LOGINLivia referma son casier avec fracas, ses mains tremblantes de colère. Cela faisait des jours qu’elle subissait la méfiance et les manigances de certains collègues. Mais ce matin-là, le message anonyme reçu à l’aube avait été la goutte de trop.
“Tu n’es pas à ta place ici. Pars avant qu’il ne soit trop tard.”
Elle avait à peine dormi, et ses nerfs étaient à vif. Elle ne voulait plus rester dans cette entreprise. Pas après ces humiliations, ces regards lourds de jugement… et Raphaël Valcourt. Cet homme qui semblait la maintenir dans un jeu dont elle ne comprenait pas les règles.
Elle traversa le couloir en direction du bureau du PDG, ignorant les murmures qui l’accompagnaient. Une dernière fois, elle allait le confronter.
— Entrez, répondit sa voix grave.
Lorsqu’elle entra, il était assis derrière son bureau, ses doigts tapotant le bois verni. Ses yeux sombres se posèrent sur elle, glacials.
— Qu’y a-t-il, Mademoiselle Moreau ?
— Je… Je viens pour vous rendre ceci, dit-elle en déposant sa clé USB sur le bureau. Et… je démissionne.
Le silence s’abattit dans la pièce. Raphaël se leva lentement, contournant son bureau pour s’approcher d’elle. La hauteur de sa silhouette la fit instinctivement reculer.
— Vous pensez pouvoir partir ainsi ? demanda-t-il d’une voix basse, dangereuse.
— Je… Je ne supporte plus cette atmosphère. Et ces messages… Quelqu’un veut me nuire, et je n’ai pas signé pour ça.
Un sourire froid se dessina sur ses lèvres.
— Je vous ai choisie. Vous m’appartenez tant que je n’en ai pas décidé autrement.
Livia sentit une onde glaciale la traverser.
— Vous ne pouvez pas me retenir, souffla-t-elle.
— Essayez donc de partir, répliqua-t-il d’un ton qui lui fit comprendre qu’il ne bluffait pas.
Une violente dispute éclata alors. Elle l’accusa d’être la source de ses malheurs, lui lança qu’il se servait d’elle. Raphaël, d’ordinaire si maître de lui, haussa le ton.
— Vous croyez que je vous aurais laissé entrer dans mon monde si je ne vous avais pas jugée capable ?
Soudain, la sonnerie du téléphone coupa court à leur querelle. Raphaël décrocha, son expression se durcissant à mesure qu’il écoutait.
— Quoi ? répéta-t-il d’une voix sèche. Envoyez-moi la photo.
Livia le vit blanchir en consultant son écran. Il raccrocha brusquement.
— Votre voiture a été sabotée. Montez, je vous raccompagne.
— Qui aurait fait ça ? demanda-t-elle enfin, la voix presque un murmure.
— Ce n’est pas à vous de le savoir, répondit-il sèchement.
Un long silence s’installa. Puis il reprit d’un ton plus calme.
— Vous attirez l’attention de gens que vous ne devriez même pas croiser. Je vous avais prévenue.
Elle serra les poings sur ses genoux.
— Je ne vous ai rien demandé…
— Et pourtant, vous êtes là.
Livia tourna la tête vers lui, cherchant dans son visage une faille, une émotion. C’est alors qu’elle aperçut une cicatrice fine, à peine visible, courant le long de sa main droite. Sans réfléchir, elle demanda :
— Comment vous êtes-vous fait ça ?
Raphaël eut un léger mouvement, comme pris de court. Il serra aussitôt la main, la ramenant sur le volant.
— Ce n’est pas une histoire pour vous.
— Parce que vous cachez tout. Vous…
Elle s’interrompit. L’air semblait plus lourd, saturé d’une tension électrique.
La voiture s’arrêta devant son immeuble. Raphaël coupa le moteur et tourna lentement la tête vers elle. Ses yeux sombres se posèrent dans les siens, la clouant sur place.
— Vous ne comprenez pas encore dans quoi vous vous êtes embarquée, Livia…
Il se pencha légèrement, sa voix devenant un murmure bas et envoûtant.
— Mais bientôt, vous n’aurez plus d’issue.
Un frisson glacé remonta la colonne vertébrale de Livia. Elle se retrouva incapable de bouger, ses mains crispées sur son sac, alors qu’il la fixait toujours, son souffle effleurant presque sa joue.
Le message était tombé comme une gifle.Un écran noir. Une voix modifiée. Une silhouette indiscernable.Et cette phrase glaciale :« La vie de ta fille contre ta soumission totale. Un seul mot de travers… et elle disparaît pour de bon. »Depuis, Livia ne dormait plus. Ne respirait plus vraiment. Son cœur battait au rythme de l’attente, de la peur, du doute. Les heures s’étiraient, chaque minute emplie de scénarios cauchemardesques.Victor avait lancé ses équipes. Raphaël était en alerte. Les pistes se resserraient.Mais ce matin-là, c’est un message imprimé qui les attendait sous la porte de la maison.Un pli blanc. Anonyme.Livia l’ouvrit d’une main tremblante. Raphaël lisait par-dessus son épaule.**« Livia.Tu veux revoir ta fille. Tu veux qu’elle vive. Alors viens seule. Ce soir. 23h. Pas d’armes. Pas de renfort. Pas de Raphaël.Tu devras choisir. Et signer. »**Il n’y avait pas besoin de signature pour deviner.Marc-Antoine.Encore lui. Toujours lui.— C’est un piège, dit
Le papier craquait à peine entre ses doigts. L’encre avait eu le temps de sécher, mais les lettres, elles, saignaient encore.« Aime-la pour deux. »Raphaël avait écrit cette phrase sans trembler, sans rature, comme une sentence douce et irrévocable. Il n’y avait ni colère, ni regret. Juste l’évidence d’un choix. Livia relut la note une troisième fois, le cœur au bord des lèvres. Il ne s’était pas expliqué. Il n’avait pas détaillé. Il avait juste déposé ce morceau d’âme sur la table basse, entre une tasse à demi vide et le doudou oublié d’Anna.Elle recula d’un pas, comme si le papier pouvait brûler. Puis elle le saisit à deux mains, et le plaqua contre sa poitrine, là où le manque commençait déjà à creuser une brèche.Un cri monta en elle. Mais elle l’avala. Pas encore.Victor entra sans frapper.Il avait la mâchoire serrée, les traits tirés. Lui aussi avait vu la lettre. Et lui aussi savait ce qu’elle signifiait. Le rendez-vous était fixé dans une heure, quelque part dans un entrepô
La nuit à Port-Carmes avait l’odeur du sang ravalé.Victor et Raphaël s’étaient glissés à bord du cargo comme deux ombres entraînées à disparaître entre les caisses et les silhouettes nocturnes. Malgré les rotations de sécurité, la fatigue et les pots-de-vin faisaient leur œuvre dans les ports de transit. Un billet glissé au bon moment, une poignée de main codée — et les portes s’ouvraient.Mais ils ne trouvèrent aucune trace d’Anna dans la cale.Seulement un compartiment aménagé, vide. Trop propre. Trop récent.Un lit d’enfant, une couverture encore chaude. Un jouet oublié : un petit lapin en tissu, taché de rouge. Pas du sang. Du sirop de fraise. Raphaël le reconnut immédiatement. C’était celui qu’il avait offert à Livia, bien avant leur séparation. Il sentit son cœur se contracter. Anna avait été ici. Il la sentait dans l’air. Dans l’absence.— Il l’a déplacée, souffla-t-il.Victor hocha la tête, fouillant la pièce du regard.— Trop de silence. Trop de vide. Il savait qu’on viendra
Le silence n’était plus un refuge. Il était devenu une alarme hurlante, un vide rempli d’ombres. Livia restait figée dans le salon, les yeux rivés sur la chaise vide d’Anna. Chaque seconde s’étirait comme une éternité, chaque tic-tac de l’horloge claquait dans l’air comme une gifle.Victor était arrivé moins de dix minutes après l’appel paniqué de Raphaël. Il avait trouvé la maison ouverte, les vêtements d’Anna soigneusement pliés au pied du lit, et cette note, simple et cruelle, glissée sous l’oreiller :« À ton tour de souffrir. »— Il savait, murmura Victor en observant les lieux avec des yeux vifs. Il nous surveillait. Depuis longtemps. — Il a osé… balbutia Livia, le souffle coupé. Mon bébé… il a pris ma fille…Raphaël, debout près de la fenêtre, n’avait pas bougé depuis leur arrivée. Il était trop calme. Trop figé. Et dans ses yeux brûlait une rage glacée, celle qui naît quand l’amour est menacé dans sa forme la plus pure.— On va la retrouver, dit-il, enfin. Même s’il faut reto
Le cri de Livia fendit le matin comme une lame invisible.Un cri brut, arraché au fond de ses entrailles, un cri qui ne portait pas seulement la panique d’une mère — mais l’instinct primal d’un être qu’on vient d’amputer.Elle courait dans la maison, pieds nus, les mains tremblantes, les cheveux défaits, en appelant Anna.— Anna ! Anna, où tu es ?!La porte de la petite chambre était grande ouverte. Le lit, vide. La couverture encore froissée, la peluche posée au sol comme tombée de sa main. La fenêtre entrouverte. Et cette odeur étrange dans l’air. Quelque chose… d’anormal. Comme un courant d’air qui n’aurait pas dû passer là.— Non… non non non…Elle heurta la commode, tomba à genoux, le souffle haché. La pièce tournait. Tout tournait. Et sur le sol, juste devant la porte, elle le vit.Le papier.Plié en quatre, sans enveloppe, exactement comme la lettre laissée dans la chambre sécurisée, il y a des mois. Elle tendit la main avec la lenteur d’un automate.Sur la feuille, une phrase,
Le matin se leva sur un silence apaisant, presque irréel. Dans la petite maison, seuls les bruissements de la cafetière et les pas feutrés de Raphaël troublaient la quiétude. Livia dormait encore, lovée sur le canapé sous une couverture de laine. Ses traits s’étaient adoucis dans le sommeil, comme si les cauchemars l’avaient enfin laissée tranquille, ne serait-ce que pour quelques heures.Il l’observait en silence, une tasse entre les mains, sans oser la réveiller. Il aurait voulu figer ce moment. L’enfermer dans une bulle et la protéger de tout ce qui, il le savait, finirait par revenir.Car la paix, avec Livia, avait toujours un goût de sursis.Dehors, la rue s’éveillait lentement. Les volets s’ouvraient un à un. Un vélo grinçait sur les pavés. Le chant lointain d’un marchand ambulant résonna, familier. Mais Raphaël, lui, sentit autre chose. Une tension dans l’air. Quelque chose d’invisible, mais palpable. Comme une vibration sourde qu’on perçoit avant l’orage.Il se détourna de la







