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Chapitre Six

Auteur: Aurévie M
last update Dernière mise à jour: 2025-11-02 00:58:35

Point de vue d'Hazel

Les lustres ont ce truc agaçant qui donne à tout le monde des allures de statues angéliques, et à moi, l'air d'être la seule à avoir raté le mémo. Les flashs crépitent comme des mini-coups de tonnerre. Et puis, ce bruit agaçant de verres qui s'entrechoquent, et quelqu'un qui rit trop fort alors que je fixe le bord de ma coupe de champagne comme si c'était la seule chose authentique dans la pièce.

Le moment où Christian emmène Lena est la ponctuation la plus étrange qui soit – une coupure abrupte et brutale dans une scène déjà trop lumineuse. Une seconde, elle est à ses côtés, la suivante, il la tire comme un chien en laisse et disparaît dans la foule. Je les regarde partir et, sans mentir, je ressens… quelque chose. Ce n'était ni de la pitié, ni de l'agacement, et pas vraiment du désir. Plutôt une sensation électrique dans la nuque qui dit : intéressant.

« Hazel ! Par ici ! » La voix de Sabina me tire de ma torpeur intérieure. Elle rayonne, ses yeux verts brillent d'un sourire éclatant et son énergie est telle qu'elle pourrait alimenter une petite ville. Elle affiche un sourire forcé, digne d'une attachée de presse, et me pousse en avant.

Avant même que je puisse dire un mot, deux femmes, un bloc-notes à la main, sont déjà braquées sur moi, comme si elles s'apprêtaient à recueillir une déposition sur une scène de crime.

« Hazel Linden ! Pourriez-vous nous parler quelques instants ? Quel effet cela fait-il d'être la nouvelle belle-fille de Linden ? » La voix de la femme au bloc-notes est chaleureuse, comme celle d'un recruteur qui essaie de vous soutirer une confession par une étreinte.

J'esquisse un sourire poli et convenu – ce que j'appelle mon « sourire abordable », un sourire à peine esquissé – et j'essaie de respirer profondément pour contenir la petite panique qui me prend aux tripes.

« Euh… » Je me racle la gorge, car apparemment, je n'ai pas perdu cette habitude britannique de m'excuser d'exister. « C'est… un changement. Un changement… radical. » D'une voix lisse comme de la colle sur un sac en papier mouillé.

 « Tu te sens sous pression ? On dit que les Linden attendent beaucoup de leur famille… Qu’en penses-tu ? » Un autre journaliste intervient, micro tendu comme une main osseuse.

Dire que c’est de la pression est un euphémisme. L’atmosphère est survoltée. « Franchement ? » Ma voix est sèche. « J’essaie encore de comprendre la carte des boissons. » Je plaisante. Je plaisante. Amis bienveillants du web, riez maintenant. Sabina me tire par la manche et me lance un regard qui dit : « Joue le jeu. »

« Comment se passent tes études ? Cornell, c’est un grand pas après Londres… Oxford te manque ? » demande quelqu’un d’autre. Les questions s’enchaînent comme une averse, et je ne peux m’empêcher de lever les yeux au ciel.

Je reprends mon sourire forcé, mais cette fois, il se fissure un peu quand le nom de Ross est mentionné et je suis soudainement prise d’une honte terrible. « C’est… les études, c’est les études. Campus différent, ambiance différente. » Mon Dieu, on dirait un argumentaire marketing.

 Un homme en smoking trop étroit, un appareil photo collé au visage, se penche en avant pour mieux me prendre en photo. « On vous a vue avec Ross… Quels sont vos liens avec les garçons Linden ? Un commentaire sur Christian en particulier ? » Son ton était bas, comme s’il essayait de faire de l’esprit.

Christian. Ce nom a un goût de fer dans ma bouche quand je l’entends. Mes mains se crispent sur mon sac. Je sens mon pouls s’accélérer à la base de ma gorge, comme celui d’un petit animal qui halète.

Je n’avais PAS prévu ça. Je n’avais pas prévu de faire la une, d’être la curiosité, le sujet que les gens survolent en faisant défiler leurs actualités maussades en milieu de matinée. Je suis censée être… invisible… de préférence.

« Écoutez », dis-je plus fort, surprise par la force de ma voix. « Je suis juste… là pour ma mère ce soir. Félicitations à eux. C’est tout. » Les mots sont clairs et nets, comme un mur derrière lequel je peux me cacher.

« Avez-vous réagi au comportement brusque de Christian avec Lena tout à l’heure ? » Elles foncent sur elles comme des hyènes. La femme au bloc-notes tient son stylo comme un poignard.

J'ai un pincement au cœur. J'ai vu ça… tout le monde a vu ça. Je ne voulais absolument pas être celle qui en a fait toute une histoire. « Les gens se disputent », dis-je. « Ça arrive. Les affaires privées sont… » J'avale ma salive. « …privées. » Toujours aussi convaincante.

Quelqu'un murmure fort tandis que les flashs se font plus insistants. Sabina me serre la main jusqu'à ce que mes jointures blanchissent. Je force un rire amer.

Une femme à l'allure riche, avec un carré impeccable et un avis bien tranché, entre dans le cercle comme si elle était la reine des lieux. « Ma chérie, tu dois être ravie… c'est presque un conte de fées ! » annonce-t-elle. Son sourire est d'une clarté chirurgicale. « Imagine les contacts. Les fêtes. Les… »

J'ai envie de dire : imagine être forcée de m'immiscer dans la vie de quelqu'un comme un accessoire. Imagine être traitée comme une pièce de musée. Au lieu de cela, je sirote mon champagne et le laisse me brûler la langue. C'est plus authentique.

 « Vous allez être sous le feu des projecteurs maintenant », dit la dame au presse-papiers d'une voix plus douce, essayant de faire preuve d'empathie comme si cela pouvait lui valoir une meilleure citation. « Comment allez-vous gérer ça ? »

Je pense à mentir. Je pense à dire que je vais tout brûler et retourner dans mon appartement londonien détrempé pour en finir une fois pour toutes. Mais la vérité est plus compliquée et moins idyllique : je ne sais pas. Je déteste avoir envie, dans les recoins les plus infimes et les plus inaccessibles de mon être, d'être vue. Je déteste que l'idée que Christian me voie – qu'il me voie vraiment – me terrifie et m'excite à la fois.

« En faisant semblant de maîtriser la situation », dis-je finalement, et la phrase sonne mi-sérieuse, mi-prière. Elle suscite quelques hochements de tête approbateurs. Les journalistes passent au prochain visage frais comme des vautours obéissant au principe de l'efficacité.

Sabina rayonne comme si je venais de gagner au loto et m'entraîne vers le buffet comme une sœur fière. « Tu as été fabuleuse ! Tu as géré ça comme une star. » Elle fait des guillemets avec ses doigts autour de la star, et je me laisse guider comme un agneau égaré par un berger à l'allure impeccable.

Tandis que nous nous frayons un chemin à travers la foule, je sens des regards nous suivre – des gens du luxe, bouche bée, qui chuchotent, des serveurs qui glissent avec leurs plateaux d'argent, et quelque part au beau milieu de cette cathédrale de verre et d'or, ma gorge se serre sous le poids de tous ces regards.

J'ai envie de disparaître. Au lieu de cela, je réarrange mon sourire et je passe à autre chose, parce que c'est ce qu'on fait quand on vous confie un rôle pour lequel on n'a pas auditionné : on fait comme si ça allait jusqu'à ce que ça n'aille plus.

Et tout ce temps, sous ce calme forcé, l'effervescence électrique de tout à l'heure persiste. Je le sens, comme on allume une allumette, que la soirée n'est pas terminée.

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