EdenLisbonne : début d’après-midiIls sont partis.Et avec eux, le silence a changé.Ce n’est plus celui de l’attente, ni de la guérison.Ce n’est plus celui qui pèse ou qui prépare.C’est un silence creux.Mais ce creux n’est pas vide.Il est habité. Chargé.Un creux qui respire encore de leur passage, de leur poids, de ce qui a été laissé.Un silence qui palpite, comme une cicatrice qui ne saigne plus mais qui vibre encore au toucher.Je n’ai pas bougé.Je suis restée là, assise au sol, dos contre le mur, jambes croisées sous moi.Le plateau est toujours là. Le thé tiédi. Le pain entamé.Tout est figé, mais rien n’est mort.Je respire lentement.Pas pour me calmer.Pour ressentir.Les fibres du parquet sous moi.Les veines du bois.La lumière diffuse sur les murs.La trace infime de leurs présences.Mais surtout, la sienne.Aleksandr.Il est encore là, même absent.Je ne devrais pas penser ça.Mais il faut nommer ce qui revient.Il faut reconnaître ce qui réclame.Il y a en lui que
EdenLisbonne : fin de matinéeAppartement de l’ombre et du souffleLe silence est dense.Pas oppressant. Pas douloureux.Mais solennel. Chargé d’un écho ancien.Il s’installe comme un souffle oublié, un murmure sacré qui a traversé les âges.Il imprègne les murs, la poussière suspendue dans la lumière, le bois craquant sous les pas.Mais surtout, il vibre entre nous.Je suis là. Assise. Présente.Pas comme une spectatrice.Pas comme une prêtresse non plus.Mais comme une sœur d’âme, une mémoire vivante du feu qui réclame.Ils dorment encore. Étendus l’un près de l’autre.Pas dans une étreinte.Dans un équilibre. Une tension douce, intacte.Comme deux braises côte à côte, dont la chaleur ne se mêle pas encore, mais dont l’incandescence s’accorde.Mais c’est lui que je regarde.Aleksandr.Sa peau est encore pâle, ses traits tirés, mais quelque chose a changé.Ce n’est pas la guérison.C’est un décalage subtil. Comme un voile qui serait tombé de ses yeux.Et même dans le sommeil, je sen
MaëlysLisbonne , appartement d’Eden matinLa lumière du matin filtrait à travers les volets entrouverts, douce, presque fragile, telle une caresse silencieuse. Elle dansait dans l’air immobile, dessinant des volutes dorées sur les murs défraîchis, caressant le parquet marqué par le temps, comme si chaque grain racontait une histoire oubliée. L’appartement semblait hors du monde, un sanctuaire suspendu entre passé et présent.L’air lui-même portait un mélange subtil d’herbe fraîchement coupée et de résine brûlée, comme un feu qui s’estompe lentement, laissant derrière lui une odeur mêlée d’espoir et de mélancolie.Je restai là, appuyée contre l’encadrement de la porte, mon corps encore endolori, chaque muscle vibrant de la tension accumulée, prêt à lâcher prise mais refusant de céder. La fatigue pesait sur mes paupières lourdes, mais au fond de moi brûlait une flamme fragile, une lumière vacillante qui refusait de s’éteindre.À mes côtés, Aleksandr était immobile, silencieux, comme fi
Maëlys4h08 — Chambre 204, retour d’ombreNous n’avons pas parlé pendant tout le trajet du retour.Le feu derrière nous continuait de brûler quand nous avons quitté les docks.Les sirènes commençaient à hurler, mais elles semblaient lointaines, irréelles.Le monde autour criait, et nous, on n’écoutait plus rien. On ne regardait plus rien.Pas un mot. Pas un regard.Comme si parler aurait cassé quelque chose de fragile, de dangereux.Je suis montée dans la voiture comme on monte dans un cercueil ouvert.J’ai senti le poids du silence entre nous.Pas un silence vide.Un silence plein.Rempli de ce qu’on ne sait pas encore dire. De ce qu’on n’a pas le droit de dire.Pas ce soir.Et maintenant, me voilà ici.La porte de la chambre se referme derrière moi avec un claquement sec.Un son net. Définitif.Aleksandr entre à son tour. Il ne dit rien. Il pose ses clés. Sa veste. Il ne me regarde même pas.Mais je sens son souffle.Sa tension.Son silence.Il retire sa chemise sans hâte. Un bouton
Maëlys23h12 — L’hôtel sans nom, MarseilleJe n’ai pas dormi.Depuis qu’on est arrivés, j’ai marché dans la chambre comme une bête en cage.Aleksandr ne m’a rien dit. Il m’a juste tendu un verre d’eau. Il est resté assis dans un fauteuil, les coudes sur les genoux, silencieux. Présent. Étonnamment vivant dans son calme.Mais moi, je ne peux pas me poser. Pas encore. Pas maintenant.Il y a trop de tension dans mon corps. Une énergie brute, acide, qui cherche une issue.Ce soir, c’est comme si tout en moi cherchait à me fuir. Ma peau me brûle. Ma gorge est sèche. Et mes souvenirs sont… flous. Tordus. Comme s’ils étaient enfermés dans une chambre noire à double fond. Quelque chose pulse dans mon crâne, une vérité que je ne veux plus repousser.Je me penche au-dessus du lavabo. L’eau glacée sur mon visage me réveille un peu, mais pas assez. Pas vraiment.Je veux me souvenir. Je veux savoir. Je veux sentir chaque chose qu’ils m’ont volée.Même si ça fait mal. Surtout si ça fait mal.00h47
Maëlys16h14 — L’entrée interditeLe manoir est à l’image de ce que j’ai toujours redouté chez Aleksandr : froid, imposant, figé dans le temps.Pas un de ces lieux habités par des fantômes.Non. Ici, ce sont les secrets qui hantent les murs. Les silences étouffés. Les souvenirs qu’on n’ose pas nommer.Il ne dit rien quand on franchit les grandes grilles de fer forgé.Pas un mot non plus lorsqu’il coupe le moteur devant l’entrée envahie de lierre.Mais moi, je sens tout.Chaque pierre semble porter un souvenir. Chaque marche nous observe. Chaque fenêtre noire paraît prête à nous avaler.Je sors de la voiture. L’air est plus froid ici, plus dense.Il me regarde un instant, puis tire une chaîne de son cou. Trois clés y pendent, différentes par la forme et l’usure, mais chacune lourde de sens.— C’est ici que ton père t’a emmené ? demandé-je à mi-voix.Il hoche la tête, les yeux ailleurs.— Une seule fois. J’avais treize ans. Il m’a dit : "C’est là que tu comprendras ce que tu es vraiment