Eden
La douleur me réveille avant même que je comprenne où je suis. Mon crâne tambourine violemment, ma gorge est sèche, et mes poignets… liés. La prise est brutale, une corde rugueuse m’enserre les bras derrière mon dos, creusant la peau jusqu’à la brûlure. L’air est poisseux, lourd de sueur et de sang séché. Je tente de bouger, mais une chaîne cliquette à mon cheville.
Je suis attachée.
Un frisson glacé me traverse. Mon souffle se hache alors que mes yeux, encore brouillés par l’inconscience, balayent l’espace restreint. Une pièce sombre, à l’odeur métallique de rouille et de mort. Le sol est en béton brut, fissuré, maculé de taches que je préfère ne pas identifier. Des néons vacillants diffusent une lumière blafarde, rendant l’atmosphère encore plus sordide.
La dernière chose dont je me souviens, c’est une ruelle. Un bruit de pas derrière moi. Une piqûre au creux du cou. Puis le noir.
Un bruit de porte grinçante me fait sursauter. Je me tends, retenant mon souffle.
Trois hommes entrent.
Ils sont grands, vêtus de noir, le regard sans éclat. Des tueurs. Pas des petites frappes, pas des amateurs. Ceux-là ont l’habitude du sang et de la peur. L’un d’eux, celui qui semble être le chef, s’approche.
— Elle est réveillée.
Sa voix est rauque, fumeuse, comme s’il mâchait du verre.
Le plus massif du groupe s’accroupit devant moi, m’attrape le menton sans douceur. Il a des yeux d’un bleu froid, presque trop clair pour être humain.
— Alors c’est toi, la fille aux veines précieuses.
Il pose une lame contre ma joue. Le métal glacé me mord la peau.
— T’es plus belle que ce que je pensais. Dommage qu’on doive te vendre en morceaux.
La terreur me vrille le ventre, mais je refuse de leur donner ce plaisir. Je plante mon regard dans le sien.
— Faites une erreur, et je vous promets que je saignerai sur vous. Voyons si vous survivrez à ça.
L’homme éclate de rire.
— Elle a du cran. Ça va être amusant.
Il se redresse, se tourne vers le chef.
— Le client arrive quand ?
— Ce soir.
— Et s’il veut un échantillon ?
— On lui donnera ce qu’il veut.
Mon cœur se glace. Je comprends enfin. Ce n’est pas une demande de rançon. Ce n’est pas une prise d’otage classique. Ils savent pour mon sang. Pour son pouvoir.
Ils comptent me vendre.
Mais avant que la panique ne prenne le dessus, un bruit sec retentit. Une explosion sourde. Puis des cris. Un fracas métallique.
Les trois hommes se figent. L’un d’eux porte la main à son arme, mais la porte vole en éclats avant qu’il ne puisse la dégainer.
Un homme entre.
Non.
Un prédateur.
Sa silhouette se découpe dans la lumière crue du couloir. Grand, puissant, vêtu de noir de la tête aux pieds. Ses pas sont lents, méthodiques, implacables. Dans sa main, un couteau goutte de sang.
Les ravisseurs reculent d’un même mouvement.
— Aleksandr.
Le silence devient électrique.
L’homme aux yeux bleus se met en position de combat, mais Aleksandr ne lui laisse pas le temps d’agir.
En un éclair, il est sur lui. Une torsion brutale, un craquement sinistre. Le corps s’effondre.
Les deux autres attaquent en même temps. L’un sort une lame, l’autre un pistolet.
Aleksandr esquive avec une précision terrifiante. Il frappe, rapide, mortel. Une dague transperce la gorge de l’un, le sang éclabousse les murs. Le dernier recule, tremblant, brandit son arme—
Aleksandr lui brise le poignet avant qu’il ne puisse tirer. Un hurlement déchire l’air. D’un mouvement fluide, il enfonce sa lame entre ses côtes.
Le silence retombe.
Je suis pétrifiée.
Aleksandr s’avance vers moi, essuyant la lame sur la chemise d’un cadavre. Il s’agenouille, attrape mon menton entre ses doigts.
Son regard est insondable, glacé, mais quelque chose brûle dans ses pupilles noires.
— Je crois que tu es à moi, maintenant.
Et je comprends, avec une certitude brutale.
Je viens d’échapper à la mort.
Pour plonger en enfer.
MaëlysLisbonne , appartement d’Eden matinLa lumière du matin filtrait à travers les volets entrouverts, douce, presque fragile, telle une caresse silencieuse. Elle dansait dans l’air immobile, dessinant des volutes dorées sur les murs défraîchis, caressant le parquet marqué par le temps, comme si chaque grain racontait une histoire oubliée. L’appartement semblait hors du monde, un sanctuaire suspendu entre passé et présent.L’air lui-même portait un mélange subtil d’herbe fraîchement coupée et de résine brûlée, comme un feu qui s’estompe lentement, laissant derrière lui une odeur mêlée d’espoir et de mélancolie.Je restai là, appuyée contre l’encadrement de la porte, mon corps encore endolori, chaque muscle vibrant de la tension accumulée, prêt à lâcher prise mais refusant de céder. La fatigue pesait sur mes paupières lourdes, mais au fond de moi brûlait une flamme fragile, une lumière vacillante qui refusait de s’éteindre.À mes côtés, Aleksandr était immobile, silencieux, comme fi
Maëlys4h08 — Chambre 204, retour d’ombreNous n’avons pas parlé pendant tout le trajet du retour.Le feu derrière nous continuait de brûler quand nous avons quitté les docks.Les sirènes commençaient à hurler, mais elles semblaient lointaines, irréelles.Le monde autour criait, et nous, on n’écoutait plus rien. On ne regardait plus rien.Pas un mot. Pas un regard.Comme si parler aurait cassé quelque chose de fragile, de dangereux.Je suis montée dans la voiture comme on monte dans un cercueil ouvert.J’ai senti le poids du silence entre nous.Pas un silence vide.Un silence plein.Rempli de ce qu’on ne sait pas encore dire. De ce qu’on n’a pas le droit de dire.Pas ce soir.Et maintenant, me voilà ici.La porte de la chambre se referme derrière moi avec un claquement sec.Un son net. Définitif.Aleksandr entre à son tour. Il ne dit rien. Il pose ses clés. Sa veste. Il ne me regarde même pas.Mais je sens son souffle.Sa tension.Son silence.Il retire sa chemise sans hâte. Un bouton
Maëlys23h12 — L’hôtel sans nom, MarseilleJe n’ai pas dormi.Depuis qu’on est arrivés, j’ai marché dans la chambre comme une bête en cage.Aleksandr ne m’a rien dit. Il m’a juste tendu un verre d’eau. Il est resté assis dans un fauteuil, les coudes sur les genoux, silencieux. Présent. Étonnamment vivant dans son calme.Mais moi, je ne peux pas me poser. Pas encore. Pas maintenant.Il y a trop de tension dans mon corps. Une énergie brute, acide, qui cherche une issue.Ce soir, c’est comme si tout en moi cherchait à me fuir. Ma peau me brûle. Ma gorge est sèche. Et mes souvenirs sont… flous. Tordus. Comme s’ils étaient enfermés dans une chambre noire à double fond. Quelque chose pulse dans mon crâne, une vérité que je ne veux plus repousser.Je me penche au-dessus du lavabo. L’eau glacée sur mon visage me réveille un peu, mais pas assez. Pas vraiment.Je veux me souvenir. Je veux savoir. Je veux sentir chaque chose qu’ils m’ont volée.Même si ça fait mal. Surtout si ça fait mal.00h47
Maëlys16h14 — L’entrée interditeLe manoir est à l’image de ce que j’ai toujours redouté chez Aleksandr : froid, imposant, figé dans le temps.Pas un de ces lieux habités par des fantômes.Non. Ici, ce sont les secrets qui hantent les murs. Les silences étouffés. Les souvenirs qu’on n’ose pas nommer.Il ne dit rien quand on franchit les grandes grilles de fer forgé.Pas un mot non plus lorsqu’il coupe le moteur devant l’entrée envahie de lierre.Mais moi, je sens tout.Chaque pierre semble porter un souvenir. Chaque marche nous observe. Chaque fenêtre noire paraît prête à nous avaler.Je sors de la voiture. L’air est plus froid ici, plus dense.Il me regarde un instant, puis tire une chaîne de son cou. Trois clés y pendent, différentes par la forme et l’usure, mais chacune lourde de sens.— C’est ici que ton père t’a emmené ? demandé-je à mi-voix.Il hoche la tête, les yeux ailleurs.— Une seule fois. J’avais treize ans. Il m’a dit : "C’est là que tu comprendras ce que tu es vraiment
Maëlys11h21 — La morsure de la véritéElle hurle. Pas de douleur. D’orgueil blessé.Le sang s’étale en une flaque sombre sous son épaule, mais son regard ne faiblit pas.— Vous êtes pathétiques, crache-t-elle entre deux râles. Vous croyez encore pouvoir changer la fin ? C’est déjà joué.Je garde mon arme pointée sur elle. Mon bras commence à trembler, mais pas de peur.De rage contenue.Aleksandr s’approche d’elle à pas lents. Il s’agenouille, l’attrape par les cheveux et la force à relever la tête.— Qui t’a engagée ?— Tu poses les mauvaises questions, Aleksandr, répond-elle en souriant malgré la douleur. Ce n’est pas "qui". C’est "depuis quand".Il la frappe. Une claque sèche, pas pour la faire taire, mais pour briser l’arrogance.— Parle, ou je te jure que tu ne sortiras pas vivante d’ici.Elle tousse, crache du sang. Puis rit. Un ricanement creux, tordu.— Tu n’as toujours rien compris. C’est elle qu’ils veulent. Pas toi.Je sens le sol se dérober sous mes pieds.— Moi ? soufflé
Aleksandr07h28 — Le réveil des ombresLe message s’affiche encore, sec, brutal, comme un coup de lame entre les côtes.Un mot.Un signal.Un rappel que le monde dans lequel nous vivons n’a jamais cessé de brûler.Je reste figé, le souffle en suspens. Mon cœur bat fort, trop fort, comme s’il voulait prévenir avant que le monde ne se fracture. Je sens le poids revenir, celui que j’avais laissé s’échapper quelques heures entre ses bras. L’illusion s’est évaporée. Le répit est terminé.Mais je ne bouge pas. Pas encore.Elle dort, là, contre moi, abandonnée à la nuit. Sa main est toujours sur mon torse, ses doigts ancrés dans ma peau comme une prière muette. Son souffle est calme, fragile. Et moi, je la fixe. Je grave chaque détail. Parce que ce moment — ce calme, cette chaleur — pourrait bien être le dernier avant la tempête.Je me penche et embrasse doucement ses cheveux.Cette fois, je ne partirai pas sans elle.07h43 — Le poids de la décisionJe me lève en silence. Chaque geste est ma