MasukL'équilibre est une lame de rasoir. Clara le sait. Après l'explosion à Marrakech, elles ont repris la route, mais avec une conscience nouvelle. La bête n'est plus en cage ; elle est en laisse, tenue d'une main ferme et experte.Ils sont maintenant à Tokyo, dans un karaoké privé au cœur de Shinjuku. Les lumières néon roses et bleues strient l'obscurité, la musique pop japonaise assourdissante est un mur de son contre lequel leurs pensées ne peuvent s'échapper. C'est un autre genre de chaos, aseptisé, brillant.Clara chante, ou du moins, elle articule des paroles qu'elle ne comprend pas, un micro serré dans la main. C'est une performance. Une partie de leur nouvelle "thérapie" : s'immerger dans la banalité, dans l'absurde. Alyss est assise sur le sofa, un verre de whisky à la main, et la regarde. Un sourire étrange flotte sur ses lèvres. Elle ne voit pas la reine déchue ou la criminelle en fuite. Elle voit une femme belle, puissante, se forçant à faire quelque chose de ridicule, et le f
Marrakech. La place Jemaa el-Fna, au cœur de la nuit, est une hallucination vivante. Un chaos organisé de conteurs, de charmeurs de serpents, de fumées d'épices et de musiques entremêlées. Clara et Alyss, vêtues de vêtements locaux amples, se fondent dans la foule. Leurs mains sont jointes, non par peur de se perdre, mais par habitude, par besoin.Pendant des mois, elles ont voyagé. Elles ont médité dans des ashrams, marché dans des déserts, nagé dans des océans. Elles ont appris à se taire ensemble, à rire de rires qui n'étaient pas liés à la mort ou au pouvoir. Mais quelque chose, toujours, guettait sous la surface. Une démangeaison. Une soif.Et ici, dans ce tourbillon de vie brute, elle refait surface.Un homme les bouscule. Pas un accident. Un geste calculé, mesurant, dévisageant Alyss avec une lueur de possession brutale. Il dit quelque chose en arabe, un commentaire grossier sur la finesse de sa taille, sur ce qu'il aimerait en faire.Clara se fige. La réaction est immédiate, v
Le silence n'était pas un vide. C'était une toile neuve. Et sur cette toile, Clara et Alyss ont commencé à peindre non plus avec du sang, mais avec des sensations pures.Leur premier matin de "nouvelle vie" avait commencé par un défi absurde : regarder le lever du soleil sans parler, sans planifier, sans même penser. Juste ressentir. Alyss, habituée à l'action, avait trouvé l'exercice plus éprouvant qu'une infiltration. Mais en regardant les couleurs exploser à l'horizon, teintant le visage paisible de Clara d'or et de rose, elle avait senti une étrange quiétude l'envahir.Maintenant, des semaines plus tard, ils ont établi des rituels. Le combat n'est plus externe, mais interne. Un combat contre les vieux démons de l'impatience, de la paranoïa, du besoin viscéral de chaos.Ce soir-là, une tempête se lève. La mer, si calme auparavant, se déchaîne. Le vent hurle autour de la maison, secouant les portes et les fenêtres. C'est une violence naturelle, brute, qui réveille quelque chose d'an
La maison blanche sur la falaise est devenue un laboratoire. Les plans de vols et les cartes ont été remplacés par des livres achetés dans une librairie poussiéreuse d'Athènes. Philosophie stoïcienne. Traités sur l'esprit guerrier. Poésie persane. Ils cherchent, avec la même intensité qu'ils mettaient à élaborer un coup, une nouvelle forme de combat.Leur ennemi n'a plus de visage. C'est l'ennui. Le vide. Et eux-mêmes.Ce soir, la mer est d'huile, reflétant un ciel criblé d'étoiles. Alyss est assise en tailleur sur le sol de la terrasse, la dague Tchétchène posée devant elle. Elle ne la regarde pas comme une arme, mais comme un objet de méditation. Un concentré de mort qui doit lui apprendre quelque chose sur la vie.Clara l'observe depuis la porte-fenêtre. Elle voit la tension dans le dos d'Alyss, la frustration de ne pas trouver la réponse dans le silence. Clara, elle, a trouvé une piste différente. Plus dangereuse, peut-être.Elle s'avance, tenant deux verres et une bouteille d'ouz
L'île grecque était censée être une pause. Une parenthèse de bleu et de blanc après le gris sibérien. Ils avaient loué une petite maison cubiste accrochée à la falaise, face à une mer Égée d'un calme trompeur.Mais le silence, ici, est différent. Ce n'est pas le silence complice des nuits sur la route, chargé de promesses et de projets. C'est un silence lourd, vide. Il n'y a personne à traquer, rien à voler, aucun système à déjouer. Il n'y a que le bruit des vagues, monotone, et le soleil, implacable.Clara est assise sur la terrasse, un livre ouvert sur les genoux qu'elle ne lit pas. Ses doigts tambourinent nerveusement sur la couverture. Elle observe Alyss, allongée sur un transat, les yeux fermés. Son corps est immobile, trop immobile. Clara connaît chaque tension, chaque micro-mouvement de ce corps. Elle sait qu'Alyss ne dort pas. Elle simule. Comme elle simule, elle, de lire.La dague Tchétchène est posée sur la table entre elles, un rappel incongru de leur autre vie. Elle semble
Le désert de l'Arizona est un four à micro-ondes géant. L'air vibre de chaleur, déformant l'horizon. La moto, couverte de poussière, est garée à l'ombre précaire d'un rocher. Clara, assise sur une couverture, trace des lignes dans le sable avec un bâton. Des lignes de supply, des points de pression, des failles dans des systèmes qu'elles n'attaqueront peut-être jamais. C'est une habitude. Son esprit, celui d'un stratège, ne sait pas s'arrêter.Alyss observe une fourmi traîner un cadavre de scorpion dix fois plus gros qu'elle. Elle suit son parcours obstiné, fascinée par cette économie de mouvement, cette violence pure et fonctionnelle.— On pourrait aller à Tokyo, dit soudain Clara, sans lever les yeux de ses schémas. Vider les coffres de la pègre locale. Juste pour voir s'ils peuvent nous attraper.— Trop de caméras, répond Alyss, écrasant doucement la fourmi et son fardeau du bout de son couteau. Trop prévisible.Clara lève enfin les yeux, un sourcil levé.—Tu as une meilleure idée







