colère, ses poings serrés, son visage écarlate. Liliane, sentant mon attention sur son frère, redouble de fureur. Je la prends dans l’autre bras. Leur poids combiné à leur rage est un défi. Mes petits prédateurs. Vous apprendrez.La
Deux ans plus tard.La pluie fouette les baies vitrées du penthouse qui surplombe toute la ville. C’est notre nouvelle forteresse, plus haute, plus imprenable que le loft. D’ici, nous voyons tout. Nous contrôlons tout. Les tours de verre et d’acier qui se dressent dans la nuit sont autant de pièces sur notre échiquier.Victor est debout devant la fenêtre, une silhouette sombre et immuable. Il ne regarde pas la pluie, il regarde son reflet, et le mien, qui le rejoint. Je m’approche, glissant mes mains autour de sa taille, posant ma joue contre son dos. Je sens les muscles tendus sous le tissu de sa chemise. Il y a eu une réunion tendue ce soir. Un concurrent a eu l’audace de défier notre mainmise sur le marché asiatique.— Il va falloir les rappeler à l’ordre, dis-je, ma voix est calme, mais le tranchant est là, toujours là.Il se retourne, ses mains viennent se poser sur mes hanches. Son regard est cette nuit d’orage, plein d’éclairs contenus.— Ils vont le être. J’ai déjà mis en mouv
MaëvaLe temps a coulé comme du miel et du venin mêlés. Les mois ont passé, rythmés par les procédures judiciaires, les articles de presse qui ont fait de nous des célébrités troubles, et les nuits à célébrer notre impunité grandissante dans le loft, notre forteresse de verre et de béton. L'argent de Darian , non, de Marcus , travaille pour nous maintenant, générant une fortune propre, légale, qui blanchit à la perfection l'origine trouble de son premier investissement.Aujourd'hui, nous sommes de retour dans un tribunal. Mais pas dans le box des accusés. Nous sommes assis sur les bancs réservés au public, Victor et moi, main dans la main. Je porte une robe ivoire sobre mais coupée dans un tissu qui coûte le salaire mensuel du procureur. Victor est en costume sombre, élégant et impénétrable.Marcus Valen, alias Darian Blackwood, est amené menotté. Il a maigri. Son costume lui flotte. Son regard, autrefois si vif et arrogant, est terne. Il nous voit, assis là, comme des spectateurs pri
MaëvaLa sueur sèche à peine sur nos peus, la respiration s'apaise à peine, que déjà l'énergie dans la pièce change. Ce n'est plus la torpeur du triomphe, mais une vibration nouvelle, plus sauvage, plus impatiente. Le premier round a été la célébration. Celui-ci sera la folie pure.Victor se lève sans un mot, son corps une silhouette d'ombre et de muscles tendus dans la pénombre. Il me regarde, allongée sur les draps en désordre, et son sourire n'est plus celui du stratège satisfait, mais du prédateur qui a goûté au sang et qui en redemande.— Ce n'était qu'un avant-goût, Maëva, dit-il, sa voix un grondement bas.Il ne revient pas vers le lit. Il va vers la table où repose la bouteille de champagne à moitié pleine. Il la prend, non pas pour boire, mais pour en verser le contenu doré et pétillant sur ma poitrine, dans un geste lent et délibéré.Le liquide glacé me fait sursauter, un choc délicieux après la chaleur de nos corps. Des gouttes ruissellent le long de mes côtes, dans le creu
MaëvaLa voiture glisse dans la nuit, loin des lumières criardes des médias et de la façade sinistre du commissariat. Je ferme les yeux, la tête renversée contre la sellerie de cuir douce. Il n’y a plus de tension, plus ce fil tendu à l’extrême qui vibrait en moi depuis des mois. Juste un calme profond, une satisfaction qui coule dans mes veines comme un élixir. J’ai gagné. J’ai tout gagné.Le loft est baigné d’une lumière tamisée quand j’entre. Des bougies ont été allumées, jetant des ombres dansantes sur les murs de béton. Et là, debout près de la baie vitrée, Victor. Il tient deux flûtes à champagne, une bouteille de Dom Pérignon déjà débouchée posée sur la table basse en verre. Son regard croise le mien, et il n’y a pas besoin de mots. La fierté, la possession, la convoitise, tout est là, palpable dans l’air.— Maëva, dit-il simplement, et mon nom dans sa bouche est une célébration.Il tend une flûte vers moi. Je m’approche, nos doigts se frôlent lors du passage du cristal. Une ét