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Chapitre 5 — La Soie et le Sang

Author: Darkness
last update Last Updated: 2025-06-22 22:09:58

Alba

Je ne dors pas.

Pas vraiment.

Je reste allongée, les yeux grands ouverts dans l’obscurité, à écouter le silence. Un silence épais, chargé de trop de choses qu’on n’a pas dites. Mon corps est immobile mais mon esprit, lui, tourne, retourne, se déchire. Je n’ai même pas cherché à m’endormir dans ce lit qui n’est pas le mien, dans cette chambre qui sent son parfum et la cendre. Je me suis contentée de m’enrouler dans une couverture rêche, sur ce canapé trop étroit, comme une survivante qui veille après la tempête.

Le bal me hante encore.

Ses regards.

Ses ordres.

Son territoire.

Tout ce monde baigné dans la luxure et le sang, où chaque sourire cache une lame et chaque verre de champagne peut être empoisonné. Je croyais savoir à quoi m’attendre. J’étais prête à jouer leur jeu. Je pensais pouvoir utiliser cette robe comme une armure. Mais j’avais tort. J’ai sous-estimé leur appétit. Leur violence. J’ai sous-estimé Sandro.

Il a mis une couronne de feu sur ma tête et veut maintenant que je règne.

Mais je ne suis pas certaine de vouloir le trône.

Je me redresse lentement, les muscles tendus, douloureux. L’impression que chaque parcelle de mon corps a encaissé un choc invisible. Je traverse la suite sans bruit, et me glisse dans la salle de bain. L’eau glacée me réveille à peine, mais elle nettoie le masque de la soirée. Je relève la tête. Mon reflet dans le miroir me dévisage comme une étrangère.

Les marques rouges sur ma peau semblent crier. Les regards posés sur moi, les mains effleurant ma taille comme si j’étais une offrande. Et je les ai laissés faire. Parce que je devais briller. Être belle. Être stratégique.

Mais tout ça n’était qu’un piège.

— Tu joues, Alba, murmuré-je, mais à quel jeu ? Et avec quelles règles ?

Je sors, pieds nus, la robe en satin chiffonnée entre mes doigts. Je retourne dans la chambre. Il dort. Ou du moins, il fait semblant.

Sandro ne dort jamais vraiment.

Son torse nu se soulève lentement sous la lumière tamisée. Sa chemise ouverte laisse voir la peau dorée, le dessin net de ses muscles, les cicatrices discrètes d’une vie passée dans la guerre. Il est calme. Prétendument vulnérable. Mais même dans le sommeil, il respire le pouvoir.

Et moi, je ne peux m’empêcher de le fixer.

De l’approcher.

De sentir la chaleur qu’il dégage.

Je pourrais le tuer. Là. Maintenant.

Je pourrais le faire. Je pourrais me débarrasser de lui, et peut-être me libérer de cette emprise qui ne dit pas son nom.

Mais je reste immobile, figée par autre chose.

La fascination.

Le doute.

La colère aussi.

Je m’assieds au bord du lit, en silence. Je le fixe.

— Tu me transformes, Sandro, dis-je d’une voix basse. Tu sais ce que tu fais. Tu me tires vers l’obscur. Tu veux que je sois comme toi.

Un souffle.

Une réponse qui perce le noir.

— Je veux que tu survives à ce monde. Et pour ça, il faut devenir une bête.

Je ne sursaute pas. Je savais qu’il m’écoutait. Qu’il n’attendait qu’un mot pour surgir de l’ombre.

— Alors tu veux m’arracher ce qu’il me reste d’humain ?

— Non. Je veux que tu t’en serves comme d’une arme.

Il se redresse lentement. Comme un prédateur qui sort de sa tanière. Ses yeux croisent les miens, sombres, profonds, tranchants. Il ne sourit pas. Pas encore. Il attend. Il guette.

— Demain, tout change, dit-il. Ton nom a circulé ce soir. Ils ont vu ton visage. Ils ont reconnu ta voix. Ils vont chercher. Ils vont creuser. Tu ne peux plus être une ombre.

Je l’écoute sans bouger. Je sens déjà le piège se refermer.

— Et toi ? Je murmure. Tu comptes rester quoi, dans tout ça ? Mon geôlier ? Mon mentor ? Mon amant ?

Un sourire glisse sur ses lèvres. Glacial. Cruel.

— Je suis celui qui te tiendra debout quand tout s’effondrera.

Je ris. Un rire court, sans joie. Brisé.

— Quelle noble déclaration, Sandro. Et qu’est-ce que tu veux en échange ? Mon âme ? Mon sang ?

Il tend la main. Son contact est brûlant. Il frôle la peau nue de mon bras, trace une ligne invisible sur ma veine.

— Je veux que tu sois plus forte que moi.

Je le fixe, stupéfaite.

Est-ce une bénédiction ? Une menace ?

Ou un vœu condamné à consumer tout ce qu’il touche ?

Il se lève, fait un pas vers moi. Son corps me domine, mais son regard me laisse toute la place. Il m’offre un trône d’épines, et il est prêt à s’y agenouiller si je le réclame.

— Il y aura un dîner demain, dit-il. Chez les Marchesi. Ton père sera là. Et ton frère.

Je me fige.

Le nom de mon frère est une brûlure.

Le souvenir de ma mère, un poison.

Je ferme les yeux. Trop de voix. Trop de cendres.

— Tu veux que je sois ton trophée encore une fois ? dis-je, amère.

— Non. Je veux que tu prennes leur place. Que tu leur fasses peur. Que tu leur montres que le sang qui coule dans tes veines n’est pas fait pour obéir.

Je lève les yeux vers lui. Mon cœur bat plus vite. Pas de peur. De rage. D’instinct.

— D’accord. Mais à une seule condition.

Il attend, les bras croisés.

— Je choisis la robe.

Son regard s’allume. Un éclair traverse ses pupilles.

Il hoche la tête.

— Qu’ils voient ce que j’ai déclenché. Pas ce que j’ai façonné.

Je me lève, contourne le lit, passe tout près de lui. Je sens son souffle. Son corps. Sa chaleur. Il ne bouge pas. Il attend que je recule.

Mais je ne reculerai plus.

— Bonne nuit, Sandro, murmuré-je en le frôlant du bout des lèvres.

Il glisse ses mots dans ma nuque, comme une promesse.

— C’est déjà le matin.

Je quitte la chambre. Sans un regard en arrière.

Parce que s’il me voit maintenant, il saura.

Il saura que quelque chose a changé.

Je ne suis plus une survivante.

Je suis l’orage qui vient.

Et je compte bien faire saigner l’aube.

Sandro

Elle croit me défier.

Elle pense avoir le choix.

Elle pense encore pouvoir me fuir.

Mais ce que je lis dans ses yeux ce soir, c’est pire que la haine.

C’est l’éveil.

Elle ne s’effondre pas. Elle s’élève.

Elle grandit dans les cendres que je croyais posséder.

Je voulais la pousser à bout. Je voulais briser les chaînes de son passé, de sa famille, de ses illusions. Mais je n’avais pas prévu ça.

Je n’avais pas prévu… qu’elle m’éclipse.

Elle deviendra ce que je suis incap

able d’être.

Une reine. Un feu qui consume sans se justifier.

Et peut-être, si elle ne me tue pas avant…

…je finirai par la suivre dans les flammes.

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