Alessia
Je me parle à moi-même, les yeux rivés à mon reflet dans le miroir. Mon regard est trouble, mes joues rouges, mes lèvres encore gonflées par l’intensité du moment. Je me hais pour ce frisson qui me parcourt quand je repense à sa voix rauque dans mon oreille.
Un son.
Une vibration.
Mon téléphone.
Je sors de la salle de bain, attrape le portable sur la table. Un message.
Lorenzo : "Dors, princesse. Tu vas avoir besoin de toutes tes forces pour me résister."
Mon cœur bondit.
Je jette le téléphone sur le canapé, le souffle coupé.
Il joue avec moi. Il s’amuse.
Et le pire ? C’est que je sens déjà le désir remonter, là, entre mes cuisses.
Je serre les poings, furieuse contre lui. Contre moi-même.
Je ne suis pas à lui.
Je ne serai jamais à lui.
J’inspire profondément et me dirige vers la cuisine. Peut-être que manger quelque chose m’aidera à retrouver mes esprits. Mais alors que j’ouvre le frigo, une ombre se glisse derrière moi.
— "Tu ne devrais pas rester seule, Alessia."
Mon sang se glace.
Je me retourne brusquement.
Un homme est là. Grand, blond, un sourire froid sur les lèvres. Il porte un costume impeccable, une carrure massive. Il n’est pas seul. Deux autres hommes sont derrière lui, postés devant la porte d’entrée.
Je recule d’un pas.
— "Qui êtes-vous ?"
Le blond avance lentement.
— "C’est charmant ici. Un peu petit, mais ça fait l’affaire."
— "Sortez."
Il sourit.
— "Tu es la fille qui a réussi à attirer l’attention de Lorenzo De Luca. Félicitations. Mais tu sais ce que ça signifie, non ?"
Mon estomac se noue.
Je me raidis, le souffle court.
— "Je ne suis personne pour Lorenzo."
Le blond ricane.
— "Vraiment ? Alors pourquoi Lorenzo nous a demandé de veiller sur toi cette nuit ? Il semble penser que tu es importante."
Je serre les poings.
— "Je n’ai pas besoin de protection."
— "Ce n’est pas toi qui décides."
Il fait un pas de plus.
J’attrape le couteau posé sur le comptoir.
— "Restez loin de moi."
Il lève les mains en signe d’apaisement, son sourire s’élargissant.
— "Calme-toi, Alessia. Je suis là pour ton bien."
— "Alessia n’a pas besoin de toi."
La voix est basse, glaciale.
Mon cœur s’arrête.
Lorenzo.
Il est là, appuyé contre le chambranle de la porte, vêtu d’un costume noir parfait. Ses cheveux sombres sont négligemment coiffés, et son regard est tranchant, meurtrier.
Le blond se fige.
— "Lorenzo."
Lorenzo décroise lentement les bras, s’avance avec une aisance déconcertante.
— "Sortez."
— "On ne faisait que discuter."
— "Je n’aime pas discuter."
Sa voix est basse, glaciale. Il y a une menace explicite dans son ton.
Le blond recule légèrement, mais tente de garder contenance.
— "Pas de problème. On se retire."
Les deux autres hommes suivent le blond vers la sortie. Mais avant de franchir la porte, le blond se retourne vers moi.
— "Fais attention, Alessia. Être proche de Lorenzo a toujours un prix."
Il disparaît dans le couloir.
Lorenzo ferme lentement la porte derrière eux.
Je reste figée, le souffle court.
— "Qu’est-ce que c’était ?"
Lorenzo avance, son regard noir planté dans le mien.
— "Un avertissement."
Je secoue la tête, le cœur battant à tout rompre.
— "Je ne veux pas de ce monde. Je ne veux pas de toi."
Il s’arrête juste devant moi.
— "Je t’ai déjà dit que ce n’était pas toi qui décidais."
Je recule d’un pas, mais il me rattrape. Sa main se glisse derrière ma nuque, forçant mon regard à s’ancrer au sien.
— "Je vais te protéger, Alessia."
— "Je n’ai pas besoin de protection."
Il sourit, ce sourire froid et calculé.
— "Bien sûr que si."
Je le repousse violemment, la poitrine en feu.
— "Tu crois que tu peux m’acheter ? Me posséder ?"
Il rit doucement.
— "Je n’ai pas besoin de t’acheter, Alessia. Parce que quoi que tu en dises…"
Il s'approche encore, son souffle caressant ma joue.
— "Tu es déjà à moi."
Il me relâche soudainement et recule, le regard impénétrable.
— "Ne laisse plus personne entrer chez toi. Sauf moi."
Il ouvre la porte, se retourne une dernière fois.
— "À bientôt, princesse."
La porte claque.
Je reste seule dans l’appartement, le cœur battant à une vitesse folle.
Un avertissement.
Une menace.
Une promesse.
J’aurais dû avoir peur.
Mais tout ce que je ressens, c’est le frisson du danger.
Et le pire dans tout ça ?
J’ai envie qu’il revienne.
Je suis réveillée par le bruit de la pluie contre la fenêtre.
Mon corps est tendu, ma tête lourde. Je n’ai pas dormi, ou si peu que ça ne compte pas. L’écho de la soirée d’hier me hante encore. Lorenzo. Cet homme blond. Cette menace qui s’est insinuée dans ma vie comme un venin.
Je passe une main dans mes cheveux, inspirant profondément. Il faut que je reprenne le contrôle. Que j’arrête de me laisser happer par lui, par ce regard noir et cette voix qui s’insinue sous ma peau.
Mais comment lutter contre quelque chose qui s’impose avec autant de force ?
Je me lève et me dirige vers la cuisine. Mon appartement est plongé dans la pénombre. L’atmosphère est lourde, comme si les murs eux-mêmes retenaient leur souffle. J’allume la cafetière, le bruit rassurant du liquide noir m’offrant une distraction temporaire.
AlessiaLa maison de mon enfance me hantait, avant même que je ne la voie.Elle avait ce genre de silence qu’on entend de loin. Le genre de silence qu’on reconnaît, même sans l’avoir jamais traversé.Un silence qui a le goût du passé. Et parfois de la cendre.Le trajet s’est fait dans une densité presque irréelle.Pas une musique. Pas un mot de trop.Lorenzo tenait le volant comme on retient une vérité trop lourde. Ses phalanges blanches, son regard vissé à la route, et ce soupir qu’il n’a jamais poussé, mais que je sentais brûler sous sa peau.Il ne fuyait pas.Il revenait.Et c’était peut-être pire.Je n’ai pas demandé où nous allions.Je savais.C’était écrit sur ses épaules.Dans la tension de sa mâchoire.Dans ce besoin de retour, si proche de la fuite.Dans la manière dont il n’osait pas me regarder, comme s’il avait peur que je voie en lui quelque chose qu’il n’avait pas encore osé affronter.Quand la maison s’est dressée devant nous, j’ai eu l’impression que l’air s’épaississa
AlessiaIl n’était plus là, et pourtant, tout portait encore la trace de sa présence.Dans la chaleur encore tiède du drap, dans le creux à peine visible de son épaule sur l’oreiller.Dans la façon dont le silence de l’appartement vibrait encore de ses gestes, de sa voix.J’aurais pu croire que je l’avais rêvé. Mais non. La nuit était passée sur ma peau comme un aveu. Une nuit sans mensonge, sans masque, sans détour. Une nuit qui avait tout changé, sans rien promettre.J’ai marché jusqu’à la cuisine, pieds nus sur le carrelage froid. J’aurais voulu m’en moquer, mais je frissonnais. Pas seulement à cause de la température.Les gestes étaient simples. Ouvrir le placard. Prendre une tasse. Verser de l’eau dans la bouilloire.Mais mes mains tremblaient légèrement.Quelque chose en moi s’était déplacé, délogé.Je ne savais pas encore si c’était une fissure ou une renaissance. Mais c’était là. Inévitable.En buvant lentement le café brûlant, j’ai senti une tension remonter. Elle ne venait p
AlessiaJe ne sais pas combien de temps nous sommes restés là, emmurés dans le silence, ses bras autour de moi comme un rempart qu’aucun mot ne devait franchir. Ce n’était pas un silence vide. C’était celui qui suit les tempêtes, celui qui recouvre les gravats et les corps, celui où l’on retient sa respiration en espérant que rien ne se brise encore.Chaque respiration était une ancre. Chaque battement de son cœur contre ma tempe me ramenait d’un endroit où j’étais restée trop longtemps enfermée. Je ne pleurais pas. Je ne tremblais pas. Mais j’étais écorchée. Entièrement. Vivement. Et pourtant… vivante.J’aurais pu rester là toute la nuit. Toute une vie. Mais je savais que c’était impossible. Le monde allait revenir. Avec ses exigences, ses souvenirs, ses menaces. Il ne pardonne jamais longtemps ces instants de répit volés.— Tu dors ? a-t-il chuchoté.— Non.Il a resserré son étreinte, son menton contre mon crâne. Ses doigts effleuraient lentement ma colonne vertébrale, comme pour s’
AlessiaIl n’y avait plus que le silence, et ce battement sourd entre mes tempes.Le monde entier s’était refermé derrière nous. Comme une porte que l’on claque après avoir fui trop longtemps. Lorenzo était là, dans mon refuge, dans ce lieu où j’avais appris à recoller mes morceaux loin de lui. Là où chaque brique, chaque rideau, chaque livre portait l’empreinte d’une Alessia qui avait survécu.Et pourtant, c’était encore lui, toujours lui, que j’avais convoqué dans ces murs. Comme une brûlure qu’on gratte encore et encore pour s’assurer qu’elle ne guérisse jamais tout à fait.Je l’ai regardé sans parler. Mon cœur battait trop fort dans ma poitrine. Trop irrégulièrement. Trop bruyamment. Je sentais encore sa main serrer la mienne, comme s’il avait peur que je disparaisse. Comme si j’étais un mirage, et lui un homme qui avait trop erré dans le désert, les lèvres fendillées de silence.— Tu n’as pas froid ? a-t-il demandé, en me scrutant avec cette attention qui me brûlait.Je l’ai fixé
LorenzoLe jour s’était levé sans faire de bruit, glissant entre les volets comme une ombre timide qui ose à peine déranger le silence de la maison. Alessia était partie depuis plusieurs heures, sans un mot, laissant derrière elle une trace de chaleur dans le lit défait et l’odeur âcre de sa peau mêlée à la mienne.Je suis resté immobile, assis sur le bord du lit, les mains croisées sur mes genoux, le regard perdu dans ce vide qui s’étirait plus profond qu’un gouffre. J’avais cru qu’après la tempête, viendrait la paix. Mais il n’y avait que le fracas sourd des cendres sous mes pieds. Et cette douleur obstinée, comme un battement sourd, qui ne voulait pas s’éteindre.Chaque souvenir de la nuit précédente me revenait en éclats. Cette tension entre nous, ce fragile équilibre entre amour et rancune, entre désir et peur, comme si nos corps voulaient se réconcilier alors que nos âmes restaient blessées. J’avais senti ses mains hésiter, ses lèvres qui cherchaient un mot qui ne venait pas, sa
LorenzoElle dormait sans vraiment dormir. Son souffle heurté battait contre mon flanc comme une vague hésitante, retenue par quelque chose d’invisible et de trop ancien pour être nommé. Je sentais sa fatigue ancrée jusque dans ses os, dans cette manière qu’elle avait de ne pas complètement s’abandonner, même après m’avoir pris comme une tempête prend la mer : en brisant tout sur son passage.Mais même les tempêtes finissent par s’échouer.Je n’ai pas fermé l’œil.Pas une seconde.Je suis resté là, les yeux ouverts sur la pénombre, à écouter les bruits de la maison : le tic-tac distant de l’horloge du couloir, le craquement du bois sous les changements de température, son souffle. Ce souffle. Comme une prière ou une malédiction, je ne savais plus.Mon bras sous sa nuque, sa jambe jetée sur ma hanche, comme si son corps lui-même refusait d’admettre qu’elle me gardait là. Elle ne me repoussait pas. Mais elle ne m’appelait pas non plus. J’étais dans cet entre-deux fragile qu’on appelle p
LorenzoJe suis resté encore un moment devant la porte close. À écouter les battements du silence, à deviner ses larmes étouffées de l’autre côté. Mon cœur cognait plus fort que mes poings n’auraient su le faire. Mais je ne frapperais pas. Pas ce soir.Je ne suis pas venu pour imposer.Je suis venu pour m’offrir.Pour perdre.Pour tomber.Quand j’ai posé la main sur la poignée, j’ai cru qu’elle résisterait. Qu’elle me repousserait. Qu’elle me cracherait sa colère une dernière fois. Mais non.Elle n’était pas verrouillée.Et ce détail m’a arraché un frisson.Je suis entré.La lumière était basse, tamisée par les lourds rideaux tirés. Une odeur d’orage et de sueur flottait dans l’air, mêlée à celle de sa peau que je connaissais par cœur, comme un poison lent. Alessia ne s’est pas retournée. Assise sur le bord du lit, les coudes sur les genoux, la tête baissée, elle respirait comme on s’étrangle. Son dos se soulevait par à-coups, fragile et tendu comme un fil prêt à rompre.Je suis resté
AlessiaIl est resté là toute la nuit.Je le savais. Même sans le voir. Même sans ouvrir la porte. Sa présence était un poids dans l’air, une chaleur irrésolue dans le silence. À chaque fois que je m’approchais, j’entendais sa respiration derrière le bois. Calme. Contrôlée. Mais pas paisible. Jamais paisible.Lorenzo ne sait pas ce que c’est, la paix.Et moi, je suis fatiguée de la guerre.J’ai regardé la poignée plusieurs fois. Une dizaine. Une centaine. Comme si elle allait tourner toute seule. Comme si l’univers allait décider à ma place. Mais rien. Juste cette tension stagnante. Cette peur muette. Et la question qui revenait, lancinante, vrillée dans ma poitrine : et s’il ne partait jamais ?Quand je suis sortie, il s’est levé d’un seul mouvement. Pas brusque. Juste… comme s’il s’était tenu prêt. Comme s’il attendait ce moment depuis des heures, peut-être même depuis des années. Ses yeux me cherchaient déjà. Comme toujours.Il avait cette façon de me regarder qui me dérangeait. Pa
LorenzoJe suis resté là longtemps, seul dans la cuisine, les yeux fixés sur la tasse qu’elle avait laissée. Le café avait refroidi. Il portait la trace de ses lèvres. Un vestige d’elle. Une empreinte discrète, mais brûlante. Et ça m’a suffi pour tenir debout.Pas cette fois.Pas encore.Elle m’a giflé. Pas fort. Pas comme une punition. Mais comme un cri contenu trop longtemps. Un désespoir jeté à la figure. Ce n’est pas la claque qui m’a marqué. Ce sont ses yeux. Sa voix. Son absence de haine. Parce que ce n’est pas la colère que je redoute.C’est son indifférence.Je l’ai vue me regarder comme un étranger. Comme si elle essayait de reconnaître, en moi, quelque chose de vivant. Quelque chose d’humain. Et je n’étais plus sûr de pouvoir lui offrir ça.Je n’ai jamais su m’excuser. Pas vraiment. Pas comme il faut. J’ai appris à m’imposer. À corriger. À punir. À tenir. Mais pas à demander pardon. Pas à supplier. Ce mot ne traverse pas ma gorge. Il s’y coince, comme une lame.Mais ce que j