Eden
Le silence est plus oppressant que la peur. Il s’étire, dense, saturé de ce parfum métallique qui colle aux murs et à ma peau. Aleksandr ne parle pas. Il se contente de me fixer, ses doigts toujours agrippés à mon menton, me forçant à soutenir son regard.
— À moi.
Ses mots résonnent encore, lourds de promesses et de menaces. Mon cœur tambourine dans ma poitrine, mais je refuse de détourner les yeux. Je ne lui donnerai pas la satisfaction de voir la peur dans mon regard.
Un rictus tord ses lèvres.
— Tu essaies de faire l’insolente, hm ?
Sa voix est un murmure tranchant, une caresse empoisonnée. Lentement, il effleure mon cou du bout des doigts. Une pression à peine perceptible, mais qui me fait tressaillir malgré moi.
Son sourire s’élargit.
— Intéressant.
Ses mains descendent, effleurent la corde qui enserre mes poignets. En un geste fluide, il sort une lame et tranche le lien. Mes bras s’affaissent aussitôt, engourdis par la douleur.
Je n’ai pas le temps de reprendre mes esprits qu’il me soulève d’un mouvement sec, me jetant sur son épaule comme si je n’étais qu’un vulgaire fardeau.
— Qu’est-ce que tu fais ?!
Ma voix est rauque, brisée par l’angoisse. Je me débats, frappe son dos du poing, mais cela ne lui arrache même pas un soupir. Il avance d’un pas assuré, ignorant les corps étendus à ses pieds, traversant le couloir sans la moindre hésitation.
— Je récupère ce qui m’appartient.
Ses mots sont un couperet.
Je ne peux pas être à lui.
Je refuse.
Mais alors que je lève la tête, que j’aperçois ce qui nous attend au bout du couloir, mon souffle se bloque dans ma gorge.
L’extérieur.
La nuit est tombée, et au-delà de la porte grande ouverte, une voiture noire aux vitres teintées nous attend, moteur allumé. Deux hommes en costume sont postés à l’entrée, le regard neutre, impassible.
C’est une organisation.
Un réseau.
Pas un simple criminel, pas un tueur en série isolé. Aleksandr est un homme de pouvoir. Un monstre avec des ressources.
Je vais mourir.
Ou pire.
Il m’installe sur la banquette arrière sans aucune douceur, refermant la portière sur moi avant de contourner le véhicule. J’aurais pu courir. J’aurais dû. Mais mes jambes sont encore trop faibles, et au moment où je tente d’ouvrir la portière, j’entends le verrouillage automatique.
Piégée.
La portière côté conducteur s’ouvre. Aleksandr s’installe au volant. Il me jette un bref regard, un sourire amusé flottant sur ses lèvres.
— Attache ta ceinture.
Je le fusille du regard. Il éclate de rire.
Le moteur vrombit, et en quelques secondes, nous filons dans la nuit.
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La route est longue. L’asphalte défile sous les roues, le ronronnement du moteur se mêle à ma respiration saccadée. Je ne pose pas de questions. Je sais qu’il ne me répondra pas.
Aleksandr ne parle pas non plus. Il se contente de conduire, d’une main légère mais assurée, comme s’il avait tout son temps.
Puis, au bout d’une trentaine de minutes, il ralentit.
Un immense portail en fer forgé s’ouvre devant nous. Derrière, une allée bordée d’arbres, et au bout…
Un manoir.
Massif. Élégant. Imposant.
Rien à voir avec un repaire miteux de criminel. Cet endroit respire l’argent, le pouvoir et le danger.
La voiture s’arrête. Aleksandr descend en premier, vient ouvrir ma portière.
— Sors.
Je croise les bras.
— Si tu veux que je bouge, tu vas devoir me porter.
Un défi.
Une provocation.
Son regard s’assombrit. Lentement, un sourire étire ses lèvres.
— D’accord.
Et avant que je ne puisse reculer, il me saisit par la taille et me jette sur son épaule, encore.
— Putain, mais lâche-moi !
Il rit.
Un rire rauque, bas, qui résonne contre mon ventre pressé contre son épaule. Il me porte sans effort, traversant l’allée de marbre jusqu’à l’entrée du manoir.
Les portes s’ouvrent automatiquement.
L’intérieur est pire que ce que j’imaginais.
Du marbre noir, des lustres en cristal. Une cheminée où crépite un feu ardent. Des canapés en cuir, un escalier immense qui mène à l’étage.
Luxueux. Étouffant. Mortel.
Il me dépose dans le hall. Ses doigts agrippent mon menton, me forçant à lever les yeux vers lui.
— Tu es à moi maintenant, Eden.
Son souffle caresse ma peau.
— Tu vas
apprendre ce que ça signifie.
Et dans son regard, je vois tout.
L’enfer.
La passion.
Et une promesse dévastatrice.
MaëlysLisbonne , appartement d’Eden matinLa lumière du matin filtrait à travers les volets entrouverts, douce, presque fragile, telle une caresse silencieuse. Elle dansait dans l’air immobile, dessinant des volutes dorées sur les murs défraîchis, caressant le parquet marqué par le temps, comme si chaque grain racontait une histoire oubliée. L’appartement semblait hors du monde, un sanctuaire suspendu entre passé et présent.L’air lui-même portait un mélange subtil d’herbe fraîchement coupée et de résine brûlée, comme un feu qui s’estompe lentement, laissant derrière lui une odeur mêlée d’espoir et de mélancolie.Je restai là, appuyée contre l’encadrement de la porte, mon corps encore endolori, chaque muscle vibrant de la tension accumulée, prêt à lâcher prise mais refusant de céder. La fatigue pesait sur mes paupières lourdes, mais au fond de moi brûlait une flamme fragile, une lumière vacillante qui refusait de s’éteindre.À mes côtés, Aleksandr était immobile, silencieux, comme fi
Maëlys4h08 — Chambre 204, retour d’ombreNous n’avons pas parlé pendant tout le trajet du retour.Le feu derrière nous continuait de brûler quand nous avons quitté les docks.Les sirènes commençaient à hurler, mais elles semblaient lointaines, irréelles.Le monde autour criait, et nous, on n’écoutait plus rien. On ne regardait plus rien.Pas un mot. Pas un regard.Comme si parler aurait cassé quelque chose de fragile, de dangereux.Je suis montée dans la voiture comme on monte dans un cercueil ouvert.J’ai senti le poids du silence entre nous.Pas un silence vide.Un silence plein.Rempli de ce qu’on ne sait pas encore dire. De ce qu’on n’a pas le droit de dire.Pas ce soir.Et maintenant, me voilà ici.La porte de la chambre se referme derrière moi avec un claquement sec.Un son net. Définitif.Aleksandr entre à son tour. Il ne dit rien. Il pose ses clés. Sa veste. Il ne me regarde même pas.Mais je sens son souffle.Sa tension.Son silence.Il retire sa chemise sans hâte. Un bouton
Maëlys23h12 — L’hôtel sans nom, MarseilleJe n’ai pas dormi.Depuis qu’on est arrivés, j’ai marché dans la chambre comme une bête en cage.Aleksandr ne m’a rien dit. Il m’a juste tendu un verre d’eau. Il est resté assis dans un fauteuil, les coudes sur les genoux, silencieux. Présent. Étonnamment vivant dans son calme.Mais moi, je ne peux pas me poser. Pas encore. Pas maintenant.Il y a trop de tension dans mon corps. Une énergie brute, acide, qui cherche une issue.Ce soir, c’est comme si tout en moi cherchait à me fuir. Ma peau me brûle. Ma gorge est sèche. Et mes souvenirs sont… flous. Tordus. Comme s’ils étaient enfermés dans une chambre noire à double fond. Quelque chose pulse dans mon crâne, une vérité que je ne veux plus repousser.Je me penche au-dessus du lavabo. L’eau glacée sur mon visage me réveille un peu, mais pas assez. Pas vraiment.Je veux me souvenir. Je veux savoir. Je veux sentir chaque chose qu’ils m’ont volée.Même si ça fait mal. Surtout si ça fait mal.00h47
Maëlys16h14 — L’entrée interditeLe manoir est à l’image de ce que j’ai toujours redouté chez Aleksandr : froid, imposant, figé dans le temps.Pas un de ces lieux habités par des fantômes.Non. Ici, ce sont les secrets qui hantent les murs. Les silences étouffés. Les souvenirs qu’on n’ose pas nommer.Il ne dit rien quand on franchit les grandes grilles de fer forgé.Pas un mot non plus lorsqu’il coupe le moteur devant l’entrée envahie de lierre.Mais moi, je sens tout.Chaque pierre semble porter un souvenir. Chaque marche nous observe. Chaque fenêtre noire paraît prête à nous avaler.Je sors de la voiture. L’air est plus froid ici, plus dense.Il me regarde un instant, puis tire une chaîne de son cou. Trois clés y pendent, différentes par la forme et l’usure, mais chacune lourde de sens.— C’est ici que ton père t’a emmené ? demandé-je à mi-voix.Il hoche la tête, les yeux ailleurs.— Une seule fois. J’avais treize ans. Il m’a dit : "C’est là que tu comprendras ce que tu es vraiment
Maëlys11h21 — La morsure de la véritéElle hurle. Pas de douleur. D’orgueil blessé.Le sang s’étale en une flaque sombre sous son épaule, mais son regard ne faiblit pas.— Vous êtes pathétiques, crache-t-elle entre deux râles. Vous croyez encore pouvoir changer la fin ? C’est déjà joué.Je garde mon arme pointée sur elle. Mon bras commence à trembler, mais pas de peur.De rage contenue.Aleksandr s’approche d’elle à pas lents. Il s’agenouille, l’attrape par les cheveux et la force à relever la tête.— Qui t’a engagée ?— Tu poses les mauvaises questions, Aleksandr, répond-elle en souriant malgré la douleur. Ce n’est pas "qui". C’est "depuis quand".Il la frappe. Une claque sèche, pas pour la faire taire, mais pour briser l’arrogance.— Parle, ou je te jure que tu ne sortiras pas vivante d’ici.Elle tousse, crache du sang. Puis rit. Un ricanement creux, tordu.— Tu n’as toujours rien compris. C’est elle qu’ils veulent. Pas toi.Je sens le sol se dérober sous mes pieds.— Moi ? soufflé
Aleksandr07h28 — Le réveil des ombresLe message s’affiche encore, sec, brutal, comme un coup de lame entre les côtes.Un mot.Un signal.Un rappel que le monde dans lequel nous vivons n’a jamais cessé de brûler.Je reste figé, le souffle en suspens. Mon cœur bat fort, trop fort, comme s’il voulait prévenir avant que le monde ne se fracture. Je sens le poids revenir, celui que j’avais laissé s’échapper quelques heures entre ses bras. L’illusion s’est évaporée. Le répit est terminé.Mais je ne bouge pas. Pas encore.Elle dort, là, contre moi, abandonnée à la nuit. Sa main est toujours sur mon torse, ses doigts ancrés dans ma peau comme une prière muette. Son souffle est calme, fragile. Et moi, je la fixe. Je grave chaque détail. Parce que ce moment — ce calme, cette chaleur — pourrait bien être le dernier avant la tempête.Je me penche et embrasse doucement ses cheveux.Cette fois, je ne partirai pas sans elle.07h43 — Le poids de la décisionJe me lève en silence. Chaque geste est ma