Forêt pétrifiée – 05h46Eden (pensée)L’aube n’existe plus.Le ciel n’est qu’un couvercle de plomb, sans lumière, sans chaleur, suspendu au-dessus de nos têtes comme un jugement.Chaque arbre est une colonne brisée. Chaque racine, un piège dissimulé.Nous marchons dans les restes pétrifiés d’un monde ancien, avalés par la terre, régurgités par la guerre.Aleksandr boîte légèrement. Mais il ne dit rien. Il avance. Par orgueil, par instinct, par rage.Iskra ouvre la marche, droite comme un couteau. Luka ferme, silencieux comme une tombe.Et moi… moi, je retiens le monde de s’effondrer entre mes bras.Luka (grinçant, nerveux)— Pas un bruit d’oiseau. Pas un souffle.— Cette forêt est morte depuis des années, j’te dis.— Et pourtant elle nous regarde.Iskra (tranchante, sans se retourner)— Elle peut regarder. Qu’elle ose nous toucher.— On l’embrasera comme le reste.Aleksandr (voix basse à Eden)— Elle veut faire peur à la peur elle-même.— Et toi, Eden ? Qu’est-ce qui t’effraie encore
Ruines de la ligne frontalière – 11h42Eden (pensée)Le sol tremble sous nos bottes, jonché de cendres, de douilles éclatées et de morceaux d’os blanchis.Chaque pas résonne comme un glas.Le vent charrie l’odeur métallique du sang sec et celle, plus tenace encore, du désespoir.Le ciel saigne un gris sale, tordu par les fumées de l’enfer que nous traînons derrière nous.Et pourtant, il est là.Aleksandr. Silhouette vacillante, silhouette vivante.Et c’est tout ce qui compte.Aleksandr (voix basse, rauque)— Tu mènes le pas, Eden.— Montre-moi la voie. Je la suivrai, même en rampant. Même les yeux clos.Eden (voix ferme)— Alors ouvre-les. Regarde-moi.— Tant que je tiens debout, tu ne tomberas pas. Je te le jure.Nous avançons dans les décombres, un pas à la fois, comme s’ils allaient nous aspirer.Le monde autour n’est plus qu’un cri. Une longue plainte d’acier, de chair, de poussière.Mais lui, il est là. Chaque respiration qu’il vole au néant est une victoire contre la fin.Eden (
Infirmerie d'urgence – 22h12Eden (pensée)Il respire près de moi, chaque souffle est une victoire contre l’ombre qui rôde.Je sens son cœur battre, lent mais obstiné, comme un tambour sourd qui refuse de s’éteindre.Autour de nous, la chambre est glaciale, les murs trop blancs, trop immobiles.Je voudrais pouvoir fixer ce moment, le graver au fer rouge dans ma mémoire, avant que tout ne bascule à nouveau, avant que la douleur ne reprenne ses droits.Aleksandr (murmure)— Tu es toujours là,— Même quand le monde menace de nous dévorer, même quand je ne sais plus où poser mes forces.— Tu es mon ancre.Eden (voix tremblante)— Je ne partirai jamais.— Pas cette fois. Pas toi.— Je suis là, avec toi, et je te tiendrai la main jusqu’au bout, même si ça doit nous consumer.Le silence s’installe entre nous, lourd de non-dits et de promesses brisées.Je veux lui parler, lui dire combien chaque seconde sans lui me ronge, mais les mots s’échappent, trop fragiles face à l’immensité de ce qu’on
Appartement d’Eden – 03h17Eden (pensée)Ses bras m’entourent. J’ai le visage enfoui dans la chaleur de son torse.Je ne dors pas. Je n’y arrive plus.Je m’effondre en silence dans le creux de sa présence, là où l’univers cesse de crier, là où personne ne demande rien, là où l’on n’attend plus rien de moi que d’exister.Ses battements résonnent contre ma joue. Il est là. Il respire.Et tant qu’il respire, je peux prétendre que je suis encore vivante. Que je ne suis pas que la somme de mes pertes et de mes cicatrices.Eden (murmure)— Tu sens encore la poudre.— Et la peur.Aleksandr (voix grave, rauque, presque un râle)— Elle m’a suivi jusqu’ici.— Mais elle s’est arrêtée à la porte.Eden (pensée)Il ment.Je l’ai vue dans ses yeux.Elle est là, lovée sous sa peau, plantée dans sa colonne vertébrale.La peur le grignote. Elle l’enlace quand je tourne le dos.Et moi, impuissante, je ne peux que la haïr.Je ne peux rien contre elle.Rien, sauf l’aimer plus fort. Jusqu’à ce qu’elle recu
AleksandrQG – Toit Est – 03h14Aleksandr (pensée)Le vent porte son nom.Eden.Même le ciel semble se plier à sa volonté, comme si l’univers retenait son souffle chaque fois qu’elle passe.Et moi, je suis là, figé dans l’attente, gardien de ses silences.La clope se consume à moitié entre mes doigts. Je ne la fume même plus, juste un exutoire, un leurre.Je la tiens comme on tient une lame. Entre colère et contrôle.Pas contre elle.Contre ce monde qui cherche à l’user, la trahir, la pousser à genoux.Aleksandr (pensée)Ils veulent qu’elle fléchisse, qu’elle cède.Mais elle est née dans la braise.Et moi, je suis cette braise devenue feu, prêt à tout brûler.Des pas dans l’escalier.Yelena. Elle a toujours su lire l’absence.Elle sait que je fuis, parfois. Pas elle. Moi.Yelena— Tu devrais être à ses côtés. Elle ne dort pas.Aleksandr— Elle est entourée de murs.— Même moi, je dois apprendre à les franchir sans bruit.Yelena (regard appuyé)— Et toi, tu dors encore, Aleks ?Elle m’
QG central – Salle de crise – 06h32Eden (pensée)Le jour se lève comme une lame mal affûtée.Rien n’est net. Rien n’est pur.Même la lumière hésite.Comme si elle savait qu’elle entre dans un monde qui ne veut plus d’elle.Je suis debout depuis des heures, les yeux rivés sur les rapports qui tombent en cascade.Tout bouge. Tout brûle.Mais c’est moi qu’ils viennent chercher.Moi qu’ils testent.Toujours moi.Et dans cette pièce trop froide, trop pleine de secrets, j’attends.Un signal clignote. Un message codé s’affiche sur la console principale.Aleksandr— Une délégation des Gardiens approche.(Il pose sa main à plat sur la table, les veines tendues, le regard fixe.)— Ils exigent de te voir. Pas d’intermédiaire. Pas de masque.Eden— Alors qu’ils viennent. Je ne porte plus de masque.— Juste le goût du fer sur la langue.Iskra (dans un souffle)— Ils sont prêts à trahir pour survivre.— Ils feront semblant de se courber… pour mieux frapper.Eden— C’est ce qu’ils font tous.— Je v
EdenL’écran s’est éteint, mais mon reflet hante encore la surface noire.Je me vois sans vraiment me regarder.Comme une silhouette venue d’un autre monde, étrangère à tout ce qui m’entoure.Le silence dans la salle est une bête vivante.Il s’accroche, griffe, dévore.Je sens les regards sur moi. Certains cherchent des certitudes.D’autres, une faille.Et tous, sans exception, attendent.Comme si chaque mot que je pourrais prononcer allait redessiner les contours du monde.Comme si, dans le silence, ils entendaient déjà les cris à venir.Je garde le silence.C’est ma nouvelle langue.La seule que ce monde comprend encore.Gregor, Léo, Yelena, Ravenna… même Aleksandr attend, bras croisés, immobile.Il ne me presse pas.Il sait.Je respire lentement. Une fois. Deux.Eden (pensée)J’ai tiré la première balle de mon règne ce matin.Mais la guerre qui vient ne sera pas faite de poudre et de métal.Elle sera de nerfs. D’alliances instables. De vérités noyées dans les cendres.Elle aura le
EdenIls reculent.Un à un, les chefs déchus tombent à genoux.Pas par peur. Par lucidité.Ils comprennent que ce n’est plus un combat. C’est une fin. Et moi, je suis le point final.Le feu s’est éteint derrière moi, mais l’odeur de cendre persiste. Elle colle à la peau. À l’âme.Je la respire. Je m’en imprègne.Je suis le témoin et le fléau. Je suis celle qui reste quand tout s’effondre.Je me tiens droite, les bras croisés dans mon dos. Aleksandr, à mes côtés, ne dit rien.Il sait que ce moment ne lui appartient pas. Il est à moi.Il sait lire le silence. Il sait quand le pouvoir ne se partage pas.Aujourd’hui, je suis seule, même entourée.RavennaElle me scrute encore.Il y a dans ses yeux quelque chose de plus dangereux que la haine : le calcul.Elle n’a pas fui. Elle n’a pas combattu. Elle est restée. Et maintenant, elle m’étudie.Elle cherche mes failles comme on cherche une brèche dans un rempart millénaire.— Tu penses qu’ils t’obéissent par respect ?Elle me tourne autour, c
EdenL’aube ne s’est pas encore levée.Mais déjà, la ville s’échauffe.Les messages passent. Les ordres fusent. Les visages familiers s’effacent dans le mouvement coordonné d’une machine qui se réveille pour tuer ou renaître.Je suis debout, dans l’ombre d’une baie vitrée. Le verre reflète les flammes de la veille, encore vivaces dans mon regard.Mes mains sont ouvertes, mais mes muscles tendus. Je ne dors plus depuis deux jours.Et je sens pourtant une énergie nouvelle couler dans mes veines — celle de la fin des illusions, du début du règne.Aleksandr est resté silencieux depuis notre sortie du banquet.Il ne m’a pas demandé si j’allais bien. Il sait que ce genre de question serait une insulte.Il m’observe. Il me jauge. Comme toujours.Aleksandr— Ils ont mordu à l’hameçon. Et maintenant, ils vont vouloir tester la morsure.Je me tourne vers lui. Il est déjà en chemise, bras retroussés, regard clair. Le roi en guerre.Mais ce matin, il me laisse un espace. Comme une offrande.Eden