Lyra
Deux mois s’écoulent depuis mon retour dans cette maison.
Et pour la première fois depuis des années, j’ai l’impression de respirer vraiment.
Chaque matin, en ouvrant les yeux, je ne suis plus envahie par cette angoisse sourde qui me broie le ventre. Le plafond doré de ma chambre se teinte d’une lumière tamisée que filtraient les rideaux crème. L’odeur des fleurs fraîches, disposées dans de hauts vases de cristal, emplit l’espace d’une douceur apaisante.
Je connais à présent chaque recoin de cette maison. Le grincement discret de la cinquième marche, le léger courant d’air sous la porte de la bibliothèque, les éclats de voix au loin quand mon père téléphone dans son bureau. Peu à peu, je réapprends à marcher dans ces lieux sans crainte, à m’y sentir chez moi.
Mais plus que les murs, ce sont les regards qui changent tout.
Ils ne m’ont pas pressée. Pas forcée. Ils m’ont attendue.
Avec une patience désarmante, une tendresse qui, peu à peu, fend les murailles que j’ai dressées autour de moi. Le silence se brise. Je ris à table. Je partage des repas sans me demander si je mérite ma place. Un après-midi, Lucas me propose de retourner à la cabane du jardin. Nous ne parlons pas, mais quand je le vois détourner la tête pour essuyer discrètement ses yeux, je comprends que ce lieu renferme autant de souvenirs pour lui que pour moi.
Ce jour-là, je sais. Je suis vraiment de retour.
Et puis, un soir, alors que le ciel se teinte de rose et que le dîner touche à sa fin sur la terrasse, mon père pose doucement sa main sur la mienne.
— Lyra, nous aimerions te proposer quelque chose.
Je relève les yeux, surprise. Le murmure des fontaines, plus loin dans le jardin, emplit le silence. Ma mère pose sa serviette, les yeux brillants.
— Tu as retrouvé ta place ici. Mais il est temps, maintenant, que tu découvres l’autre facette de notre vie. Celle que nous avons bâtie ensemble… notre entreprise.
Elle a ce sourire fragile, comme si elle retenait son souffle depuis des semaines, espérant ce moment.
— On voudrait que tu y travailles, poursuit-elle. Comme assistante de ton frère. Lucas pourra t’initier à tout. Ce serait une belle façon de vous retrouver… et de t’intégrer doucement.
Je ne réponds rien sur le moment. Je tourne la tête vers Lucas. Il m’offre seulement un hochement de tête. Pas de sourire. Pas un mot. Mais ses yeux parlent pour lui : Je suis prêt.
J’inspire lentement.
— D’accord. Je veux bien essayer. Être l’assistante de Lucas. Mais j’ai une condition.
Les regards se figent. Attentifs.
— Je veux travailler sous mon prénom actuel. Je ne veux pas révéler qui je suis vraiment.
Un silence épais tombe. Mon père fronce légèrement les sourcils. Ma mère semble peinée, presque blessée.
— Pourquoi, chérie ? murmure-t-elle, sa voix tremblante d’inquiétude.
Je me redresse, les mains nouées sur mes genoux.
— Vous m’aviez dit que j’avais été enlevée par ma nourrice. À trois ans. Puis… elle est morte, sans laisser d’explication. Pas de lettre. Pas de mobile. C’est comme si elle s’était volatilisée après m’avoir volée. Et plus j’y pense, plus je me dis que ce n’était pas un simple acte isolé.
Je marque une pause. La brise effleure ma nuque, et j’en profite pour calmer mon souffle.
— Quelqu’un vous visait. Quelqu’un a voulu vous blesser en m’enlevant. Et ce quelqu’un pourrait bien être encore là. Silencieux. Tapi dans l’ombre. Peut-être même… au sein de votre entreprise.
Le verre que tient ma mère vibre légèrement entre ses doigts avant qu’elle ne le repose.
Mon père hoche lentement la tête, le regard assombri.
— Tu as raison. Tant que la vérité ne sera pas faite… nous resterons prisonniers de ce passé.
Lucas, jusque-là silencieux, pose sa tasse sur la table. Le tintement sec résonne comme une décision.
— On commencera demain.
Je croise son regard, déterminée.
— Je ne suis pas experte en affaires, mais je vous promets une chose : je vais retirer l’épine qui est restée plantée dans notre chair depuis vingt ans.
Le lendemain, j’enfile un tailleur noir simple, élégant, choisi avec soin par ma mère. Elle m’aide à ajuster le col avec un mélange de fierté et d’émotion contenue, comme si elle m’habillait pour ma première rentrée.
Lucas m’attend devant la voiture, les bras croisés, toujours aussi impassible. Un bref signe de tête.
— Prête ?
— Prête.
La route jusqu’au siège se fait dans un silence étrange, pas lourd, mais suspendu. À travers la vitre, les tours s’élèvent, immobiles et puissantes. Le bâtiment familial se dresse au centre du quartier d’affaires : une tour de verre sobre, brillante, presque intimidante. Chaque ligne, chaque reflet sur la façade semble crier la puissance maîtrisée.
À peine entrés, les regards se tournent. Des chuchotements suivent nos pas comme une traînée de poudre.
— Le président a enfin une assistante ? Lui qui a toujours bossé seul…
— Et elle est canon, en plus. T’as vu ses jambes ? Elle a dû user de ses charmes, c’est pas possible.
Je ne réagis pas. Trop d’années à encaisser. Trop de cicatrices pour que ces flèches m’atteignent encore.
Mais Lucas, lui, s’arrête net. Il pivote vers les deux employés à l’origine des murmures. Ils pâlissent instantanément.
— Elle est ici pour travailler. Et elle est sous ma responsabilité directe. Le moindre commentaire déplacé sur elle, c’est un commentaire sur moi. Vous comprenez ?
Ils hochent la tête, muets. La glace dans sa voix les a cloués sur place.
Une fois dans son bureau vaste, épuré, baigné de lumière, il m’indique mon espace de travail. Un bureau discret, en retrait, avec une vue plongeante sur la ville.
Puis il s’installe et plonge ses yeux dans les miens.
— Ce qu’on va entreprendre… n’a rien d’un jeu.
— Je sais, réponds-je simplement.
Il me tend un dossier épais.
— Voilà la liste des employés présents depuis plus de vingt ans. Ceux qui savaient. Qui pouvaient suivre nos déplacements. Connaître les habitudes de la maison. Et avoir accès à toi, quand tu étais enfant.
Je prends le dossier, mon cœur battant plus fort. Chaque nom sur cette liste est une question sans réponse. Une menace possible.
— On va devoir jouer le jeu. Saluer, sourire… pendant qu’on cherche qui, parmi eux, a voulu effacer une enfant.
Je me lève lentement.
— Je suis prête.
Dans ses yeux, j’aperçois mon propre reflet. Une détermination glacée. Une colère tranquille. Le passé va parler. Et cette fois, je suis prête à l’écouter.
Mais au même moment, à l’entrée de l’immeuble, les portes automatiques s’ouvrent dans un souffle discret.
Un couple entre.
Élégants. Parfaits. Habitués des lieux.
Leur démarche est assurée, leur sourire poli. Mais sous cette façade bien trop lisse… quelque chose cloche.
Ils s’approchent de l’accueil.
— Dites à Lucas que nous sommes arrivés. Il nous connaît bien.
Leur voix est douce. Trop douce.
Et derrière leurs sourires… je sens une fissure.
Un mensonge. Un souvenir.
Peut-être même… un secret.
LYRALa lumière s’infiltre à travers les stores à lames fermées, traçant des lignes pâles sur mes draps froissés.Je suis réveillée , depuis longtemps.Je n’ai pas vraiment dormi, en vérité.J’ai flotté entre des fragments de rêves trop nets et des souvenirs que je croyais avoir rangés pour de bon.Je me demande pourquoi je pense encore à lui...mon Dieu... Alexandre pourquoi c'est tombé sur toi ? Toi le fruit interdit , car...tu es le fiancé de Cassandre et elle est enceinte de toi je ne peux pas vous séparer. Malgré ce que je ressens pour toi...je dois le masquer..je ne veux pas être une briseuse se foyer . Ma gorge est sèche , mon ventre, creux.Mais c’est ailleurs que ça brûle. Là où les émotions logent quand elles n’ont plus de place.Je tourne la tête sur l’oreiller, lentement, comme si chaque geste risquait de me casser.Tout est calme , trop calme. Le genre de matinée où le silence appuie là où ça fait mal . Je pense à mon ex , je ne sais pourquoi je pense à lui , il ne le mér
LYRALa porte se referme dans un cliquetis doux.Un bruit insignifiant, en apparence.Mais dans mon ventre, il résonne comme une fin de quelque chose. Une clôture. Un point. Un silence après une tempête qu’on n’a pas osé nommer.Lucas ne parle pas.Il n’a pas parlé depuis que nous avons quitté le restaurant.Et je crois que c’est mieux ainsi.Dans le couloir plongé dans la pénombre, la chaleur du dehors s’est éteinte d’un seul coup, remplacée par la fraîcheur familière de chez moi.Je me déchausse sans un mot, laisse mes talons choir mollement sur le tapis, comme si même le sol ne voulait plus les supporter.Mes pieds me brûlent.Mais ce n’est rien, comparé à cette douleur sourde dans ma poitrine.Un creux. Une absence. Un poids trop longtemps retenu.Je sens le regard de Lucas sur moi.— Tu veux un thé ? je demande d’une voix plus douce que je ne l’aurais cru.Il secoue la tête. Bras croisés. Posture tendue.Il ne s’assied pas.Il m’observe comme s’il attendait que quelque chose en m
RAFAELJe remonte la rue sans regarder où je vais.Le bruit de mes pas sur l’asphalte me semble étranger comme si je ne marchais pas vraiment. Comme si tout, autour de moi, était devenu flou depuis ce regard.Celui de Lyra.Et cette robe noire, ce port de tête, cette façon de ne pas broncher quand j’ai prononcé son prénom comme si j’étais un souvenir usé, sans valeur, à peine toléré dans son présent.Elle était là.Dans ce restaurant.À cette table.Avec lui.Et moi ? Moi j’ai fondu sur elle comme un type en manque. Un type qui n’a pas digéré , un type transparent.Je pousse un soupir. J’ai chaud. Trop chaud.Je desserre le col de ma chemise. J’ai l’impression d’étouffer.Ce restaurant , c'est pas un endroit qu’on choisit par hasard. C’est un lieu qu’on connaît.Une adresse qui ne s’improvise pas.Même moi, je n’y suis venu qu’une fois. Invité par un client aux poches assez pleines pour se croire subtil.Et elle…Elle y est entrée comme si c’était chez elle.Elle y a parlé avec aplomb
LYRADepuis qu’il est parti, le monde semble devenu un peu trop silencieux.Pas paisible ni reposé.Silencieux comme une salle de théâtre juste après que le rideau est tombé. Quand les spectateurs ne bougent pas encore, suspendus dans ce flottement entre fiction et retour à la réalité. Quand les lumières ne se sont pas encore rallumées, et que l’air lui-même paraît en suspens, chargé de ce qui vient d’être dit ou pas dit.Je termine mon verre sans m’en rendre compte. Lucas parle. Je réponds. Mais je suis déjà ailleurs.À l’intérieur de moi, quelque chose frémit. Une vibration sourde, à peine perceptible. Comme si mon corps savait avant moi que le calme apparent n’était qu’un décor fragile, un vernis trop lisse posé sur un sol instable.Autour de nous, les conversations reprennent. Les verres tintent à nouveau. Les serveurs circulent. Les assiettes arrivent. Le monde continue.Mais… quelque chose cloche , c'est la même sensation bizarre que j'ai ressenti au bureau .Ce ne sont pas les
LYRAIl y a des jours où l’univers semble s’accorder à vous, non pour vous consoler, mais pour vous offrir le luxe de vous sentir en contrôle. Une illusion, sans doute. Mais une illusion bien habillée.Le ciel est pâle, lavé de lumière, et même la ville semble marcher au ralenti, comme si elle retenait son souffle. Mon café a la température parfaite, le goût exact que j’attendais. Et ma robe noire, sobrement fendue, épouse mes gestes comme si elle savait avant moi ce que cette journée exige.Je ne suis pas légère ni euphorique.Mais je suis droite , ancrée et présente.Lucas m’attend devant l’immeuble, adossé à sa voiture, lunettes noires sur le nez, le col de sa chemise légèrement ouvert. Il dégage cette assurance nonchalante, presque agaçante, qui lui vient d’années à lire les autres comme un livre à demi-ouvert.— Deux minutes de retard, je note, lâche-t-il, sans bouger d’un centimètre.— Tu as dû souffrir , deux minutes, c’est long pour ton ego.Il me lance un sourire en coin. C’e
ALEXANDREJe n’aime pas ces silences.Pas ceux de Lyra, du moins.Elle a toujours été faite de mots. Pas beaucoup , juste les bons.Des regards clairs , des questions directes. Une honnêteté qui tranchait dans la masse.Mais là, elle ne me répond plus.Elle s’efface . Elle se ferme .Elle m’échappe .Et plus elle recule, plus je sens la panique monter . Je suis en train de la perdre . Et je suis incapable de faire quoi que ce soit pour l’arrêter.Je tourne autour de mon téléphone comme un con.J’efface le message trois fois avant de l’envoyer :Tu veux qu’on déjeune ensemblePas de point d’interrogation.Pas de précaution. Pas de formule douce pour arrondir les angles.Juste… un fil.Tendu. Fragile. Prêt à rompre au moindre souffle.Mais elle ne répond pas.Pas tout de suite. Pas même une réaction. Pas même un accusé de réception.Alors je fais ce que je sais faire : je m’enterre dans le travail.Je classe , je rédige , je corrige.Mais tout me ramène à elle.Et c’est là que la voix d