Alba
La porte claque derrière nous, un bruit sec, déchirant le voile feutré de la suite luxueuse. Une bulle invisible éclate, libérant l’air glacé d’une réalité plus crue.
Plus de flashs. Plus de musique. Plus de regards pesants.
Juste lui. Juste moi. Et cette boule de colère qui gronde sourdement dans ma gorge, prête à exploser.
Je marche vers le centre de la pièce, les talons frappant le sol avec la régularité d’un tambour de guerre. Chaque pas fait vibrer ma détermination, chaque mouvement est un défi silencieux.
Mes mains tremblent. Je saisis mes boucles d’oreilles — fines perles blanches — et les arrache. Elles roulent sur le sol, éclatent mollement contre le parquet brillant. Je tire ensuite sur le collier qui serre mon cou. Il cède dans un craquement sec, les perles se dispersent, éclats précieux abandonnés, insignifiants.
Je ne veux plus rien qui me rappelle cette façade imposée. Cette nuit, cette mascarade.
— C’était ton plan ? Je n’attends pas qu’il se retourne. — Me déguiser en putain pour parader devant mon père ?
Le silence lui sert d’armure. Puis je perçois ses pas, lents, mesurés, qui résonnent dans l’immense pièce comme le pas d’un prédateur. Son ombre s’étire, se rapproche.
— C’était pour eux, finit-il par répondre, la voix basse, presque rauque. Pas pour toi. Toi, tu t’es déguisée toute seule. Tu as joué ton rôle à la perfection.
Je pivote, le visage dur comme un masque de glace, le fixant droit dans les yeux.
— Je ne joue pas. Je survis.
Un sourire amer glisse sur ses lèvres. Lentement, il défait son nœud de cravate, déboutonne un bouton de sa chemise, révélant la peau pâle, tendue, celle d’un homme qui porte trop de batailles invisibles.
— Alors survie mieux. Parce que dans ce monde, Alba, survivre, c’est se taire. Sourire. Mordre si nécessaire.
Je croise les bras, défiant.
— Et toi ? Tu souris pendant que ton empire pourrit sur ses fondations ?
Son regard devient un tranchant d’acier.
— Fais attention à ce que tu dis.
— Ou quoi ? Tu me frapperas ? Comme ton père le faisait avec ta mère ?
Un silence tombe. Un silence lourd, pesant. Mes mots résonnent comme des balles. J’ai touché la cible.
Soudain, il est devant moi, à une vitesse qui me coupe le souffle. Sa main ferme attrape mon poignet. Pas assez fort pour faire mal, juste assez pour marquer son territoire.
— Je ne suis pas mon père.
Je déglutis, le regard fixé au sien.
— Alors arrête de te comporter comme lui.
Nos souffles se mêlent. L’air devient électrique, brûlant, chargé de tout ce qui n’a pas été dit, de toute cette rancune et ce désir retenus. Il relâche ma main, doucement, presque avec regret.
— Tu veux quoi, Alba ? Que je m’excuse ? Que je t’offre des fleurs ? Ce monde ne fonctionne pas avec des remords. Tu crois que ton père aurait levé son verre si je ne t’avais pas transformée en reine ?
Je déteste ces mots. Je déteste qu’ils fassent vaciller mes certitudes.
Je déteste cette robe, cette soirée, ce jeu cruel qu’il a commencé autour de mon nom.
— Tu m’as humiliée, souffle-je.
Il avance encore, attrape mon menton. M’oblige à le regarder. Son regard fouille, perce, cherche quelque chose que je refuse de lui donner.
— Tu veux la vérité ? Ce soir, ils t’ont crue soumise. Mais ils ont senti. Tous. Que tu ne l’étais pas. Et c’est ça qui les a terrifiés.
Je sens mes genoux faiblir, mais ce n’est pas la peur. C’est la rage, le feu, l’orgueil blessé.
— Je ne suis pas ton trophée.
— Tu es mon arme.
Ses lèvres effleurent ma joue. Lentement. Précautionneusement. Comme une promesse ou une malédiction.
— Et si tu l’acceptes, Alba… on peut les écraser tous les deux.
Je ferme les yeux. Juste une seconde. Pour respirer. Pour ne pas céder à cette tentation de fusion dangereuse, à cette idée de pouvoir partagé.
Quand je les rouvre, il est là, trop près.
— Je ne suis pas à toi, Sandro. Ni ton pion, ni ton arme. Et certainement pas ta reine.
Je recule, l’arrache à sa chaleur, à sa voix.
Mais il ne rit pas. Il ne sourit même pas.
Il me regarde comme si j’étais déjà sur le trône.
Sandro
Elle me hait. Je le vois. Je le sens. Et pourtant…
Elle n’a jamais été aussi belle que lorsqu’elle me défie.
Le bal a servi. Les anciens ont flanché. Les alliances se dessinent. Mais la vraie conquête, c’est elle.
Alba Valente.
Un incendie sous contrôle. Un poison lent. Et je suis prêt à m’empoisonner s’il le faut.
Je me verse un verre, m’assieds dans l’ombre du salon. La suite est immense, luxueuse, silencieuse. Mais je ne vois qu’elle, qui fait les cent pas, qui tremble de tension, qui me hait autant qu’elle se hait d’avoir survécu à ce bal sans céder.
Elle retire la robe d’un coup sec. Elle reste là, en sous-vêtements, sans honte, sans pudeur, défiant encore.
Je l’observe. Chaque muscle tendu. Chaque battement de cils. Chaque respiration brûlante.
— Je vais te tuer, souffle-t-elle, voix basse, dangereuse.
Je souris. Lentement. Sincèrement.
— Je n’en attends pas moins de toi.
Je lève mon verre à son nom.
À sa colère.
À sa couronne invisible.
À la Reine que je façonne dans l’ombre.
Alba
Je m’éloigne, mais le poids de ses yeux sur moi m’empêche de respirer librement. Ce jeu me consume, mais je refuse de lâcher prise.
Je me dirige vers la fenêtre, regarde la ville en contrebas. Tout semble paisible, endormi. Mais ici, derrière ces murs, c’est une autre bataille qui fait rage.
Sandro s’approche doucement, pose une main sur mon épaule. Je ne bouge pas.
— Tu penses pouvoir m’échapper ?
— Je ne cherche pas à t’échapper.
— Alors quoi ?
Je serre les poings.
— Je cherche à te vaincre.
Son sourire se fait cruel.
— Tu ne sais pas ce que ça signifie. Pas encore.
Je me retourne, défiant.
— Je l’apprendrai.
Un silence s’installe, lourd de promesses et de menaces.
Il s’approche à nouveau, glisse une mèche de cheveux derrière mon oreille.
— Tu n’es pas prête, Alba.
Je lui lance un regard brûlant.
— Je ne serai jamais prête pour ce que je suis capable de faire.
Sandro
Elle me défie, me provoque, et c’est ce qui me fait tourner la tête.
— Alors montre-moi.
Je passe derrière elle, pose mes mains sur ses hanches.
Elle se tend, se débat presque, mais elle ne me repousse pas.
— Je suis déjà en train de le faire.
Nos souffles s’entrelacent. Le feu et la glace.
Le pouvoir est un jeu dangereux. Mais avec elle, je brûle plus fort que jamais.
AlbaLa nuit s’est abattue sur la villa comme une encre noire.La mer, au loin, résonne d’un grondement sourd, un battement primitif qui s’accorde à mon propre cœur.Rien ne dort vraiment ici.Chaque craquement du bois, chaque écho de pas dans le couloir est un mot d’un langage secret : celui de l’ambition.Je ferme les yeux un instant.Je peux presque sentir la maison respirer.Des murmures circulent, pareils à des fils de soie tendus d’une pièce à l’autre, prêts à s’emmêler ou à se rompre.Ce soir, je suis l’araignée.Et c’est moi qui décide de la forme de la toile.Sandro m’a confié les rênes.Pas une simple permission : une déclaration silencieuse.Montre-leur que tu es mon égal.Ses yeux avant de quitter la salle disaient tout.Je ne compte pas le décevoir.Je descends l’escalier principal.Le marbre froid sous mes talons aiguise chacun de mes pas.À chaque étage, j’aperçois des silhouettes furtives : gardes en patrouille, messagers pressés, ombres qui se figent lorsque mon regar
AlbaLa salle semble soudain plus étroite, comme si le poids des secrets et des ambitions comprimait l’air lui-même. Je sens le regard de Marco Bellanti sur moi, lourd, évaluant chaque geste, chaque nuance de mon expression. Mais ce qui attire mon attention, ce n’est pas lui. C’est Sandro. Il se redresse lentement, ses épaules larges et sa posture imposante commandant l’espace sans un mot. Chaque mouvement qu’il fait semble calculé pour imposer l’ordre, la discipline… et la peur respectueuse.— Assez, dit-il enfin, sa voix grave et autoritaire résonnant dans la pièce comme un marteau sur l’enclume. Marco, tes jeux sont connus. Mais ici… c’est moi qui décide.Un frisson parcourt l’assemblée. Même Giulia, pourtant féline et calculatrice, incline légèrement la tête, un mélange d’admiration et de respect dans les yeux. Elle sait autant que moi que ce ton n’admet aucune discussion. C’est Sandro, le véritable chef. Chaque alliance, chaque transaction, chaque décision passe par lui.— Je sui
AlbaL’atmosphère dans la salle s’alourdit encore, chaque respiration semble suspendue. L’inconnu ne lâche pas mon regard, et je sens le poids de son attention sur moi, scrutant mes réactions, cherchant à deviner mes intentions. Giulia reste près de moi, ses yeux brillants d’une curiosité calculatrice, son sourire toujours provocant, mais pour la première fois, je perçois une lueur d’inquiétude.— Avant d’aller plus loin, dit-il, sa voix basse et glaciale, il est temps que vous sachiez à qui vous avez affaire.Le silence est immédiat. Tous les regards se tournent vers lui. Même Sandro, d’habitude impassible, fronce légèrement les sourcils, visiblement surpris par le ton solennel de l’homme.— Je m’appelle Marco Bellanti, annonce-t-il enfin, les yeux braqués sur Sandro, puis sur moi. Certains d’entre vous me connaissent déjà par mes affaires à Milan, mais très peu savent que je suis ici depuis des mois, observant, évaluant… et attendant le bon moment pour agir.Un murmure parcourt la s
AlbaL’air dans la salle est soudain plus lourd, chargé de promesses et de menaces. Je sens le regard de l’inconnu peser sur moi comme un poids tangible, tandis que Giulia s’avance légèrement, un sourire calculateur aux lèvres. Chaque muscle de mon corps est tendu, prêt à réagir.— Très bien, dit l’inconnu d’une voix basse et tranchante, il est temps de clarifier certaines choses. Sandro, ta loyauté sera mise à l’épreuve… et toi, Alba, il serait sage de comprendre que ce jeu est plus dangereux que tu ne le crois.Je le fixe, mes yeux défiants, sans un tremblement. Chaque mot qu’il prononce cherche à me déstabiliser, à provoquer une réaction. Mais je ne lui offrirai aucune faille. Pas maintenant.— Alors parlons, rétorque Sandro calmement, sa main effleurant la mienne sous la table, un contact discret mais rassurant. Nous sommes prêts à écouter, mais nous ne cédons jamais à l’intimidation.Giulia incline légèrement la tête, un rictus amusé sur le visage. Elle se penche vers moi presque
AlbaLe lendemain matin, le soleil à peine levé perce à travers les stores, dessinant des rayons tremblants sur le parquet brillant. Mon café fume dans ma main, mais je n’ai pas vraiment le temps de savourer le goût amer. Aujourd’hui, je n’observe plus simplement : aujourd’hui, je dois agir.Sandro m’attend déjà dans sa voiture, silencieux, ses yeux sombres fixés sur moi à travers le rétroviseur intérieur. Il me frôle l’épaule en montant à côté de lui, un geste furtif, mais chargé de ce désir et de cette promesse que je ne peux ignorer.— Respire, murmure-t-il, sa voix basse, autoritaire. Tout ce que tu feras aujourd’hui compte. Chaque mot, chaque geste, chaque silence. Sois attentive… et sois prête.Je hoche la tête, mon estomac noué d’anticipation. Mon cœur bat, mais une partie de moi est étrangement calme. Je suis prête.Nous arrivons à la salle de réunion, plus grande et plus solennelle que la précédente. Les hommes et femmes de l’organisation nous attendent déjà, leurs visages fe
AlbaLe parfum du café flotte encore dans la maison lorsque nous quittons le bureau. Le soleil est plus haut maintenant, filtrant à travers les vitres teintées de la voiture de Sandro. Mon cœur bat la chamade, une combinaison de peur et d’excitation. Aujourd’hui, je ne suis plus simplement Alba, sa femme, son désir… aujourd’hui, je suis un élément de son empire.Sandro ne parle pas pendant le trajet. Ses mains sont fermement posées sur le volant, ses yeux fixés sur la route, mais je sens son attention constante sur moi, comme si chaque mouvement que je faisais pouvait être crucial.— Respire, murmure-t-il enfin, sa voix basse, rauque, pleine d’autorité et de tendresse à la fois. Observe. Apprends. Et surtout… ne montre jamais de faiblesse.Je hoche la tête, essayant de maîtriser le tremblement de mes mains. Je sais qu’il a raison : dans ce monde, chaque détail compte, chaque expression, chaque silence. Une erreur et tout peut basculer.Nous arrivons devant un bâtiment discret, mais im