La mer.
C’était la première chose qu’elle avait voulu revoir après sa libération.Debout sur la jetée, Malia observait l’horizon. Le vent tiède caressait sa peau, porteur de sel et d’infini. Il y avait dans les vagues une forme de vérité brute. Un va-et-vient, un cycle, une continuité — comme la vie elle-même. On prend, on perd, on recommence.Cela faisait trois semaines qu’elle était sortie de cette spirale d’ombres et de mensonges. Trois semaines qu’elle apprenait à respirer autrement.Et pourtant, elle n’arrivait pas à tourner la page.Aydan.Il était toujours là, dans un coin de sa mémoire. Dans le parfum d’un homme croisé dans la rue. Dans le bois sombre d’une porte qu’elle ouvrait. Dans les silences qui lui lacéraient le cœur à la tombée de la nuit.Il lui avait écrit. Une lettre. Une vraie.Et elle l’avait relue chaque soir, jusqu’à en connaître chaque mot par cœur.Mais elle ne lui avait pas répondu.3h12 du matin.Le calme dans le refuge était trompeur.Sous le silence, un bourdonnement discret vibrait dans l’air.Au nord de la montagne, l’Opération Alpha Nuit était lancée.Dans un fourgon sans marque, plusieurs hommes en noir équipaient leurs visières thermiques.— Objectif : extraction de l’unité 0X.— Ordres ?— Pas de trace. Pas de bruit.— Et si l’enfant résiste ?— Elle ne résistera pas. C’est la mère qui est le problème.•Dans le refuge, Malia se réveilla en sursaut.Un pic de tension dans sa poitrine.Pas une intuition. Un avertissement viscéral.Elle se leva brusquement, traversa le couloir.Liora dormait, calme.Mais la caméra thermique clignotait au rouge.Détection de chaleur à l’extérieur. Plusieurs sources.Elle fonça vers la pièce principale.— Aydan ! Debout ! Ils arrivent !Il se redressa, attrapa son arme immédiatement.
Le matin était clair, le ciel sans nuages.Mais dans l’air flottait une tension sourde, comme un courant invisible prêt à jaillir.Malia se réveilla la première.Elle observa sa fille qui dormait dans le petit berceau en bois qu’ils avaient fabriqué ensemble.Mais quelque chose était différent.Liora ne bougeait pas.Elle était immobile, comme figée.Et son regard… ouvert. Fixe. Presque trop conscient.— Liora ? murmura Malia.Pas de réponse. Pas un son.Puis, au moment où elle s’approcha, la petite tendit brusquement le bras vers la fenêtre.Et dans un claquement sec, les rideaux claquèrent tout seuls, comme poussés par un souffle invisible.Malia recula.— C’était… le vent. Juste le vent, souffla-t-elle, plus pour se rassurer que pour y croire.Mais au fond d’elle, elle savait.Liora avait provoqué ça.•Pendant le petit-déjeuner, Malia resta pensive.
La route serpentait à travers des collines boisées.Depuis des heures, ils roulaient en silence, suivant un itinéraire crypté transmis par Charles via une ligne sécurisée.Pas de GPS. Pas de téléphone actif. Pas de balise.Juste une carte imprimée, des consignes strictes et un objectif : atteindre un lieu isolé dans les montagnes du sud, un sanctuaire oublié, où Liora pourrait vivre sans être traquée.•À l’arrière, Malia caressait doucement les cheveux de sa fille, endormie sur sa poitrine.Chaque kilomètre les éloignait de la menace.Mais elle sentait bien que cette paix était temporaire.Aydan, concentré sur la route, jeta un coup d’œil dans le rétroviseur.— Tu tiens le coup ?— Je crois, souffla-t-elle. Mon corps est en mode pilote automatique.— On y est presque. Charles a dit qu’après le pont de Saint-Marin, on bifurque vers une route de terre. Il y aura une barrière en bois. Aucun panneau.
La serre abandonnée du Domaine Carvin s’étendait comme un squelette de verre, craquant sous le vent.Malia y arriva seule, vêtue simplement, les cheveux attachés, sans maquillage.Une sacoche contre elle, contenant le fruit de semaines de recherche : fichiers, journaux, preuves.Chaque pas sur le gravier résonnait comme une alarme dans sa poitrine.— Phoenix_0X arrivée sur site, murmura-t-elle dans le micro glissé sous sa veste.À l’autre bout, Charles confirmait :— Signal reçu. Pas d’interférence. Je reste en ligne.•À l’intérieur de la serre, la végétation avait repris ses droits.Le verre brisé laissait entrer une lumière crue. L’odeur était celle du silence et de la moisissure.Malia s’avança vers la table centrale, comme indiqué dans le message.Un homme l’attendait déjà.Grand, la cinquantaine, costume sobre, regard perçant.Il ne souriait pas.— Phoenix, je présume ?
Le soleil filtrait à travers les volets.Dans la cuisine, le calme était apparent. Mais tout, dans l’air, sentait la tension contenue.Malia observait Liora, installée dans son transat.Elle fixait un mobile suspendu. Mais ce n’était pas un regard de nourrisson.C’était concentré, curieux, presque… trop lucide.•— Tu regardes comme si tu comprenais, murmura Malia.Elle approcha son doigt. Liora le saisit immédiatement, avec une force anormale pour son âge. Puis, comme guidée par une mémoire inconnue, elle leva ses yeux vers sa mère… et sourit.Pas un sourire réflexe.Un sourire ciblé, presque complice.Malia sentit son cœur se serrer.— Tu sais. Tu sais des choses, n’est-ce pas ?•Aydan entra dans la pièce, les cheveux en bataille.— Charles a tout verrouillé, dit-il. Nouveau serveur, système de détection thermique, ligne cryptée. On est dans un bunker numérique.— Parfait,
Le ciel de Provence se teignait de doré.C’était une autre maison. Un autre lieu. Un autre nom sur la boîte aux lettres.Malia, Aydan, Ayden Junior et la petite Liora venaient de tout quitter.Adieu Paris. Adieu les souvenirs. Adieu les ombres.Désormais, ils vivaient dans une villa discrète, protégée, entre champs d’oliviers et vieilles pierres. L’endroit avait été choisi avec soin par Charles, sécurisé numériquement par ses soins.Mais la tranquillité apparente ne suffisait pas à apaiser les silences.•— Tu penses qu’on a bien fait ? demanda Malia, adossée au mur de la chambre.Aydan, occupé à monter un lit à barreaux, répondit sans se retourner :— On ne fuit pas. On avance.— Mais si on laisse les autres gagner du terrain pendant qu’on se cache…Il releva les yeux vers elle.— Alors on les forcera à venir là où on les attend.•Le soir, Malia relut ses propres notes.