Isabella
Le matin est cruel.
Pas à cause de la douleur. Ni du froid. Mais à cause de ce vide.
Lucien n’est plus là.
Je me redresse, nue sous les fourrures éparses, encore imprégnées de sa chaleur. L’odeur de nos corps mélangés flotte dans l’air. Fer, sueur, feu. La trace d’une nuit trop réelle pour ne pas laisser de cicatrices.
Mais la cabane est silencieuse. Trop. La bête a disparu.
Je m’habille lentement. Mes membres sont engourdis. Pas seulement par le froid, mais par ce qui s’est brisé en moi, ou peut-être ce qui s’est révélé.
Lucien. Il m’a prise comme s’il allait mourir. Comme s’il voulait tout me voler avant de s’éteindre. Et moi, je l’ai laissé faire. J’ai répondu à sa faim par la mienne.
Qu’est-ce que je suis devenue ?
Je sors de la cabane, les bottes s’enfonçant dans la neige gelée. Le ciel est encore teinté de nuit, entre gris et pourpre. Le silence est total. Oppressant. Pas une branche ne craque. Pas un souffle. Comme si la forêt retenait son souffle après ce que nous avons fait.
Puis je l’aperçois.
Lucien. Torse nu, genoux dans la neige, au bord du lac gelé. Il est immobile, tête baissée, les mains crispées sur ses cuisses. Il ressemble à une statue fendue, taillée dans la pierre et la honte. Des volutes de givre s’échappent de sa peau comme une vapeur irréelle, témoin de sa nature étrange, de son étrangeté glaciale.
Je m’approche, chaque pas un écho violent dans ce silence brisé. Il ne se retourne pas. Pas tout de suite.
— Tu regrettes ?
Il ferme les yeux. Lents. Lourds.
— Pas ce qu’on a fait. Mais ce que ça signifie.
Je m’agenouille près de lui. Ma main se pose sur son épaule. Froide. Dure. Et pourtant, il tremble.
— Tu crois que je suis un danger pour toi, murmure-t-il.
Je le regarde. Il est plus que beau. Il est brisé. Magnifique dans sa douleur, dans ce refus de croire qu’il peut être aimé. Ou même simplement désiré autrement que pour sa part animale.
— Non, Lucien. Je crois que tu es un danger pour toi-même.
Il relève les yeux. Il y a des ombres dedans. Et un espoir assassin.
— Dis-moi de partir.
Je secoue la tête.
— Je ne peux pas.
Il se lève d’un bond. S’éloigne de quelques pas, furieux. Sa peau est couverte de cicatrices anciennes. Certaines ont l’air de morsures. D’autres, de griffures profondes. Comme s’il avait passé des siècles à survivre à sa propre malédiction. Il respire par saccades, et son souffle semble geler l’air autour de lui.
— Tu crois que c’est un jeu ? Tu veux mourir dans mes bras ? Crier mon nom pendant que je te déchire ?
Je le rejoins. Je le frappe, légèrement, du poing contre le torse. Il ne bouge pas. Mais ses yeux brillent, rougeoyant un instant dans l’aube glacée.
— Ne fais pas ça. Ne me pousse pas loin de toi alors que tu viens de me laisser entrer.
Il me regarde. Longtemps. Trop longtemps. Son regard se plante en moi comme une lame. Je sens qu’il doute. Qu’il souffre. Qu’il se hait pour ce qu’il a fait… ou pour ce qu’il ressent.
Puis il cède.
Ses bras m’enlacent. Et pour la première fois, il ne me dévore pas. Il se retient. Il se calme.
— Tu me rends plus faible, dit-il.
— Ou plus fort.
Il sourit. Juste un peu.
— Tu es folle.
— Je suis à toi.
Il pose son front contre le mien. Et dans ce contact, il y a une promesse. Fragile. Mais réelle.
Puis il m’embrasse. Lentement. Intensément. Ce n’est pas la rage de la veille. C’est une brûlure plus sourde, plus profonde. Celle d’un homme qui croit encore qu’il ne mérite pas ce qu’il prend.
Il m’allonge doucement dans la neige. Le froid mord ma peau, mais je ne frissonne pas. Son corps me recouvre comme une flamme. Sa bouche descend le long de mon cou, de mes seins, jusqu’à ce que je perde toute notion de lieu, de temps, de peur. Le givre craque sous mon dos, mais je n’ai jamais été aussi vivante.
Lucien gémit contre ma gorge, ses mains s’accrochent à mes hanches, et lorsqu’il entre en moi, c’est comme si la glace elle-même se fêlait sous l’intensité de notre lien. Nos souffles se mêlent à la vapeur de l’aube, et mes cris se perdent dans le silence immense de la forêt.
Il va lentement. Puis plus vite. Il me retient comme s’il allait tomber. Comme si j’étais la seule chose capable de le retenir à ce monde.
Quand nous atteignons ensemble ce vertige, c’est presque douloureux. Trop fort. Trop vrai. Nous ne sommes plus deux êtres qui s’aiment. Nous sommes un cri. Une fusion. Une faille dans le réel.
Je pleure sans m’en rendre compte. Lui aussi.
Et quand c’est fini, il m’enlace contre lui, toujours dans la neige, toujours à moitié nus, tremblants mais liés. Une main dans mes cheveux, l’autre sur mon ventre.
— Je ne veux pas te perdre, murmure-t-il.
— Alors arrête de me repousser.
Nous restons là, figés, l’un contre l’autre, jusqu’à ce que le vent se lève doucement. Il fait tourner les flocons autour de nous, comme un voile d’hiver venu nous envelopper. Lucien glisse ses doigts entre les miens, puis me guide lentement vers la cabane.
Chaque pas est une décision. Chaque silence, une confession qu’aucun mot ne saurait mieux dire.
Et tandis que nous franchissons le seuil de notre tanière, j’ai la sensation étrange de ne pas entrer dans un abri, mais dans un territoire nouveau. Inconnu. Intime.
Celui où la bête et la femme doivent apprendre à vivre. Ensemble.
Le matin est cruel.
Pas à cause de la douleur. Ni du froid. Mais à cause de ce vide.
Lucien n’est plus là.
Je me redresse, nue sous les fourrures éparses, encore imprégnées de sa chaleur. L’odeur de nos corps mélangés flotte dans l’air. Fer, sueur, feu. La trace d’une nuit trop réelle pour ne pas laisser de cicatrices.
Mais la cabane est silencieuse. Trop. La bête a disparu.
Je m’habille lentement. Mes membres sont engourdis. Pas seulement par le froid, mais par ce qui s’est brisé en moi, ou peut-être ce qui s’est révélé.
Lucien. Il m’a prise comme s’il allait mourir. Comme s’il voulait tout me voler avant de s’éteindre. Et moi, je l’ai laissé faire. J’ai répondu à sa faim par la mienne.
Qu’est-ce que je suis devenue ?
Je sors de la cabane, les bottes s’enfonçant dans la neige gelée. Le ciel est encore teinté de nuit, entre gris et pourpre. Le silence est total. Oppressant. Pas une branche ne craque. Pas un souffle. Comme si la forêt retenait son souffle après ce que nous avons fait.
Puis je l’aperçois.
Lucien. Torse nu, genoux dans la neige, au bord du lac gelé. Il est immobile, tête baissée, les mains crispées sur ses cuisses. Il ressemble à une statue fendue, taillée dans la pierre et la honte. Des volutes de givre s’échappent de sa peau comme une vapeur irréelle, témoin de sa nature étrange, de son étrangeté glaciale.
Je m’approche, chaque pas un écho violent dans ce silence brisé. Il ne se retourne pas. Pas tout de suite.
— Tu regrettes ?
Il ferme les yeux. Lents. Lourds.
— Pas ce qu’on a fait. Mais ce que ça signifie.
Je m’agenouille près de lui. Ma main se pose sur son épaule. Froide. Dure. Et pourtant, il tremble.
— Tu crois que je suis un danger pour toi, murmure-t-il.
Je le regarde. Il est plus que beau. Il est brisé. Magnifique dans sa douleur, dans ce refus de croire qu’il peut être aimé. Ou même simplement désiré autrement que pour sa part animale.
— Non, Lucien. Je crois que tu es un danger pour toi-même.
Il relève les yeux. Il y a des ombres dedans. Et un espoir assassin.
— Dis-moi de partir.
Je secoue la tête.
— Je ne peux pas.
Il se lève d’un bond. S’éloigne de quelques pas, furieux. Sa peau est couverte de cicatrices anciennes. Certaines ont l’air de morsures. D’autres, de griffures profondes. Comme s’il avait passé des siècles à survivre à sa propre malédiction. Il respire par saccades, et son souffle semble geler l’air autour de lui.
— Tu crois que c’est un jeu ? Tu veux mourir dans mes bras ? Crier mon nom pendant que je te déchire ?
Je le rejoins. Je le frappe, légèrement, du poing contre le torse. Il ne bouge pas. Mais ses yeux brillent, rougeoyant un instant dans l’aube glacée.
— Ne fais pas ça. Ne me pousse pas loin de toi alors que tu viens de me laisser entrer.
Il me regarde. Longtemps. Trop longtemps. Son regard se plante en moi comme une lame. Je sens qu’il doute. Qu’il souffre. Qu’il se hait pour ce qu’il a fait… ou pour ce qu’il ressent.
Puis il cède.
Ses bras m’enlacent. Et pour la première fois, il ne me dévore pas. Il se retient. Il se calme.
— Tu me rends plus faible, dit-il.
— Ou plus fort.
Il sourit. Juste un peu.
— Tu es folle.
— Je suis à toi.
Il pose son front contre le mien. Et dans ce contact, il y a une promesse. Fragile. Mais réelle.
Et soudain, il m’emporte.
Pas vers la cabane.
Vers la glace.
Vers le cœur gelé de ce monde qu’il redoute. Qu’il hait. Qu’il incarne.
Il me couche lentement sur un tapis de neige durcie. Le froid mord ma peau à travers mes vêtements, mais je frissonne d’autre chose. D’attente. De vertige. De désir fou.
Lucien déchire ma chemise. Sa bouche trouve la peau de mon ventre, de ma gorge. Chaque baiser est un défi lancé au froid, un feu qui s’oppose à l’hiver. Il gémit contre moi, comme s’il se battait contre lui-même.
Et moi, je l’aide à perdre.
Je lui retire son pantalon d’un geste. Sa peau brûle, paradoxale, comme si tout ce qui l’habite explosait dans cette étreinte interdite. Sa bouche mord mes seins. Ses doigts glissent entre mes cuisses. Il ne parle plus. Il grogne, soupire, m’implore du regard.
Et je m'ouvre à lui.
Là, sur la glace, nos corps s’enlacent à nouveau.
C’est brutal. Primal. Un accouplement de bêtes et de damnés.
Le froid m’arrache des cris. Le plaisir, des larmes.
Lucien me prend comme si le monde s’écroulait. Comme si faire l’amour ici, maintenant, était la seule façon de survivre à ce qu’il est. Il hurle mon nom contre ma gorge, et moi je crie le sien en retour, jusqu’à ce que nos voix se perdent dans la blancheur silencieuse.
Et quand c’est fini, il s’effondre sur moi. Haletant. Tremblant.
Je le serre contre moi. Mon dos est glacé. Mes jambes, engourdies. Mais je ne bouge pas. Parce que ce moment… c’est notre vérité.
Pas la chaleur du feu. Mais le feu dans la glace.
Il relève la tête. Ses yeux sont redevenus clairs. Humains. Humides.
— Je t’ai encore fait mal ?
— Non, soufflé-je. Tu m’as fait sentir vivante.
Un silence passe entre nous, puis il m’aide à me relever. Me rhabille lentement, avec une tendresse qui m’arrache un sanglot.
Nous marchons ensemble vers la cabane.
Chaque pas est une décision. Chaque silence, une confession.
Et tandis que nous franchissons le seuil de notre tanière, j’ai la sensation étrange de ne pas entrer dans un abri, mais dans un territoire nouveau. Inconnu. Intime.
Celui où la bête et la femme doivent apprendre à vivre. Ensemble.
ISABELLAJe suis debout au bord du gouffre,et je ne suis plus seule.Le Noyau chante.Mais ce n’est plus un simple murmure.C’est une résonance tectonique, une vibration qui fend la matière,qui traverse les strates du monde comme une faille s’ouvrant dans l’os du temps.Je sens mes os résonner à son rythme.Mes veines pulsent à contretemps de mon cœur.Mon souffle ralentit, devient étrange, régulier comme un battement d’ailes dans une autre dimension.Mon corps ne m’appartient plus. Il se transforme.Il se désapprend.Il efface ses anciennes lois. Il renonce à ses frontières.Et l’enfant…Non.Ce n’est plus un enfant.Ce n’est plus une promesse de vie.C’est un seuil.Un passage entre ce monde et un autre.Un pont entre la matière et l’idée.Un retour à l’avant-langage, à l’avant-forme.Il ne grandit pas en moi.Il existe hors de moi, même s’il est encore lié.Il s’extrait, goutte à goutte, de ma mémoire, de mon souffle, de ma substance.Autour de moi, le sanctuaire se fissure.Pas
ISABELLAJe marche pieds nus dans les galeries silencieuses.Le sol est tiède sous mes pas. Un souffle sourd y circule, comme un sang oublié, battant sous les pierres.Le silence… pas tout à fait. Il pulse. Il respire.Comme si le sanctuaire lui-même m’indiquait une direction. Une trajectoire. Inéluctable.Je ne sais pas pourquoi je suis descendue.Je n’ai pas réfléchi.Je dormais. Et soudain, ce souffle.Ce frémissement sous la peau, comme une main invisible posée contre mon cœur.Un battement. Une tension.Ni douleur, ni peur.Une nécessité.Je m’enfonce dans les couloirs.Les murs sont couverts de glyphes que je ne reconnais pas, mais que je comprends.Les torches s’allument à mon passage. Pas par magie.Par volonté.Sa volonté.Je le sens. Différent.Dense. Viscéral. Comme une matière vivante, épaisse, rouge, brillante comme le magma et calme comme une étoile en dormance.Il m’appelle.Pas avec des mots. Mais avec un désir brut. Un besoin sans forme.Et je comprends : ce n’est pas
CAËLIl y a… quelque chose dans mon crâne.Une vibration ténue, constante. Comme un souffle qui ne vient pas de moi.Un rythme étrange qui parasite mes pensées. Qui s’installe dans les creux. Qui me mange de l’intérieur.Je ne dors presque plus.Et quand je dors, je tombe.Pas dans des rêves.Mais dans des gouffres.Des visions brisées. Des éclats de feu et de sang. Des murmures d’enfants dans des langues oubliées. Des yeux dorés qui me fixent depuis les ruines du monde.Et toujours, cette voix.Pas forte.Douce.Enfantine.Mais si… ancienne.Elle m’appelle par mon nom, avec une familiarité qui me fait mal. Caël…Tu n’es pas prêt.Je me réveille en sursaut. Encore. Encore. Encore.Ma gorge est sèche. Mon dos trempé de sueur. Le feu dans l’âtre n’a pas bougé, et pourtant la pièce est glaciale.Quelque chose est passé ici. Je le sens encore sur ma peau.Je me lève, chancelant.Isabella est là, dans la pièce voisine.Je la sens aussi. Son feu est stable, rayonnant, comme une étoile viva
CAËLJe la sens avant même de franchir le seuil.Un frisson qui traverse mes os.Un grondement sourd sous la peau.Le feu. Ce feu. Ce feu-là.Il n’est pas naturel. Il est ancien, sauvage, divin peut-être. Ou maudit. Je ne sais plus.Je monte les marches du sanctuaire en silence. Lentement. Chaque marche pèse comme un serment. Mon cœur bat si fort qu’il m’étouffe.Et quand j’ouvre la porte… je la vois.Isabella.Debout. Nue. Offerte au matin.Ses cheveux tombent en cascade sur ses épaules nues, et sa peau semble capturer la lumière. Mais ce n’est pas ça qui me frappe.C’est ce qui pulse en elle.Ce halo. Cette clarté vibrante. Cette aura de pouvoir brut.Elle est en feu, sans brûler.Elle est le feu.Mes lèvres s’ouvrent. Aucun mot ne sort.Elle se retourne lentement. Son regard m’atteint de plein fouet. Ses yeux… ce ne sont plus les yeux d’une humaine. Pas même d’une élue.Ce sont les yeux de celle qui a vu l’origine du monde.Et sur son bas-ventre…Une marque.Un cercle doré, vivant,
ISABELLAJe me réveille en sursaut.Ma gorge est sèche, mes jambes douloureuses.Le feu.Il est partout. Dans mes rêves. Dans ma peau. Dans mes entrailles.Je le sens ramper sous mon ventre, serpent silencieux qui réclame plus que de l’attention.Un appel.Une tension.Je passe mes mains sur mon corps nu. Mes doigts tremblent. Mes pensées sont un brouillard incandescent. Je ne sais plus à qui appartient cette brûlure en moi. À Caël, à Solren… ou à quelque chose de plus ancien.Je me lève, chancelante.Le miroir me renvoie une image étrange.Mes yeux semblent plus sombres. Mes hanches, plus marquées. Mes lèvres… entrouvertes comme si je murmurais sans le savoir.Je descends. Pieds nus. Encore.Toujours ce besoin de traverser la nuit pour rejoindre ce que je suis vraiment.Mais cette fois, ce n’est ni Caël que je cherche…Ni Solren.Je cherche la vérité.Et elle me trouve.Dans la salle des flammes, où brûle un brasero sacré depuis des siècles, je tombe à genoux.Le feu s’élève soudain.
ISABELLALe jour filtre à peine par les vitraux quand j’ouvre les yeux.Les draps sont tièdes. L’empreinte de Solren s’estompe déjà sur ma peau, mais elle brûle toujours dans ma poitrine.Je me lève. Nue. Silencieuse.Je laisse derrière moi un sanctuaire de cendres et de souffle.Je remonte les escaliers sans bruit, le cœur disloqué entre deux hommes, deux vérités.Dans ma chambre, Caël n’a pas bougé.Il est là. Allongé sur le flanc, les paupières mi-closes.Il sait.Je le sens dans la tension de sa mâchoire. Dans l’immobilité parfaite de ses bras. Il ne dit rien. Il ne m’accueille pas. Il ne me juge pas.Mais il entend. Il devine. Il encaisse.Je me glisse dans le lit sans parler. Il ne me touche pas. Ne me tourne pas le dos non plus.Nous sommes là. Deux âmes suspendues.Et au creux du silence, quelque chose se fissure.Le conseil est convoqué dans l’heure.Je ne suis pas surprise. Les ombres n’attendent jamais que l’amour passe. Le monde avance, cruel, précis, indifférent.Quand j’e