Amara
La nuit s'étend devant moi, sans fin, une mer d’obscurité, un bleu profond qui semble engloutir tout ce qui existe. Une brume noire flotte sur les ruines du temple, une présence palpable, comme si l’air lui-même se souvenait de ce qui s’est passé ici, d’une époque révolue. Le vent est faible, mais il porte avec lui l’écho d’un passé oublié, une prière murmurée par les pierres depuis des siècles.
Je marche en tête, le pas mesuré, les doigts serrés sur le pommeau de mon épée. Même si chaque ruine autour de moi m’évoque une partie du monde qui échappe à mon contrôle, je ne m’arrête pas. Je sais pourquoi je suis ici, je sais que ce temple cache la clé de mon avenir. Il n'y a pas de retour en arrière. Nous sommes arrivées trop loin, trop profondément dans cette quête pour faire marche arrière. Nous devons avancer.
Selene marche à mes côtés, silencieuse, ses yeux argentés scrutant chaque coin du temple, chaque fissure dans les murs. Elle semble sentir ce que je ressens. Il y a quelque chose ici, quelque chose qui vibre dans l’air, une chaleur insoutenable qui monte des pierres. Elle sait, tout comme moi, que ce n’est pas un hasard si nous sommes ici, dans cet endroit où l’énergie semble presque vivante. L’atmosphère est saturée de magie ancienne, une force que j'ai l’impression de pouvoir toucher.
Thalia, derrière nous, est plus pressée. Sa nervosité s'exprime dans le cliquetis de ses bottes qui frottent contre les pavés. Elle ne comprend pas encore l’importance de ce lieu, l’importance de ce que nous cherchons. Elle est toujours dans l’action, prête à se battre, mais je sais que, tôt ou tard, elle devra accepter que le pouvoir n’est pas toujours une question de force brute.
Je m’arrête devant une porte massive, faite de pierre noire, gravée de runes anciennes, effacées par le temps. Mais elles brillent légèrement, comme une invitation. Une chaleur surnaturelle s’en dégage, et je la sens jusque dans mes os. Mes mains se tendent instinctivement vers les runes, mais avant que je puisse les toucher, un rugissement brise le silence, un cri profond qui fait trembler le sol sous nos pieds. L’air se charge d’une énergie électrisante.
Thalia – « Qu’est-ce que… ? »
Je n’ai pas le temps de répondre. La porte éclate dans un fracas assourdissant, se déchirant sous l'impact d’une force invisible. L’air autour de nous devient soudainement insupportable, une chaleur écrasante, comme si quelque chose de vieux et de puissant venait de se réveiller. Un souffle chaud nous enveloppe alors que l’obscurité derrière la porte semble s’animer. Nous avançons, incapables de résister à l'appel, notre destin nous guidant plus sûrement que notre raison.
Lorsque nous pénétrons dans la pièce intérieure, une silhouette massive se dresse devant nous. Un loup, mais pas un simple loup. Sa fourrure est noire, parsemée d’écailles d’or scintillantes. Ses yeux, deux flammes jaunes, nous fixent avec une intensité glacée. Ce n’est pas une bête comme les autres. C’est quelque chose de bien plus ancien, une fusion entre le loup et le dragon. Un être mythologique.
L’air semble se figer. Chaque mouvement est suspendu. Nous restons là, figées, sous le regard de cette créature colossale. Puis, un murmure s’élève, une voix profonde qui vibre jusque dans mes os.
Eryx – « Qui ose troubler mon sommeil ? »
Son regard me transperce, et une pression invisible me serre la gorge. Je le fixe, déterminée. Cet être, cet Eryx, n'est qu'un obstacle de plus. Je le sens, une magie ancienne dans l'air, une puissance brute que j’ai toujours su exister, mais que je n’avais jamais rencontré en face à face. Je suis prête.
Je serre les dents et parle d'une voix ferme, même si quelque part en moi, l’adrénaline grimpe, la peur se mêle à la fascination.
Amara – « Nous sommes les héritières de la prophétie. Les reines de ce monde brisé. Et toi, Eryx, tu es notre clé. »
Il rit, un son rauque, dénué de toute chaleur, une dérision palpable dans ses lèvres. Il se redresse, sa silhouette devient encore plus imposante. Une présence qui me fait douter un instant. Je ne peux nier que sa magie me touche, me bouleverse, mais je ne flancherai pas. Il ne me connaît pas encore. Nous n’avons pas encore montré notre force.
Eryx – « Une clé, dis-tu ? Et que feriez-vous de ce pouvoir, mes chères reines ? Vous croyez pouvoir le manier ? Le comprendre ? »
Sa voix est un grondement sourd, un défi. Il se rapproche de nous, sa silhouette massive me dominée, son souffle lourd m’envahit. Mais je ne recule pas. Ni moi, ni les autres. Je sens la chaleur d’une force nouvelle en moi, prête à éclater.
Selene, calme, brise le silence. Elle parle avec une assurance glacée, mais une étincelle d’inquiétude brille dans ses yeux. Elle sait que nous ne sommes pas prêtes à tout comprendre. Ce n’est pas juste une question de pouvoir.
Selene – « Nous savons que tu es plus qu’un simple monstre, Eryx. Mais tu ne vois pas toute la vérité. »
Son regard ne quitte pas celui d'Eryx, mais une tension palpable se crée entre eux. Eryx se rapproche de Selene, ses mains glissant sur ses cheveux, comme s’il voulait tester sa réaction. Et tout à coup, une énergie presque électrique me traverse, me fait frissonner. C’est bien plus que de la magie. C’est un désir inavoué qui s’immisce entre nous. Ce n’est plus qu’une question de pouvoir. C’est plus intime, plus profond.
Eryx – « Tu veux jouer, Selene ? »
Le frisson est presque insoutenable. Je ressens cette attraction entre eux, cette tension invisible qui s'étend, s'intensifie.
Thalia, visiblement agacée par l'attitude d’Eryx, se jette sur lui dans un éclat de colère. Sa vitesse est fulgurante, mais Eryx est plus rapide. D’un simple geste, il saisit ses poignets et l’immobilise avec une facilité déconcertante. Il la regarde dans les yeux, une lueur de malice dans les siens.
Eryx – « Tu veux prouver ta valeur, Thalia ? »
Je les observe, le cœur battant plus vite. La magie qui m’envahit semble réagir à son pouvoir. Une chaleur, une attraction, une sensation qui me déstabilise un instant. Mais je ne laisse rien paraître. Je sais que nous sommes à un tournant. Une vérité naît en moi : il n’y a plus de retour. Nous sommes prises dans cette toile, avec lui, et nous devons avancer.
Je me fais entendre. Ma voix est ferme, mais quelque chose dans mon ton trahit un sentiment que je peine à contrôler. Une attraction, un désir.
Amara – « Ce n’est pas ce que nous voulons, mais ce que nous devons faire. »
Je fais un pas en avant, une main se posant sur l’épaule d’Eryx, et un frisson me traverse, un mélange étrange de puissance et de peur. Tout ici est brûlant. Tout ici nous consume. Je sais qu’aucune de nous ne pourra jamais revenir à la normale. Le destin est scellé. Il va nous détruire, mais aussi nous façonner.
Eryx – « Alors prouver ce que vous valez. »
Je sens que tout va basculer à cet instant. La magie entre nous s’éveille. Ce lien, cette promesse,
nous détruira peut-être, mais il nous reconstruira aussi.
ThaliaLes premières lueurs de l’aube se glissent timidement à travers les arbres dénudés. Le ciel, jadis si sombre, porte maintenant les couleurs d’un nouveau commencement. Un bleu clair, presque irréel, se mêle à la lumière rosée qui effleure la terre encore chaude de la veille. Le vent a cessé, et la paix semble aussi fragile que le verre, mais elle est là. Pour l'instant, elle est là.Je marche seule parmi les ruines, mes pas écrasant doucement la cendre, la terre encore humide sous mes bottes. Un parfum doux, de terre, d’herbes et d’embruns, flotte dans l’air. La nature, elle, reprend son souffle. Elle se régénère lentement, tout comme nous. Nous avons appris, à travers nos blessures et nos combats, que la résilience ne se trouve pas dans l’absence de douleur, mais dans la capacité à la transformer, à la canaliser pour faire naître autre chose.Chaque matin, en ce moment, je me réveille avec l'impression de n'être qu'à moitié là. Une partie de moi reste dans le passé, prisonnière
ThaliaLes étoiles brillent, mais elles sont faibles ce soir.Le ciel n’a jamais été aussi vaste, ni aussi silencieux. Ce silence n’est plus celui de la mort, ni celui de l’attente. C’est celui de l’espoir naissant. D’une vie qui se tisse lentement sous la lueur des cieux dévastés.Je me tiens sur la colline qui surplombe le Bastion. La nuit est fraîche. L’air emporte avec lui le dernier souffle des ombres.Sous mes pieds, la terre a repris un peu de sa couleur, un peu de son souffle. Les herbes repoussent là où le feu est passé, timides mais résolues. La cendre n’a pas tout recouvert. La vie, au contraire, a pris ses racines, là où nous avons semé l’espoir.Je ferme les yeux et laisse le vent me frôler. Chaque brise me rappelle la promesse d’un monde réinventé. Ce n’est plus la guerre qui nous lie, mais la guérison. Et même dans les plus sombres recoins de mon âme, une petite lumière a commencé à briller. C’est une lumière fragile, mais elle existe.Je me retourne. Amara me rejoint,
ThaliaTousEt dans le silence d’après,parmi les ruines, les cendres, les souvenirs brûlés,nous respirons.Nous reconstruirons.Pierre après pierre.Souffle après souffle.Serment après serment.Parce que nous sommes encore là.Parce qu’ils n’ont pas tout pris.Parce que même dans l’oubli, le feu trouve toujours un chemin.Et ce feu…c’est nous.Je descends du rempart, les jambes engourdies, le cœur encore trop bruyant.Chaque pas est une épreuve, non à cause de la douleur, mais parce que la réalité pèse désormais plus lourd que la peur. Le silence n’est plus une menace : il est un appel. Une page blanche. Et j’ai peur de mal l’écrire.Le Bastion tient.Nous sommes vivants.Mais que fait-on de cette victoire, quand tout autour ne sont que ruines ?— Tu ne dors pas ? me demande Amara, en approchant doucement.Je secoue la tête, les yeux rivés sur l’ancienne cour d’entraînement, désormais jonchée de débris et de restes calcinés. Là, autrefois, résonnaient les cris d’effort, les rires
ThaliaJe tombe à genoux.Non par faiblesse.Mais parce que la terre m’appelle. Parce qu’elle respire encore.Parce qu’elle saigne avec nous.Sous mes doigts, le sol vibre, tiède. Vivant.Comme un cœur enfoui sous des siècles de silence.Elle nous a entendus.La source n’a pas disparu.Elle s’est tue pour survivre.Et aujourd’hui, elle palpite encore, fragile, mais présente.Chaque pulsation est une réponse. Une promesse.Je ferme les yeux et pose mon front contre la pierre.Elle sent la suie, le sang séché, le passé.Mais au creux de tout ça… une chaleur.Ancienne. Inaltérable.Les ombres ont fui, mais leur venin rôde encore dans l’air.Il s’infiltre dans les pierres, dans nos veines, dans nos souvenirs.Il faudra du temps pour tout purifier.Peut-être une vie entière. Peut-être deux.Peut-être qu’on ne verra jamais la fin de ce combat.Mais on a planté quelque chose, ici.Une racine. Un feu souterrain.— Tu vas bien ? demande Amara.Je relève les yeux.Son visage est noirci de cendr
ThaliaLe sol tremble sous mes pieds.Pas violemment. Non.Comme une bête qui se réveille. Un grondement profond, enroué, ancien, qui monte lentement des entrailles du monde.Chaque battement de mon cœur résonne dans les pierres du Bastion, dans ses veines minérales, comme un écho venu d’un autre âge.Je m’accroche à la rambarde. Mes doigts blanchissent. Pas de peur. D’instinct. D’animalité.Amara s’approche.Elle ne dit rien. Elle n’a pas besoin.Elle sait. Elle sent. Elle brûle du même pressentiment que moi.Je lis dans son regard la même chose que dans le mien :Nous avons trop attendu.— Leurs pas ne résonnent pas, je murmure, le souffle tremblant.— Ils glissent, souffle Amara. Comme des spectres.— Ou comme des souvenirs. Qui refusent de mourir.Je me redresse.Autour de nous, les murs sont tendus comme des nerfs à vif.Chaque fenêtre, chaque fente, chaque brèche devient un œil ouvert.On nous regarde.Pas eux. Quelque chose d’autre.Quelque chose de plus ancien, de plus affamé,
ThaliaJe sens la tension vibrer dans le marbre.Chaque veine de la pierre résonne comme une corde tendue à l’extrême.Ils sont là. Tout proches.Invisible présence. Respiration étrangère.Je ne sais pas combien. Je ne sais pas où.Mais je sais une chose : ils ne fuient jamais l’annonce. Ils la suivent. Toujours.Comme des charognards assoiffés d’un dernier souffle.Leur flèche, plantée dans le pilier central, tremble encore.Un serment. Un avertissement. Un ricanement de mort.Je fixe le message.L’encre n’a pas coulé.L’écriture est droite, presque élégante.Aucune rature. Aucun mot de trop.Juste une phrase.« Le Néant réclame ce qui lui appartient. »— Il faudra barricader les niveaux supérieurs, je dis.— Ce ne sera pas suffisant, répond Amara, le regard fixé sur l’extérieur.— Rien ne l’est jamais, murmure Selène.Mais ce n’est pas une plainte.C’est un fait. Une vérité gravée dans nos os.AmaraJe m’avance jusqu’aux vitraux brisés.Le vent s’y engouffre, froid et tranchant, por
EryxJe suis là.Derrière les colonnes.Dans l’ombre des pierres qui brûlent encore du souvenir de leur triomphe.Elles sont debout.Les trois.Inflexibles. Inaltérables. Incorruptibles.Leurs silhouettes découpent la lumière filtrée à travers les vitraux éclatés.Elles ne tremblent pas.Elles n’hésitent pas.Elles reconstruisent.Je devrais fuir.Je le sais.C’est ce que ferait un homme sensé. Un homme libre. Un homme qui ne porte pas le poids des trahisons dans sa poitrine.Mais je ne suis plus cet homme.Peut-être ne l’ai-je jamais été.Je reste.Cloué par une force que je ne comprends pas.Ou peut-être est-ce précisément ça, le sens de la loyauté : continuer à regarder ce qu’on ne peut pas affronter.Je les observe.La salle est silencieuse, et pourtant, chaque pas qu’elles font claque comme un tambour.Chaque mot devient loi. Chaque geste, promesse.Elles ne prennent pas le trône : elles le réveillent.Comme si leur présence rendait à ces murs leur mémoire, leur majesté oubliée.
ThaliaLa salle retient son souffle.Les pierres se souviennent.Les murs vibrent. Les colonnes tremblent.Ce n’est pas la peur. C’est la mémoire.Le souvenir du pacte ancien.Des serments brisés.Des reines chassées.Je suis assise.Et lui, l’homme au rire sec, ne rit plus.Il pensait que notre retour ne serait qu’un murmure.Mais nous sommes le grondement.Son regard vacille.Il recule, une main sur la garde de son épée, l’autre sur l’accoudoir du trône qu’il a profané.Ce trône ne lui appartient pas. Il ne l’a jamais fait.Il l’a volé aux morts et piétiné les vivants.— Vous n’êtes que trois, murmure-t-il. Trois femmes contre un royaume.Je penche légèrement la tête.Et dans ma voix, il n’y a ni colère ni pitié.Juste la vérité. Inflexible. Tranchante comme un souvenir trop longtemps refoulé.— Trois reines. Pas trois femmes. Trois tempêtes. Trois volontés forgées dans l’exil.Trois cicatrices devenues armes. Trois cendres redevenues flammes.Il tire son épée.Il croit encore que l
ThaliaLe jour s’est levé sur une terre qui n’a plus peur.Le camp est derrière nous. Les cris, le sang, les adieux étouffés par la fureur.Les morts nous regardent depuis les cendres. Mais ils ne nous retiennent pas.Nous marchons.Vers le nord. Vers ce royaume que nous avions abandonné.Ils l’appelaient le Bastion Blanc.Un trône taillé dans la roche, entre les neiges et les flammes.Une forteresse de femmes. D’armes. De serments.Un refuge bâti sur les serments et défendu par le sacrifice.Je l’ai laissé derrière moi. Trop jeune. Trop amoureuse. Trop fatiguée.Je pensais fuir la guerre. Je ne faisais que retarder l’inévitable.Mais il m’attendait. Comme la lame. Comme le cri.Et aujourd’hui, je reviens.Pas seule.Amara marche à mes côtés. Les épaules droites, le regard fixe.Selène ferme la marche, la lame toujours propre, toujours prête.Nos capes claquent dans le vent. Nos pas frappent la pierre avec la régularité des tambours.Nous portons le même silence. La même rage. La même