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Chapitre 2

Author: Nyx Evernight
last update Last Updated: 2025-07-11 02:19:23

En sortant, elle prend le métro. Elle attend sur le quai, l’air glacé d’octobre s’insinue sous ses vêtements, la brume accroche les réverbères. Son téléphone vibre : un message de Marc et Théo. Ils sortent ce soir, Lisa et Emilie seront là aussi, ils veulent qu’elle vienne. Une autre soirée à s’enivrer ensemble. Puis une notification Tinder : une photo explicite d’un homme, manifestement très fier de lui, qui la tient dans sa main comme on présente une bouteille millésimée. Elle pouffe, referme l’app, et prend la direction du bar.

Dehors, la nuit est déjà tombée. Le bar, lui, est plein à craquer. Les étudiants débordent jusque sur le trottoir, clopes au bec, éclats de rire qui montent dans l’air glacé. Moira pousse la porte, une vague de chaleur et de musique l’engloutit aussitôt. Les lampions multicolores, les guirlandes lumineuses, les tables en bois collantes, les serveurs débordés… tout transpire la vie.

Elle les repère vite : Théo, grand, mince, costume toujours parfait même ici ; Marc, petit et avenant, son sourire réchauffe tout autour de lui ; Lisa, grande blonde à l’allure de poupée glacée mais au rire tonitruant ; et Emilie, une jeune femme gracile, la peau sombre comme de l’acajou poli qui capte la lumière des guirlandes, ses traits fins illuminés par deux grands yeux bruns brillants. Ses cheveux sont tressés et remontés en un chignon délicat, quelques mèches libres caressant sa nuque.

Sa bière l’attend déjà. Quand elle arrive, ils l’accueillent avec des applaudissements et des rires. Elle fait une révérence exagérée, attrape sa pinte, s’installe avec un soupir de contentement. Autour d’eux, le bar bruisse de conversations, de verres qu’on cogne, de musiques trop fortes. Ça sent la bière, le sucre et un peu la sueur.

— Alors, comment étaient tes élèves aujourd’hui ? raille Théo, amusé.

— Sages ? Non. Passionnés. Ce qui est pire.

Ils rient, trinquent. Pour quelques heures, le monde extérieur peut bien attendre.

Ils boivent ensemble, tassés autour d’une table trop petite, les verres se frôlant, les rires roulant comme des vagues. L’ambiance du bar est toujours aussi électrique, la musique un peu trop forte oblige à se pencher pour s’entendre, et ça les rapproche encore plus.

Lisa est la première à briser le cercle des banalités.

— Vous savez sur quoi je bosse en ce moment ? Un papier sur cet enfoiré de Laurent Dalmas. Le type fait trimer ses salariés comme des bêtes, paie au lance-pierre, harcèlement moral et j’en passe. J’ai recueilli assez de témoignages pour couler son image.

Son regard clair brille d’une fierté combattive. Moira hoche la tête, admirative. Lisa a toujours eu ce don pour aller au front.

Théo, adossé nonchalamment à sa chaise, soulève un sourcil amusé.

— Dalmas, tu dis ? Ça tombe bien, c’est moi qui le défends.

Lisa éclate de rire, le frappe gentiment sur l’épaule.

— Évidemment. T’as pas honte de protéger ces salauds ?

— Pas le moins du monde. J’aime gagner, tu le sais. Et puis, si j’le fais pas, un autre le fera. Autant que ce soit moi, au moins je prends cher.

— T’es un vrai requin.

— Et c’est pour ça que vous m’adorez.

Marc intervient, coupant court à la joute.

— Allez, assez parlé boulot. Sinon vous allez finir par vous étriper pour de bon. (Il se tourne vers Moira, un sourire goguenard accroché aux lèvres.) Et toi ma belle, toujours à la recherche du grand amour ?

Moira prend une gorgée de bière, hausse les épaules.

— Je cherche pas l’amour, Marc. Juste de quoi réchauffer mon lit. L’amour, c’est surfait.

Elle sort son téléphone, leur montre la photo reçue plus tôt, le mec fièrement dressé, la main en étendard.

— Regardez-moi ça… On dirait qu’il présente son trophée de pêche.

Ils éclatent de rire, à s’en tenir le ventre. Théo manque de recracher sa gorgée. Lisa en pleure presque.

— Oh putain, Moira… tu les attires vraiment tous, hein ? — se moque-t-elle.

— C’est ça mon talent secret.

Ils continuent à boire, à parler fort pour couvrir la musique, à se chambrer sans la moindre méchanceté. Le bar est devenu un petit cocon où rien de grave ne peut les atteindre.

C’est à ce moment-là qu’Adam apparaît, sorti de nulle part, toujours aussi impeccable dans son pull gris, ses cheveux blonds décoiffés juste comme il faut, et ce sourire irrésistible. Il s’approche de Moira avec un air faussement timide.

— Vous permettez, Madame, que j’offre une bière à ma prof préférée ?

Moira lève les yeux au ciel mais sourit malgré elle. Elle accepte la chope qu’il lui tend.

— C’est gentil, Adam. Mais je suis venue ici pour boire avec mes amis, pas pour gérer mes élèves.

Elle le chasse doucement, sa main effleurant son bras dans un geste presque tendre. Adam hausse les épaules, l’air de dire « je tente ma chance, au cas où », puis s’éloigne non sans lui lancer un dernier regard brûlant.

Moira soupire, porte sa bière à ses lèvres… et sent quelque chose sous son verre. Elle soulève discrètement la chope : un petit morceau de papier plié. Son cœur rate un battement, ridicule. Elle le déplie, découvre un numéro gribouillé à la va-vite, accompagné d’un petit cœur maladroit.

Ses amis se penchent aussitôt, flairant la curiosité.

— Oooh, qu’est-ce que c’est que ça ?! — s’écrie Lisa, toute excitée.

Moira rougit, grogne.

— Rien du tout. Un gosse qui s’imagine des choses.

— Dis donc, la prof est en train de tomber amoureuse ? — taquine Marc, les yeux pétillants.

— La ferme. Je vais le jeter, ton bout de papier.

Elle hésite pourtant. Ses doigts froissent doucement la note, prête à l’arracher, mais au dernier moment, elle la glisse dans la poche de sa veste. Pourquoi ? Elle-même ne sait pas vraiment. Peut-être juste pour la douceur de se sentir désirée.

La soirée continue, les éclats de voix montent, la bière coule à flot. À un moment, Moira croise le regard d’un homme accoudé au bar. Grand, ténébreux, des épaules solides sous un pull anthracite, des yeux sombres qui rient déjà. Elle le fixe une seconde de trop, puis sourit. Il lui rend son sourire, se décolle du comptoir, vient vers elle.

Leur conversation est simple, presque banale, mais la tension est là, immédiate, électrique. Moira rit à ses blagues, sa main frôle son avant-bras. Ses amis la regardent faire, hilares. Adam, resté dans un coin du bar, observe la scène d’un air blessé, jaloux, avant de s’éclipser sans un mot.

Finalement, Moira se lève, attrape la main du bel inconnu. Elle jette un dernier regard à ses amis.

— Ne m’attendez pas. Je crois que j’ai trouvé de quoi réchauffer mon lit.

Ils explosent de rire, la félicitent, Lisa tape dans ses mains comme une gamine. Puis Moira disparaît dans la nuit froide d’octobre, son écharpe voletant derrière elle, son cœur battant plus vite qu’elle ne l’aurait cru possible pour un simple inconnu.

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