LOGINLuck
La voir se décomposer est un chef-d’œuvre. Les larmes qui brillent, la fierté qui se dissout. C’est encore plus beau que dans mes rêves.
— Parce que je vais vous offrir un marché, dis-je en me penchant en avant, la voix devenue un murmure confidentiel et venimeux. Un seul. Prenez-le ou laissez-le.
Je prends une feuille blanche, immaculée, et la pousse vers elle.
—Voici mon offre : Un an à être à moi et à genoux.
Elle cligne des yeux, ne comprenant pas.
—Je… Je ne…
— Pas comme une employée. Cela serait trop simple. Pas même comme une maîtresse. Cela serait vous faire trop d’honneur.
Je marque une pause, savourant l’instant où la compréhension va la frapper de plein fouet.
—Non , un an.....comme ma pute.
Alessandra
Le choc est si violent que j’en ai le souffle coupé. Le bureau, la ville, son visage… tout vacille. Un bruit blanc emplit ma tête. J’ai mal entendu. Je dois avoir mal entendu.
— Quoi ? je souffle, la voix brisée.
— Vous m’avez bien entendu, dit-il, implacable. Un an de soumission absolue. Vous serez à moi. Votre corps, votre volonté, votre dignité. Vous ferez ce que je veux, quand je le veux, comme je le veux. En échange, tous les problèmes financiers de votre frère disparaissent. Il aura les meilleurs soins. Il vivra.
La nausée monte, brûlante. La rage aussi. Une rage ancienne, celle de la fille que j’étais, qui n’aurait jamais permis une telle insulte.
— Vous êtes… vous êtes un monstre, je halète, me levant d’un bond, les jambes tremblantes. Un sale monstre !
Luck
La rage , excellente , la fierté blessée qui se rebiffe. Je l’avais anticipée. Je la souhaitais.
— Je suis un homme d’affaires, je corrige calmement. Je vois un besoin. Je propose une solution.
— Une solution ? ! crache-t-elle, les yeux maintenant injectés de sang. Vous pensez que je vais accepter ça ? Me vendre à vous ? À vous ? L’ordure que j’ai…
Elle s’interrompt, réalisant trop tard qu’elle vient de reconnaître le passé.
Je me lève à mon tour, plus lentement, dominant la pièce de ma stature.
—L’ordure que vous avez piétinée, oui, achevé-je pour elle. La boue sous vos escarpins. Regardez où nous en sommes aujourd’hui, Alessandra. La boue a séché. Et c’est vous qui êtes en train de vous enfoncer.
— Jamais, souffle-t-elle, reculant d’un pas. J’aimerais mieux mourir.
Alessandra
La fureur me donne des ailes. L’humiliation est un feu dans mes veines. Lui ? Me proposer ça ? C’est au-delà de l’horreur. C’est une profanation.
— Vous vous croyez victorieux ? je ricane, le mépris ruisselant de ma voix comme autrefois. Vous pensez que votre argent et cette tour vous donnent le droit de me traiter comme un bout de viande ? Vous n’êtes rien. Vous n’avez toujours été rien. Un rat qui a appris à porter un costume.
Je crache. Littéralement. Un crachat plein de haine et de dégoût qui atterrit sur le marbre immaculé de son bureau, à quelques centimètres de sa main.
— Voilà ma réponse. Allez vous faire pendre.
Je me tourne pour partir, le corps vibrant d’une colère sacrée.
Luck
Le crachat , parfait. C’était la touche finale. La preuve que la fierté, cette vieille ennemie, était toujours vivante. Qu’il restait du travail.
Je ne bouge pas. Je ne m’essuie pas. Je la regarde marcher vers la porte, droite dans sa fureur impuissante.
— Vous reviendrez, dis-je, ma voix claire et calme portant dans le vaste bureau.
Elle s’arrête, sans se retourner.
— Vous reviendrez, répété-je, et cette fois, il y a une certitude absolue dans mon ton. Pas demain. Pas la semaine prochaine. Mais vous reviendrez. L’échéance de l’hôpital approche. L’argent de vos petits boulots misérables se tarira. La santé de votre frère se dégradera. Et vous repenserez à ce bureau. Vous repenserez à mon offre.
Je marche lentement jusqu’à elle. Je ne la touche pas, mais je me tiens assez près pour qu’elle sente ma présence, mon pouvoir.
— Et quand vous reviendrez, le marché aura changé. Ce ne sera plus moi qui vous le proposerai. Ce sera vous qui me suppliera de le prendre. Vous vous agenouillerez. Vous pleurerez. Vous mendierez. Vous me supplierez de vous prendre comme ma pute.
Je me penche et chuchote à son oreille, mes lèvres effleurant presque sa peau.
—Et vous savez la meilleure part,
Alessandra ? Ce jour-là, je vous trouverai encore plus belle qu’aujourd’hui.
AlessandraLa fraîcheur du cuir contre ma peau nue se dissipe, remplacée par la moiteur de l’air et celle, plus intime, qui colle à mes cuisses. Le silence est un linceut lourd. Puis, de la chambre, le bruit de l’eau qui se met à couler. Un jet puissant, régulier.Je ferme les yeux, souhaitant que ce soit la fin. Un répit. Une trêve dans ces cendres encore chaudes.La voix arrive, tranchant l’épaisseur de mes pensées.— Alessandra.Ce n’est pas un hurlement. C’est un ordre calme, lancé à travers la porte entrouverte. Imparable.— Viens. Fais ton travail.Mon travail. Les mots résonnent avec une ironie amère. Je reste immobile, espérant, enfantinement, qu’il oubliera si je ne bouge pas.— Maintenant.Le ton n’a pas changé, mais une menace sourde y palpite. La trêve était un leurre. La guerre, sous une autre forme, reprend.Je me lève, les muscles douloureux, chaque mouvement me rappelant l’assaut récent. Il se prend pour quoi ? Un bébé royal qu’il faut laver et bichonner ? La pensée fu
AlessandraIl redescend alors. Sa bouche quitte mes seins, emprunte le chemin plat de mon ventre, et avant que je ne réalise son intention, elle est là, à la place de ses doigts.Le choc est absolu.C’est une sensation que je n’ai jamais connue, que je n’aurais jamais pu imaginer. La chaleur humide de sa bouche, la pression habile de sa langue, le souffle court sur ma peau… c’est une attaque frontale contre tous mes remparts. Un gémissement long, tremblant, s’échappe de moi. Mes mains s’agitent, s’accrochent aux coussins du canapé, cherchent une ancre dans un monde qui bascule.Je ne veux pas de ça. Je ne veux pas que ce soit lui. Mais mon corps, lui, en veut. Il en réclame. Mes hanches ont leur propre volonté, elles se soulèvent à la recherche de cette bouche, de cette langue. Le plaisir s’accumule, vite, trop vite, un tourbillon de sensations qui balaie la haine, la peur, la pensée elle-même. Il n’y a plus que cette chaleur ascendante, cette tension exquise au creux de mon ventre.J
Alessandra J’ai « coopéré ». Comme un automate. Mon esprit était à la clinique, sur le visage de Matteo. Mon corps était ici, une chose manœuvrée.Le jour se lève, froid et clair. Luck est absent. Une note laconique sur le bar de la cuisine : « Des réunions. Tu ne sors pas. » L’ordre est là, mais son absence est un répit. Je suis seule avec l’écho de ce que j’ai fait, de ce que j’ai permis. La honte est un vêtement humide collé à ma peau.Mais il y a autre chose. Une frustration sourde, insidieuse. Une sensation de vide là où il y avait eu… quelque chose. Le souvenir du moment dans la bibliothèque, où j’avais négocié, où j’avais senti un semblant de pouvoir, aussi tordu soit-il, me hante. Hier soir, je me suis annulée. J’ai disparu. Et d’une certaine manière, c’était pire.Les heures passent, lentes, étouffantes. L’appartement est une cage dorée, silencieuse. Je ne peux pas lire. Je ne peux pas penser. Une énergie nerveuse, presque violente, parcourt mes veines. C’est la braise, att
AlessandraLe mensonge de Luck. Bien sûr. Je lève la tête, essuyant mes joues d’un revers de main rapide. Je dois sourire. Je dois le rassurer.— Tout va bien, je te promets. Le travail est… prenant. Mais je vais bien. Et toi ? Les médecins, que disent-ils ?Il esquisse un sourire, un pâle reflet de celui d’avant.— Ils disent que je suis têtu. Que je m’accroche. Les analyses sont un peu meilleures. C’est long.Un silence s’installe, chargé de tout ce que nous ne pouvons pas dire. Il examine mon visage, mes yeux cernés, la tension que je ne parviens pas à dissimuler entièrement.— Tu es sûre que tu vas bien, Lessie ? Tu as l’air… fatiguée.— Je suis juste inquiète pour toi, ment-je, la gorge serrée. Tu es tout ce qui me reste.Je passe l’heure à lui parler de tout sauf de la réalité. De souvenirs d’enfance, d’espoirs futurs impossibles. Je lui lisse les cheveux, je lui ajuste ses couvertures. Je bois chaque détail de son visage, je m’imprègne du son de sa voix. Cette heure est un oxyg
AlessandraDeux jours.Quarante-huit heures taillées dans du verre pilé.Chaque minute a été un exercice d’obéissance silencieuse. Je l’ai suivi à la bibliothèque, un fantôme en robe de soie. J’ai été présentée à des associés comme « son assistante », une étiquette vide qui a fait sourire certains d’un air entendu. J’ai mangé lorsqu’il me l’ordonnait, dormi lorsqu’il quittait la chambre, respiré sur son rythme. Mon corps fonctionne. Mon esprit est une chambre close où tourne en boucle une seule pensée, obsessionnelle : mon frère.Matteo. Son nom est un battement de cœur douloureux dans ma poitrine. Comment va-t-il ? Que lui a-t-on dit de mon absence ? La peur qu’il ait subi des représailles à cause de ma première tentative de fuite est un serpent froid lové autour de mes entrailles. C’est cette peur, plus encore que la menace directe, qui m’a rendue docile.Mais aujourd’hui, la docilité a atteint ses limites. Le besoin de le voir, de m’assurer qu’il est toujours en vie, qu’il est soign
AlessandraLe jour se lève, gris et froid, derrière les vitres immenses. Une lumière blafarde glisse sur le sol de marbre, évitant soigneusement l’endroit où je suis assise, le dos contre le mur froid. Je n’ai pas bougé de là. Je regarde mes mains. J’ai les paumes à vif, rougies par les frottements compulsifs contre le drap, contre le sol, contre ma propre peau. Une peau qui ne me semble plus m’appartenir.L’odeur est toujours là. Même après des heures. Le santal, la crème, et cette autre, plus âcre, plus intime. Elle s’est incrustée dans mes narines, dans ma gorge, dans l’air que je respire. Chaque inspiration est une réminiscence. Chaque expiration un souhait de mort.Le bruit de l’eau a cessé depuis longtemps dans la salle de bain. Il est ressorti, vêtu, impeccable. Il m’a jeté un regard, un seul. Pas de triomphe, pas de pitié. Une simple vérification. Comme on constate l’état d’un outil après usage. Puis il est parti. Les pas sont morts dans le couloir, la porte du bureau s’est re







