Maëva
On frappe à la porte.
Une fois , deux fois , jusqu'à trois fois , de manière sec et impatient.
Je sursaute.
Le drap enroulé autour de mon corps nu glisse presque. L’air est tiède, chargé d’une odeur de sommeil et de peau.
Sur les draps froissés flotte encore un soupçon de parfum masculin boisé, musqué, entêtant. Le sien.
Je souris, à moitié endormie.
Il est allé chercher le petit déjeuner, me dis-je. Des croissants, des fraises peut-être. Un café serré pour m’aider à me réveiller.
Il avait promis une matinée de princesse, « sans souci, sans contrainte ». Typique de Darian. Toujours à vouloir faire les choses bien. Toujours à vouloir m’impressionner.
Je tends la main vers l’autre côté du lit.
Vide.
Mais je ne m’en inquiète pas.
Je ris doucement en serrant le drap contre moi, et je m’avance jusqu’à la porte, pieds nus, un peu titubante. Ma tête bourdonne, encore ivre de fatigue… ou de ce qui s’est passé la veille.
Notre nuit de noces.
Un frisson me parcourt malgré moi.
C’était ma première fois.
Il l’a su, tout de suite. Je lui avais avoué, la veille, la voix tremblante, le rouge aux joues.
Il avait souri. Tendrement. Il m’avait caressé la joue et dit que c’était « un honneur ». Que cette nuit serait douce et mienne.
Et il a tenu parole.
Il n’a rien brusqué. Chaque geste était mesuré, chaque baiser patient, brûlant.
Ses doigts sur ma peau, sa voix dans le noir, ses promesses glissées contre mon oreille.
« Tu es à moi maintenant. Pour toujours. »
Je me revois, nue dans ses bras, le cœur battant si fort que j’en avais eu le vertige.
Je me sentais belle. Désirée. Aimée.
Les coups à la porte reprennent, plus insistants.
— Oui, j’arrive ! dis-je en souriant.
Quand j’ouvre, ce n’est pas lui.
Un homme en uniforme d’hôtel me fixe, le regard dur.
— Mademoiselle… vous devez libérer la chambre.
Je cligne des yeux, confuse.
— Pardon ?
— Il est neuf heures passées. Le check-out était prévu à six heures. Vous avez dépassé le temps de départ. Il faut partir.
Je ris, un peu gênée.
— Non, c’est une erreur. Mon mari a réservé pour toute la semaine. C’est notre lune de miel…
Il me fixe comme si je délirais.
— Je vais appeler la direction.
Je referme lentement.
Un frisson glacé me traverse l’échine.
Je retourne à l’intérieur.
Je regarde autour de moi. Quelque chose ne va pas.
Je le sens.
C’est trop silencieux. Trop vide.
Je marche vers le téléphone de la chambre. Je le décroche.
Aucune tonalité.
Je commence à fouiller.
Mes vêtements ? Disparus.
Mon sac ? Plus là.
Mon téléphone ? Évaporé.
Mon cœur cogne contre ma cage thoracique.
Je vais dans la salle de bain.
Il n’y a plus rien.
Ni sa montre.
Ni sa brosse à dents.
Ni son parfum.
Je regarde mon reflet dans le miroir. Mes cheveux sont en bataille, mon maquillage coulé.
Et je ne vois plus la femme radieuse de la veille.
Juste une idiote nue, abandonnée.
Je retourne dans la chambre.
J’ouvre les tiroirs.
Les placards.
Vides.
Je m’assieds sur le bord du lit, les mains tremblantes.
Il ne reste que cette robe de mariée, froissée, jetée sur un fauteuil.
Et une alliance trop brillante, trop légère.
Presque… en plastique.
Je me fige.
— Non. Non, non, non…
Je me lève, titube jusqu’à la table basse. Je cherche un indice. Un message. Un mot.
Rien.
Le réceptionniste frappe de nouveau. Cette fois, accompagné d’un homme plus âgé le directeur, sans doute.
— Mademoiselle, cette chambre a été libérée ce matin.
— Non, c’est une erreur ! Darian Delcourt, c’est mon mari. Il est juste sorti !
Le directeur me fixe. Calme. Prudent.
— Il n’y a aucun Darian Delcourt dans nos fichiers. La réservation a été faite au nom de Lucie Bertram.
— Ce n’est pas moi ! hurlé-je.
Il sort un papier.
— Et pourtant, c’est votre signature. Le check-out a été signé ce matin. Avec vos papiers.
Je fixe l’écriture. Mon écriture.
Je me souviens.
Hier soir.
Le champagne.
Les rires.
Et ce document qu’il m’avait tendu.
« C’est juste un papier de l’hôtel. Une formalité. »
Je l’ai signé sans lire.
J’étais heureuse. Amoureuse.
Je m’effondre sur le sol.
— Il m’a volée…
Ils me laissent trente minutes.
Je m’habille avec la seule chose qu’il me reste : cette robe de mariée.
Je sors pieds nus. Le trottoir est glacé. Les regards se posent sur moi , moqueurs , inquiets.
Je suis une mariée sans mari, une épave dans une robe blanche.
Je trouve une cabine téléphonique.
Je compose le numéro de ma mère.
Numéro bloqué.
Je recommence.
Clara.
Boîte vocale.
Je cours jusqu’à la banque.
Je glisse ma carte dans le distributeur.
Je tape le code.
Solde : 0,00 €
Je recommence. Encore.
Compte introuvable.
Je me laisse tomber sur un banc.
Les passants s’effacent autour de moi.
Une fille passe , ne regarde , ne dit rien.
Un homme s’approche.
— Vingt balles si tu souris, ma jolie mariée.
Je le fixe et je lui crache dessus .
Il s’en va en riant. Je ne bouge pas.
Je pense à ses mains. À sa voix.
À la manière douce dont il m’a déshabillée.
À ses lèvres sur les miennes.
À la tendresse feinte.
À la chaleur qu’il m’a volée.
Tout s’aligne, soudain.
Le charme.
Les mots parfaits.
La bague trop brillante.
Le formulaire.
Je ne me suis pas mariée.
Je me suis fait voler.
Détruite.
Effacée.
Et cette vérité, elle ne me frappe pas d’un seul coup !
Non !
Elle s’insinue. Lentement. Goutte à goutte. Comme du poison dans mes veines.
Et dans le silence qui suit, dans cette ruelle
crasseuse, une pensée naît.
Froide , aiguisée , inébranlable.
Je vais le retrouver.
Je vais lui arracher chaque mensonge des lèvres.
Et il comprendra… qu’on ne joue pas avec les vierges et les reines.
MaëvaJe suis restée là.Allongée dans le caniveau, le regard perdu entre les gouttes qui tombent et les phares qui défilent.Des phares qui me frôlent sans jamais s’arrêter.Je n’existe pas.L’eau froide s’infiltre dans ma robe.J’ai arrêté de trembler. Mon corps n’en a plus la force. Il a renoncé à se réchauffer.Je me suis endormie, je crois. Ou alors j’ai juste cessé de penser.Mais quand j’ai ouvert les yeux, il faisait nuit à nouveau.Et j’étais encore là.Un homme s’est approché.Pas le genre pressé, pas le genre nerveux.Le genre lent.Le genre dangereux.Il portait une veste de cuir trop grande, les mains dans les poches. Il empestait la cigarette et la misère.— T’as pas froid, princesse ?Je me suis redressée à moitié. Trop lentement.— J’ai rien, j’ai soufflé. Je ne veux rien.— Tu crois que t’as le choix ? T’es à moitié morte dans la flotte, t’es même pas foutue de marcher droit.Il s’est accroupi devant moi, son visage près du mien.Son souffle chaud et acide m’a heurtée
MaëvaJ’avais dit « demain ».Mais demain ne vient pas.Il pleut .Pas cette pluie douce et légère qui apaise. Non.Une pluie grise, froide, impitoyable. Une pluie lourde, qui tombe comme une sentence. Une pluie qui s’infiltre partout : sous la robe, dans les cheveux, dans la peau.Elle me fouette le visage, me colle aux os, me lave du peu de chaleur qu’il me restait, jusqu’à m’enlever la notion même de confort.Le vent me coupe le souffle. Il siffle dans mes oreilles comme une gifle prolongée. Une gifle du monde.Je suis restée là toute la nuit, recroquevillée derrière cet abribus, les jambes ramenées contre ma poitrine, les bras en travers du ventre. Une posture de protection. Une coquille vide.Et au lever du jour, je me suis levée avec peine, les muscles engourdis, les articulations raides, comme si mon corps refusait désormais de me porter.Mes pieds sont douloureux, couverts d’ampoules éclatées, de plaies noires, de crasse séchée. Chaque pas est une agonie.Je boite. J’ai cessé
MaëvaJe n’ai plus de téléphone.Je ne sais même pas à quel moment je l’ai perdu. Ou s’il a été volé. Peut-être que je l’ai laissé tomber dans cette ruelle où j’ai vomi mes illusions. Ou peut-être que je l’ai lâché exprès, inconsciemment, comme pour couper tous les ponts.Mais au fond, est-ce que j’aurais eu quelqu’un à appeler ?Je pense à Clara. Encore. Peut-être qu’elle m’en veut. Peut-être qu’elle sait ce que j’ai fait. Ce que j’ai laissé faire. Peut-être qu’elle a vu les signaux avant moi, compris ce que moi je refusais de voir. Peut-être qu’elle a juste décidé de me rayer de sa vie. Et je ne peux même pas lui en vouloir.Je l’ai trahie, quelque part. En disparaissant. En m’oubliant. En l’abandonnant sans explication.Ma mère ? Non. Rien qu’à son nom, un frisson me traverse, mais ce n’est pas de tendresse. C’est de la peur du rejet.Il y a longtemps que son regard a cessé de me chercher. Longtemps qu’elle ne me regarde plus comme une fille, mais comme un poids.Je pourrais mourir
MaëvaJe marche.Sans destination.Sans envie.Juste pour ne pas m’effondrer.Le tissu de ma robe, déchiré et sale, colle à mes jambes.Mes pieds nus sont couverts de poussière, de petites coupures et d’ampoules déjà douloureuses.Le bitume semble rugueux, hostile, indifférent à ma douleur.Le vent s’infiltre entre les pans de tissu, me glaçant la peau.J’ai froid.Un froid qui s’installe jusque dans mes os, comme un silence cruel.Les visages passent devant moi, flous, distants.Ils ne me regardent pas vraiment.Ou alors, ils voient ce que je suis devenue : une femme brisée, une mariée sans mari, une inconnue à la dérive.Certains esquissent un sourire condescendant, d’autres détournent les yeux, gênés.Personne ne tend la main.Personne ne s’arrête.Je finis par m’asseoir sur un banc d’un parc déserté par le soleil de fin d’après-midi.Je me recroqueville sur moi-même, essayant de me protéger du monde entier.Un vieil homme passe, promenant son chien.Son regard croise le mien un in
MaëvaOn frappe à la porte.Une fois , deux fois , jusqu'à trois fois , de manière sec et impatient.Je sursaute.Le drap enroulé autour de mon corps nu glisse presque. L’air est tiède, chargé d’une odeur de sommeil et de peau.Sur les draps froissés flotte encore un soupçon de parfum masculin boisé, musqué, entêtant. Le sien.Je souris, à moitié endormie.Il est allé chercher le petit déjeuner, me dis-je. Des croissants, des fraises peut-être. Un café serré pour m’aider à me réveiller.Il avait promis une matinée de princesse, « sans souci, sans contrainte ». Typique de Darian. Toujours à vouloir faire les choses bien. Toujours à vouloir m’impressionner.Je tends la main vers l’autre côté du lit.Vide.Mais je ne m’en inquiète pas.Je ris doucement en serrant le drap contre moi, et je m’avance jusqu’à la porte, pieds nus, un peu titubante. Ma tête bourdonne, encore ivre de fatigue… ou de ce qui s’est passé la veille.Notre nuit de noces.Un frisson me parcourt malgré moi.C’était ma