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Chapitre 7

Author: Avril Laurent

Emma se sentait parfaitement sûre d’elle. Depuis tant d’années, Alice avait toujours évité toute situation susceptible de déplaire à son frère, même la plus insignifiante.

« Alors toi… » Alice allait répondre.

Mais Emma l’interrompait sèchement, déjà impatiente.

« Ça suffit, je n’ai pas le temps de bavarder. Mon amie m’attend. »

En suivant la direction de son regard, Alice a remarqué enfin, un peu plus loin, une jeune femme d’un âge proche de celui d’Emma, qui observait leur échange.

Avant de s’éloigner, Emma se penchait légèrement, abaissant la voix pour lancer son ultimatum. « Trois jours. Donne-moi le dessin. Sinon, je raconte exactement à mon frère ce que tu as fait aujourd’hui. »

Sans attendre la moindre réponse, elle est retournée à sa table.

« Emma, tu connais cette dame ? Pourquoi ne pas l’avoir invitée à s’asseoir avec nous ? » a demandé son amie avec curiosité.

« Je la connais oui, mais sans plus. Un simple salut suffit. »

Alice, qui rangeait son sac, s’est figée sur ces mots.

Sans plus ? Depuis la fin de ses études, Emma lui avait soutiré combien de dessins de design déjà ? Et maintenant, elle prétendait ne pas la connaître ? Rien d’étonnant pourtant : Marc refusait d’avouer publiquement qu’elle était sa femme ; comment sa sœur aurait-elle accepté de la présenter comme sa belle-sœur ?

Autrefois, cette remarque lui aurait transpercé le cœur. À présent… rien. Plus aucune vague d’émotion ne troublait sa poitrine. Elle n’avait plus l’intention de réchauffer un visage glacé avec la chaleur du sien.

Alice est partie du café d’un pas ferme, sans laisser la moindre trace de regret.

Mais la jeune femme assise face à Emma, elle, a continué de suivre Alice du regard tandis qu’elle s’éloignait.

« Chloé ? Qu’est-ce qu’il y a ? » a demandé Emma, vaguement inquiète.

Aurait-ce qu’Alice avait bavé en public sur l’identité de la « jeune madame » des Beausoleil ? Si quelqu’un apprenait que la femme du président M. de Beausoleil n'était qu’une ménagère sans talent, entièrement dépendante de son mari… quelle honte cela apporterait à la famille !

Chloé a sursauté légèrement avant de répondre.

« Rien… c’est que, l’homme avec qui elle buvait un café ressemblait beaucoup à Gabriel Rossi, le PDG de Lumière Star. »

Entendant cela — et surtout en constatant que ce n’était pas ce qu’elle craignait — Emma s’est détendue intérieurement.

« Lumière Star ? » Elle connaissait l’entreprise : jeune mais brillante, en pleine ascension, célébrée pour son style singulier.

Alice ? Avec le PDG de Lumière Star ? Elle ? Avec son niveau ?

« Impossible, Chloé, tu as dû te tromper. » a affirmé Emma, catégorique. « Je ne la connais pas très bien, mais je peux t’assurer qu’elle n’a aucune capacité réelle. Une femme au foyer qui ne sait faire que tendre la main pour demander de l’argent. Même pas un clochard ne voudrait d’elle. »

Au moins, un clochard gagnait son pain lui-même… Alice, elle, vivait entourée de domestiques, se contentant d’être entretenue. Lui donner de l’argent était déjà du gaspillage.

Devant l’assurance d’Emma, Chloé n’a pas poursuivi. Peut-être s’était-elle effectivement trompée.

Sur le chemin du retour, Alice est passée faire quelques courses. En rentrant dans son appartement, elle est allée directement à la cuisine pour préparé les ingrédients. Au moment de commencer à cuisiner, un détail l’a frappée : parmi tous les ingrédients achetés, il y avait les asperges que Marc aimait particulièrement, les petites carottes adorées par Charlotte…mais pas une seule chose qu’elle, Alice, aimait manger.

La main tenant le couteau est restée suspendue. Elle a fixé les aliments quelques secondes, puis, d’un geste soudain, les a repoussés sur le côté. Elle a ouvert un placard, a sorti un pot de harissa rouge vif. Elle n’avait plus aucune envie de préparer le repas « parfait » auquel la famille de Beausoleil s’était habituée.

Dans le XVIe arrondissement, au manoir des Beausoleil.

Lorsque Marc est rentré avec sa fille, il était déjà plus de neuf heures du soir. L’habituelle petite veilleuse du vestibule était éteinte. Le salon, plongé dans une tranquillité glacée, n’était rythmé que par le tic-tac régulier de l’horloge murale.

Marc a froncé les sourcils. « Madame Bouchard, Madame n’est pas encore rentrée ? »

La gouvernante, accourant pour les accueillir, se tortillait les mains sur son tablier.

« Monsieur… non, pas encore… »

Charlotte a serré les bretelles de son cartable, le visage serré. À cette heure-ci, maman aurait dû les attendre à la porte, lui demander si maman lui a manqué à l’école.

Mais cela faisait deux jours que maman prétendait devoir « travailler », et personne ne lui préparait sa mousse aux fraises préférée.

La petite s’est mordue les lèvres, le cœur en désordre. Pourquoi maman ne pouvait-elle pas rester à la maison comme avant ? Elle n’était pas comme Julia, si talentueuse et élégante… pourquoi vouloir la copier ?

Au début, l’absence de sa mère lui avait semblé merveilleuse : plus personne pour la restreindre. Pizza, saucisses, frites… coucher tard… la liberté totale. Mais après deux jours d’excès, elle rêvait soudain du potage provençal que cuisinaient par les mains douces de sa mère.

Des choses qu’elle obtenait autrefois sans même demander… devenaient désormais impossibles à retrouver. La frustration lui montait à la gorge.

Elle a voulu appeler sa mère, mais cela lui paraissait trop humiliant. Et si maman croyait qu’elle ne pouvait pas se passer d’elle ? Elle la surveillerait encore plus.

Alors elle s’est tournée vers la seule personne qu’elle pensait toute-puissante.

« Papa… appelle maman. Dis-lui de venir me faire du potage, s’il te plaît ? »

Maman obéissait toujours à papa. Si papa demandait, elle reviendrait forcément.

« Appelle-la toi-même. » Marc a monté l’escalier sans même ralentir.

La bouche de la petite s’est tordue, prête à pleurer.

Elle voulait tellement le potage de maman… et ses crêpes aussi…

Son regard a croisé alors celui de Madame Bouchard, affairée dans le salon. Ses yeux s’illuminaient. Elle a trottiné jusqu’à elle.

« Madame Bouchard ! Appelle ma maman tout de suite ! Dis-lui que papa veut qu’elle rentre faire le dîner ! »

Face à la petite, la gouvernante sentait ses doigts trembler légèrement sur le tissu de son tablier.

Les boucles dorées de Charlotte étaient ornées d’une barrette en forme de fraise. Ses yeux ambrés brillaient comme des raisins mouillés de rosée. Mais ses petits bras sur les hanches, son ton autoritaire… tout cela brisait net cette douceur enfantine.

« Madame Bouchard, vous êtes sourde ? » Charlotte a frappé du pied, les perles de sa robe de princesse tintant sous le mouvement. « Si vous n’appelez pas, je dis à papa de vous renvoyer ! »

La gouvernante a soupiré silencieusement, a fini par sortir son téléphone et a composé le numéro d’Alice.

Alice lisait les dossiers de création envoyés par Gabriel quand son téléphone a vibré. En voyant apparaître le numéro de Madame Bouchard, elle est restée un instant surprise.

« Madame… » La voix de la gouvernante a résonné, hésitante et tendue. « Mademoiselle Charlotte voudrait manger votre cuisine… Pourriez-vous… revenir un moment ? »
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