Personne ne m'aime

Dans le couloir de l'hôpital, mes larmes n'avaient cessé de couler.

Les souvenirs du passé défilaient dans mon esprit.

Ma mère était morte d'une infection postopératoire en me mettant au monde.

Depuis ce jour, mon père et mon frère m'avaient toujours rejetée.

Ils n'avaient d'yeux que pour ma sœur aînée, Sylvie, de sept ans mon aînée.

Le jour de sa majorité, ils lui avaient organisé une somptueuse fête, invité tous ses camarades de classe, commandé un gâteau à dix étages.

Quand elle était tombée malade, mon frère et mon père s'étaient relayés à son chevet. Moi, quand j'avais été hospitalisée pour une pneumonie, personne n'était venu me voir.

Je croyais que, parce que j'avais causé la mort de ma mère, je ne méritais pas d'être aimée.

Mais lors du gala d'anniversaire de Sylvie, elle m'avait volontairement poussée dans la piscine.

Elle m'avait humiliée devant tous : « Tu as tué ta mère. Tu n'es qu'une enfant mal aimée. »

Alors que je luttais dans l'eau pour regagner le bord, les amis de Sylvie m'y repoussaient encore et encore. Au moment où j'avais cru me noyer, c'est Gabriel Dumas qui m'avait sortie de là.

Il m'avait enveloppée dans une couverture, et avait lancé un avertissement glacial à tous ceux qui riaient de moi : « Yvonne est la femme que j'aime. À partir d'aujourd'hui, quiconque ose lui faire du mal, je ne le laisserai jamais passer. »

Ce jour-là, Gabriel m'était apparu comme un ange tombé du ciel. Je suis tombée amoureuse de lui immédiatement.

Tout cela me semblait irréel. Comment un homme tel que lui, chef de la mafia, aurait-il pu aimer une fille comme moi, celle qui avait causé la mort de sa mère et que tout le monde méprisait ?

Même après notre mariage, j'avais eu l'impression de vivre un rêve éveillé.

J'avais vraiment cru qu'il m'aimait…

Mais je ne savais pas que s'il m'avait épousée, c'était pour Sylvie.

Trois ans plus tôt, Sylvie avait été diagnostiquée d'une leucémie chronique. Elle avait besoin d'une greffe de moelle osseuse.

Aucun membre de la famille n'était compatible.

Le médecin avait alors suggéré qu'un bébé issu de moi aurait de fortes chances d'être compatible.

Alors c'était ça, la véritable raison de notre mariage ?

Tout son amour, tous ses soins… c'était uniquement pour sauver Sylvie…

Mon cœur me faisait atrocement mal. En approchant de la chambre, j'ai entendu des voix à l'intérieur.

« Je ne suis pas malade. La leucémie, c'est du faux », disait Sylvie avec un air satisfait.

« Je voulais juste que Yvonne perde espoir, qu'elle comprenne que papa et Gabriel ne m'aiment, moi, et que moi. »

« Surtout Gabriel… Il pense que celle qui l'a sauvé des ravisseurs quand il était petit, c'était moi. Il pense aussi être tombé amoureux de moi en m'entendant jouer du piano. Mais en réalité, ces deux fois-là, c'était Yvonne. »

« Celle qu'il aime, c'est Yvonne. Mais malheureusement, il ne le saura jamais. »

Je suis restée figée.

Alors Gabriel s'était trompé depuis le début…

Il avait blessé la mauvaise personne. Il ne savait pas que celle qu'il aimait réellement, c'était moi.

Tremblante, j'ai serré les mains… et j'ai découvert que mon téléphone avait, sans que je m'en aperçoive, activé l'enregistrement vidéo et capturé toute la scène.

Je me suis calmée et j'ai rangé le téléphone.

Je suis allée voir le médecin.

« Je veux avorter », ai-je dit.

Le médecin m'a regardée, abasourdi. Il savait combien il avait été difficile pour moi de garder ce bébé, tous les compléments que j'avais dû prendre, le repos imposé… Et maintenant je voulais le perdre.

Il a tenté de me faire changer d'avis. Mais voyant que j'étais décidée, il m'a dit que seul Gabriel, en tant que membre de la famille, pouvait signer l'autorisation pour procéder à l'intervention.

J'ai pris le formulaire d'« autorisation d'interruption de grossesse » et suis sortie du bureau.

À peine entrée dans la chambre, je suis tombée sur Gabriel.

Il avait l'air inquiet.

« Où étais-tu ? Je ne te trouvais plus… j'ai cru qu'il t'était arrivé quelque chose », a-t-il dit, soulagé. Il m'a tendrement pris la main, le visage empli d'inquiétude.

Autrefois, sa main dans la mienne me rassurait.

Mais aujourd'hui, je ne ressentais plus que de la douleur.

« Tu t'inquiètes pour moi ? »

J'ai mordu mes lèvres, les larmes pleins les yeux.

« Tu es ma femme, Yvonne. Si je ne m'inquiète pas pour toi, pour qui alors ? Tout le monde sait ici que tu es ma vie. Et en plus, tu portes mon enfant. »

Mon cœur s'est serré.

Gabriel Dumas, t'inquiètes-tu pour moi ? Ou bien t'inquiètes-tu seulement que, si quelque chose m'arrivait, la greffe de moelle pour Sylvie soit compromise ?

J'ai pris une grande inspiration et lui ai tendu le formulaire.

« Il y a un examen à faire, j'ai besoin de ta signature. »

« Quel examen… ? »

Il s'apprêtait à lire quand son téléphone a sonné.

« Gabriel, viens vite, Sylvie ne se sent pas bien… »

La voix de mon frère n'était pas forte, mais je l'avais parfaitement entendue.

Gabriel a blêmi, puis a signé le document avant de partir précipitamment.

« J'ai un truc au bureau, j'y vais vite. Attends-moi pour faire l'examen. »

J'ai ouvert le dossier. Mes larmes ont coulé en voyant ces mots : « autorisation d'interruption de grossesse ».

J'ai marché jusqu'au bureau du médecin.

Soudain, j'ai senti le bébé bouger.

Ce mouvement m'a bouleversée.

Comme s'il sentait mon hésitation, le petit être dans mon ventre s'est mis à bouger plus fort.

Après un long moment d'hésitation, je me suis retournée.

Je ne pouvais pas l'abandonner.

Je vais le garder.

Et je vais l'emmener loin d'ici.

Loin des mensonges, loin de la famille Vernet, loin de Gabriel.

Mon bébé, à partir d'aujourd'hui, toi et moi, on va vivre ensemble. D'accord ?