Maëva
Je n’ai plus de téléphone.
Je ne sais même pas à quel moment je l’ai perdu. Ou s’il a été volé. Peut-être que je l’ai laissé tomber dans cette ruelle où j’ai vomi mes illusions. Ou peut-être que je l’ai lâché exprès, inconsciemment, comme pour couper tous les ponts.
Mais au fond, est-ce que j’aurais eu quelqu’un à appeler ?
Je pense à Clara. Encore. Peut-être qu’elle m’en veut. Peut-être qu’elle sait ce que j’ai fait. Ce que j’ai laissé faire. Peut-être qu’elle a vu les signaux avant moi, compris ce que moi je refusais de voir. Peut-être qu’elle a juste décidé de me rayer de sa vie. Et je ne peux même pas lui en vouloir.
Je l’ai trahie, quelque part. En disparaissant. En m’oubliant. En l’abandonnant sans explication.
Ma mère ? Non. Rien qu’à son nom, un frisson me traverse, mais ce n’est pas de tendresse. C’est de la peur du rejet.
Il y a longtemps que son regard a cessé de me chercher. Longtemps qu’elle ne me regarde plus comme une fille, mais comme un poids.
Je pourrais mourir demain, elle dirait seulement que je l’avais cherché. Que j’ai toujours été trop naïve. Trop faible. Trop moi.
Je n’ai plus rien.
Rien qu’un nom souillé. Une dignité en lambeaux. Un corps fatigué, abîmé par l’errance, par les silences trop lourds, par les mots qu’on ne m’a jamais dits.
Je n’ai même plus le réflexe de vérifier si ma robe couvre mes jambes, si mes cheveux sont en désordre. Je ne suis plus une femme. Je suis une ombre.
Le soleil se couche doucement, teintant le ciel de teintes brûlées. Une beauté qui me blesse. Le monde continue de tourner, sans moi.
Et moi, je reste là, appuyée contre un mur crasseux, comme un déchet qu’on contourne sans s’arrêter.
Le bruit de la ville devient plus sourd à mesure que la nuit tombe. Les gens se pressent, rient, parlent fort. Des groupes d’amis. Des couples qui se tiennent la main. Des enfants qui courent.
Moi, je compte mes pas, comme pour me convaincre que je vais quelque part. Mais je ne vais nulle part.
Je tourne en rond dans un labyrinthe sans sortie.
Je finis par m’allonger derrière un abribus désert, là où personne ne viendra m’écraser du regard. L’asphalte est dur, humide, presque hostile. Mes os le sentent, chaque nerf crie.
Le froid me gagne lentement, insidieusement. Il s’installe dans mes muscles, dans ma poitrine. Il s’accroche à moi comme un manteau de glace, me fige peu à peu.
Je me serre contre moi-même. Il n’y a plus de drap blanc. Plus de bras pour m’enlacer. Plus de promesses dans la bouche de personne.
Rien qu’une peau qui grelotte, un cœur qui bat trop vite, des larmes qui ne veulent plus couler.
Les étoiles au-dessus de moi me semblent irréelles. Trop belles pour une nuit comme celle-là.
Trop loin de moi.
Comme si elles appartenaient à une autre, une version de moi qui avait encore droit à la lumière.
Des passants rient, un peu plus loin. Leurs voix me parviennent par vagues. Leur bonheur me paraît obscène. Incompréhensible. Inaccessible.
Je n’ai même pas la force de les haïr.
Je suis trop lasse pour pleurer. Trop brisée pour hurler.
Je me contente de respirer. Une respiration après l’autre. Comme une survivante sans bataille.
Ou peut-être une morte qui respire encore, par erreur.
J’ai peur. Une peur primitive, glaciale, viscérale.
Peur de cette nuit.
Peur de ce que je pourrais faire.
Peur de ce que d'autres pourraient me faire.
Peur de moi-même.
Et cette honte. Toujours elle.
Elle me ronge la poitrine, me griffe la gorge. Elle se faufile sous ma peau, dans mes pensées, jusqu’au creux de mon ventre.
J’entends encore sa voix :
— Regarde ce que tu es sans moi.
Je me tais. Même dans ma tête. Je ne veux plus l’entendre. Je veux l’effacer.
Mais il est là. Toujours là. Son ombre sur mes épaules.
Il m’a laissée sans fracas, sans cris. Il a juste disparu. Et ça m’a détruite encore plus.
Un homme passe, lentement. Il me dévisage. Je sens son regard me détailler comme une chose, une proie. Je me recroqueville davantage, les bras sur la poitrine, le souffle court.
Il ricane. Ses pas s’éloignent. Mais l’odeur de sa peur ou de son désir sale reste un instant.
Je me sens sale. Si sale.
Pas juste physiquement. Mais de l’intérieur.
Comme si tout en moi était devenu contaminé. Périmé.
J’ai froid.
Faim.
Mal.
Et surtout, je suis seule.
Plus seule qu’on ne devrait jamais l’être.
Je ferme les yeux. Je veux dormir. Je veux fuir. Juste quelques heures sans penser.
Mais même le sommeil me trahit.
Chaque fois que je m’endors, je rêve de lui.
De ce matin où tout a basculé.
De son absence, plus violente que ses mots.
De cette chambre vide, ce lit encore chaud… sans lui.
Il avait tout préparé.
Le piège.
Le mensonge.
La fuite.
Et moi… J’étais là. En robe blanche. À l’attendre.
Le sourire au bord des lèvres. Le cœur gonflé d’espoir.
J’aurais préféré qu’il me frappe.
J’aurais préféré des cris.
Mais il est parti comme on efface une faute de frappe.
Sans un mot.
Comme si je n’avais jamais compté.
Je rouvre les yeux, prise d’un vertige. Autour de moi, tout est noir.
Pas de lumière. Pas d’issue.
Et pourtant…
Dans ce silence, quelque chose pulse encore.
Un battement. Faible. Lointain. Mais vivant.
Je respire.
Je respire encore.
Je suis là. Je n’ai pas disparu. Pas encore.
Peut-être que c’est ça, le début.
Pas un cri.
Pas une vengeance.
Juste… continuer à respirer.
Alors je me promets une chose.
Demain, je chercherai un centre d’aide. Un endroit où me laver. Manger. Parler.
Je ne sais pas si j’aurai le courage.
Mais je me dois d’essayer.
Parce que s’il a voulu que je disparaisse…
Alors je dois prouver que je suis encore là.
Qu’il n’a pas gagné.
JACKJe ne peux pas m’arrêter, je ne veux pas m’arrêter, chaque fibre de mon corps crie son nom, chaque souffle réclame sa présence, chaque battement de cœur me pousse à la reprendre encore et encore, à sentir sa chaleur, sa peau, ses frissons contre moi. Elle est tout, elle est feu et flamme, et moi je ne suis qu’un brasier avide, incapable de résister, incapable de penser, incapable d’autre chose que d’elle.— Jack… souffle-t-elle, ses doigts s’accrochant à ma nuque, à mes épaules, glissant sur mon dos, elle veut que je la consume, qu’elle me dévore à son tour…Je la prends plus profondément, plus sauvagement, mes hanches martelant les siennes, nos corps se heurtant, se cherchant, chaque mouvement un mélange de violence et de tendresse, chaque gémissement une déclaration, chaque soupir un serment silencieux que rien ne pourra jamais briser. Je sens son désir me submerger, me rendre fou, et je réponds à sa faim par la mienne, mes mains explorant chaque courbe, chaque creux, chaque mu
JACKLe monde s’efface autour de nous, chaque bruit, chaque lumière, chaque souffle devient insignifiant face au feu qui nous consume, ne restent que nos corps, brûlants, affamés l’un de l’autre, liés dans une danse furieuse que nous n’avons jamais connue, et pourtant qui semble innée, primitive, irrépressible. Je la tiens fermement, mes mains traçant chaque courbe de sa peau, glissant sur ses reins, ses hanches, ses cuisses, capturant chaque frémissement, chaque soupir, et je sens l’envie, cette tempête dévorante, m’engloutir totalement.Ses jambes se referment autour de ma taille, me tirant toujours plus près, et je la pénètre enfin, lentement au début, savourant chaque instant, chaque souffle brisé, chaque gémissement qui s’échappe de ses lèvres tremblantes. Son corps se cambre contre le mien, ses mains griffant mon dos, mes épaules, s’accrochant comme si elle voulait me retenir à jamais, et je sens son désir onduler autour de moi, répondre à chaque poussée, chaque mouvement, comme
JACKLe temps semble suspendu quand elle revient de la chambre. La porte s’ouvre doucement et je la vois apparaître, et tout mon être se crispe, chaque muscle tendu comme un ressort prêt à céder. Elle porte ce déshabillé fluide, léger, presque translucide, qui épouse ses formes avec une évidence cruelle, révélant plus qu’il ne couvre. Mon regard se perd, mes pensées se brouillent, et la maîtrise que j’avais laborieusement imposée jusqu’ici s’effrite en silence.Le simple balancement de ses hanches, la manière dont le tissu glisse sur sa peau, le frémissement subtil de ses bras quand elle ajuste sa tenue… tout devient un déclencheur que je ne contrôle plus. Mon cœur bat à tout rompre, ma respiration se fait courte, presque haletante, et chaque fibre de mon corps hurle son nom dans un feu silencieux que je n’ai jamais ressenti aussi intensément.Elle avance vers moi, comme si elle savait exactement ce qu’elle faisait, comme si elle savait exactement jusqu’où elle pouvait aller avant que
JACKJe reste immobile sur le canapé, le regard vague, comme si je suivais un point invisible au loin, tandis qu’Elissa dépose son sac et s’affaire autour de moi. Chaque geste qu’elle fait me brûle de l’intérieur, mais je ne laisse rien transparaître. Pas un frémissement, pas un souffle trahi, pas le moindre tremblement de mes mains. Je me répète que c’est sa mission, que je dois rester là, calme, impassible, et pourtant chaque seconde où elle s’approche de Darian me serre le cœur comme un étau.— Jack… murmure-t-elle doucement, la voix caressante, presque timide, comme si elle pouvait lire dans mes pensées.Je me contente de hocher imperceptiblement la tête, un léger sourire poli sur les lèvres. Tout va bien… Tout doit rester normal. Mais derrière ce voile de calme, mon sang bouillonne. Mon cœur bat trop vite, ma respiration se fait irrégulière, mes mains se crispent sur mes genoux, et pourtant je souris. Un sourire de façade, un sourire que je veux rassurant, mais chaque fibre de mo
ELISSAJe referme la portière derrière moi, le moteur de la voiture ronronnant faiblement, comme si lui aussi retenait son souffle. La nuit s’étend autour de moi, dense et silencieuse, mais rien ne parvient à apaiser le feu qui brûle sous ma peau, ce mélange de concentration, de désir et de culpabilité qui s’insinue dans chaque geste, chaque pensée. Je respire profondément, cherchant à retrouver un semblant de contrôle, à faire taire le tremblement de mes mains sur le volant, à calmer la chaleur encore vive de mes lèvres qui ont frôlé celles de Darian plus tôt. Tout cela fait partie de la mission, je dois rester focalisée, je n’ai pas le droit de faiblir, mais chaque souvenir, chaque contact, laisse une marque indélébile sur mon corps et mon esprit.Quand j’ouvre la porte de ma demeure , Jack est là, assis sur le canapé, son regard sombre et pénétrant fixé sur moi. Il n’y a ni colère ni reproche explicite, mais la tension qui émane de lui est palpable. Son corps semble tendu comme un
ELISSALe restaurant s’est vidé sans que je le remarque vraiment, les rires et les conversations se sont effacés comme un brouillard qui se dissipe, ne restent plus que nos verres à moitié pleins et ce silence saturé de sa présence, de son regard qui me cloue sur place et me brûle de l’intérieur. J’ai l’impression que tout mon corps s’est transformé en une plaie ardente, ouverte à ce qu’il déverse dans mes veines sans même m’avoir touchée vraiment.— Tu as conscience de ce que tu fais, Elissa, dit-il enfin, sa voix grave me caressant comme une main invisible.Je sens ma gorge se serrer, mes lèvres s’assécher, mais je trouve encore la force de répliquer, trop vite, trop faible :— Et toi ?Il ne répond pas, mais son silence me pèse plus que n’importe quel mot, il se penche légèrement vers moi, et quand ses doigts frôlent les miens, volontairement ou non, une secousse brutale me traverse, ma respiration se brise, et je détourne les yeux pour ne pas succomber tout de suite.Le serveur vi