Les heures s’étiraient lentement, et Noham se retrouva seul face au silence de la maison. Le carnet posé sur le sol, à côté de son matelas, le téléphone à portée de main, il repensait aux instructions murmurées par l’homme au manteau sombre.
« Je te contacterai quand les personnes à suivre seront là. »
Cette phrase tournait en boucle dans son esprit, autant rassurante qu’angoissante. Car l’attente était une épreuve. Attendre sans savoir, sans repère, sans action concrète. C’était là toute la difficulté de ce nouveau travail.
Il observa la lumière tamisée du vieux lampadaire à travers la fenêtre, cherchant dans ce halo une certitude qu’il ne trouvait pas. Sa vie ordinaire semblait suspendue à ce simple message, à ce futur indéfini.
Il se demandait ce que ces personnes avaient de si important, si dangereux. Pourquoi lui, un garçon simple du port, avait-il été choisi ? Était-il à la hauteur de cette mission ?
Son regard se posa sur le carnet, ce témoin silencieux de ses prochaines heures, de ses prochains jours. Il savait qu’il devait être prêt, vigilant et patient.
Et surtout, disponible. Alors il attendit.
Au lever du jour, Noham se prépara à aller au port pour aider un peu son père. Tant qu’à patienter, autant que ça serve à quelque chose.
La journée commençait à peine que le téléphone de Noham vibra. N’étant pas habituer à avoir un téléphone, il mit du temps à se rendre compte que la vibration venait de son appareil. Il s’éloigna discrètement et répondit :
— Bonjour, dit la voix de l’autre côté de l’appareil.
— Euh, bonjour.
— Tu commences le travail, cet après-midi. Les gens que tu vas devoir suivre sont arrivé. Ils seront dans un bâtiment désaffecté au sud de ton quartier. J’ai besoin que tu y aille avant 14h pour un repérage des lieux. Tu regardes tous les issus de secours possible et les points stratégiques pour un éventuel attaque. Tu te sens capable de faire ça ?
— Oui, j’en suis capable.
— Tant mieux, dès que tu as fini ton repérage, tu me contacte. C’est compris ?
— Oui, monsieur.
L’homme raccrocha. Noham se dit que finalement, son travail était trop facile. En même temps, un mot n’arrêtait pas de retenir son attention : « attaque ». Malgré lui, il frissonna légèrement.
Il retourna vers son père et fini de l’aider à décharger les caisses de poissons. Vers 11h, il retourna chez lui pour déjeuner vite fait et reparti vers le bâtiment indiqué par l’homme. Heureusement, il connaissait bien les lieux. Il venait souvent ici quand il n’avait pas encore douze ans. Son meilleur ami, Rija et lui, venaient souvent ici pour jouer. Maintenant qu’ils avaient tous les deux quinze ans, ils avaient moins de temps pour trainer ensemble. Travail oblige, ils devaient aider leurs parents respectifs.
Arrivé sur les lieux, Noham entra par la grande porte en métal du devant. Elle grinça mais s’ouvrit facilement. Il savait où se trouvait tous les sortis et quels sont les cachettes possible en cas d’attaque. Quant aux points stratégique pour contrer une attaque potentiel, il n’y en avait qu’un qui soit valable.
Il nota tous dans son carnet et sorti du bâtiment. Il n’appela son employeur que quand il arriva près du port.
— Tu as eu un problème à faire ton travail ?
Noham fronça les sourcils, furieux avant de rétorquer
— Non, pourquoi vous pensez ça ?
— Il est 14 h, je doute que tu aies déjà fini ce que je t’ai demandé.
— Et pourtant…Je suis arrivé en avance et j’ai terminé avant l’heure. Je connais très bien les lieux, ça m’a facilité les choses.
— Ah ! Tant mieux alors. Tu as tous noté dans le carnet ?
— Oui, tout y est.
— Bien. Je passerais te voir demain matin, tu me donneras tes notes. Au revoir.
— Au revoir.
Noham rangea lentement son téléphone dans sa poche, le cœur encore légèrement battant. Il s’était attendu à des félicitations, à un mot d’encouragement… mais son employeur n’avait rien laissé paraître. Juste des ordres. De la rigueur. Un ton neutre qui cachait peut-être beaucoup plus.
Il resta un moment planté là, sur le bord du quai, à fixer les mouvements lents des bateaux amarrés. Une brise salée lui caressa le visage, et pendant un court instant, tout lui parut irréel. Le carnet dans sa poche contenait des notes simples, presque banales. Et pourtant, il sentait que ce qu’il faisait avait du poids. Qu’il était au seuil de quelque chose de bien plus grand que lui.
Sur le chemin du retour, il croisa Rija, qui poussait un vieux vélo rempli de sacs de charbon.
— Salut mon pote, lança-t-il avec un sourire.
— Salut ! Ça fait longtemps ! Tu travail dans quoi maintenant ?
— Je livre des charbons chez quelques clients, je suis livreur maintenant. Et toi ? Tu viens d’où comme ça ?
— J’avais un truc à faire, répondit Noham en haussant les épaules. — Tu bosses encore au port ? — Pas exactement. C’est… un nouveau boulot. Je t’en parlerai peut-être un jour.Rija arqua un sourcil mais ne posa pas plus de questions. Il connaissait assez Noham pour savoir quand il valait mieux ne pas insister.
De retour à la maison, Noham trouva sa mère adoptive assoupie dans son lit. Il s’approcha doucement, remonta la couverture sur elle, puis s’assit au sol, adossé au mur. Il sortit son carnet, relut ses notes et ajouta un petit croquis de la disposition du bâtiment.
Puis il fixa longuement la page blanche suivante. Une envie étrange lui vint : écrire autre chose. Pas un rapport. Pas une observation. Juste ce qu’il ressentait.
Il hésita, puis écrivit en lettres un peu tremblantes :
"Je crois que ma vie est en train de changer. Je ne sais pas encore si c’est une bonne chose."Il referma le carnet. Il se demanda quand est ce que son vrai travail allait commencer, parce qu’il se doutait que ce travail de repérage n’était pas vraiment pour le plaisir de le tester.
La nuit tomba doucement sur le quartier. Noham, allongé sur son matelas, les bras croisés derrière la tête, fixait le plafond sombre. L’obscurité ne le dérangeait pas ; ce qui le perturbait, c’était cette sensation grandissante qu’il ne parvenait pas à expliquer. Depuis quelque temps, il se sentait différent. Pas malade, non. Juste… plus conscient. Des sons, des odeurs, même les émotions des gens semblaient parfois lui arriver comme des vagues, sans qu’il sache comment ni pourquoi.Il n’osa pas en parler à sa mère. Elle avait déjà assez à gérer avec sa santé fragile. Et puis, comment formuler ce qu’il ressentait sans passer pour un fou ?Son téléphone vibra dans le silence. Un message, cette fois.« Demain matin, 9 h. Même bâtiment. Tu ne seras pas seule cette fois. Observe, note tout, ne parle à personne…Et fait en sorte d’être le plus discret possible. »Il relut plusieurs fois les mots. Pas seul. Ce détail fit grimper son rythme cardiaque. Il ne savait pas encore à quoi s’attendre,
Les heures s’étiraient lentement, et Noham se retrouva seul face au silence de la maison. Le carnet posé sur le sol, à côté de son matelas, le téléphone à portée de main, il repensait aux instructions murmurées par l’homme au manteau sombre.« Je te contacterai quand les personnes à suivre seront là. »Cette phrase tournait en boucle dans son esprit, autant rassurante qu’angoissante. Car l’attente était une épreuve. Attendre sans savoir, sans repère, sans action concrète. C’était là toute la difficulté de ce nouveau travail.Il observa la lumière tamisée du vieux lampadaire à travers la fenêtre, cherchant dans ce halo une certitude qu’il ne trouvait pas. Sa vie ordinaire semblait suspendue à ce simple message, à ce futur indéfini.Il se demandait ce que ces personnes avaient de si important, si dangereux. Pourquoi lui, un garçon simple du port, avait-il été choisi ? Était-il à la hauteur de cette mission ?Son regard se posa sur le carnet, ce témoin silencieux de ses prochaines heure
Le jour suivant, Noham se réveilla bien avant l’aube, sans même attendre que le chant des coqs le tire du sommeil. Il resta un long moment allongé, les yeux ouverts dans la pénombre, écoutant le souffle calme de la ville endormis, les grincements du bois sous les rafales de vent matinal.Il savait qu’il devait aller au port. Pas pour aider son père. Pas pour livrer des cageots ou porter des planches. Mais pour lui. Pour l’homme au regard étrange.En sortant, il n’emporta rien, pas même son sac. Il dit simplement à sa mère qu’il devait régler quelque chose avant d’aller au chantier. Elle hocha la tête sans poser de questions. Dans leur quotidien, elle respectait les silences de Noham. Elle lui disait tout simplement de faire attention et qu’elle serait toujours là s’il avait besoin de parler.Le ciel était encore gris lorsqu’il arriva au quai. La mer s’étirait paresseusement, les filets gouttaient sur les planches trempées, et les bateaux tanguaient doucement à leur ancre. Il scruta le
Le lendemain matin, le port grouillait déjà de vie lorsque Noham arriva. Le soleil n’avait pas encore percé la brume, mais les voix criaient, les moteurs grondaient, et l’odeur du poisson frais mêlée à celle du gasoil saturait l’air.Comme chaque fois qu’il travaillait au port, il aida son père à décharger les paniers. Le vieil homme râlait en silence, mais ses gestes étaient précis, presque mécanique. Il avait ce genre de rudesse bienveillante que Noham avait appris à connaître depuis longtemps.— Dépêche-toi un peu, fiston. Le patron du chantier nous attend pour qu’on lui apporte les planches à neuf heures. On doit finir ici avant ça.Noham hocha la tête. Il avait l’habitude, depuis qu’il avait onze ans, à travailler avec lui dès qu’il n’avait pas école. Et même parfois quand il en avait. Il était obligé, ils devaient gagner toujours un peu plus chaque jour.Mais ce matin-là, quelque chose clochait. Il le sentit immédiatement.Noham marchait d’un pas rapide, le sac usé de son père s
Majunga, fin d’après-midi. Le vent venu du canal soulevait la poussière rouge des ruelles de sable. Les cris d’enfants résonnaient dans le quartier, mêlés au tintement des casseroles et à l’odeur persistante du charbon brûlé.Noham traversait la rue en courant, un seau d’eau à moitié rempli dans une main, une miche de pain sous l’autre bras. Il transpirait à grosses gouttes, le front barré d’une expression tendue. Il n’avait pas eu le temps de s’asseoir depuis le lever du soleil.Il avait maintenant quinze ans. Grand pour son âge, le regard sombre, le teint doré par le soleil, il portait des vêtements trop petits pour lui ou du moins, trop petit pour sa carrure. Des cheveux noirs en bataille, un corps déjà marqué par l’effort quotidien. Il n’était plus le petit garçon fragile de jadis, mais un adolescent taiseux, aux gestes précis, silencieusement fort.En arrivant devant la maison en tôle, il poussa la porte grinçante.— Maman, j’ai trouvé du pain.La voix faible de sa mère adoptive
TOME 1 LE SANG OUBLIEPROLOGUELe vent soufflait fort ce soir-là sur le port de Majunga, balayant les ruelles sombres de ses rafales salées. Les bourrasques s’infiltraient entre les tôles, faisaient gémir les vieilles coques échouées, et soulevaient des volutes de sable mêlées d’embruns. Dans ce décor presque irréel, la ville semblait figée dans un silence épais. Pas un bruit, pas un cri, pas même celui d’un oiseau nocturne. Seule la mer, infatigable, venait s’écraser en soupirs contre les rochers.La lune, pleine et ronde, régnait au-dessus du port comme un œil pâle scrutant le monde. Son éclat glacial baignait les façades décrépites, dessinait des ombres menaçantes au sol et semblait retenir le temps lui-même.Et puis soudain, un cri.Un cri faible. Brisé. Un son tremblant, presque étouffé, arraché à une gorge trop jeune.Rina s’immobilisa aussitôt. Son sac de charbon bascula de son épaule et tomba au sol dans un bruit sourd. Son cœur se serra sans qu’il sache pourquoi. Il tendit l