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Chapitre 6 — Comme un rêve éveillé

Author: Déesse
last update Last Updated: 2025-06-26 15:52:38

Lyra

Je n’ai jamais vu une maison aussi grande.

Je reste figée sur le seuil, la bouche entrouverte, incapable de faire un pas de plus. Mon regard accroche le plafond, le sol, les murs, comme si je cherchais une faille, un indice que tout cela n’est qu’un décor de théâtre. Mais non. Tout est réel.

Le sol luit sous mes pieds. Du marbre blanc, strié de fils dorés. Si pur, si parfait que j’ai peur de le salir avec mes chaussures usées. Les murs s’élèvent haut, d’un blanc crème bordé de boiseries finement sculptées. Et les lustres… Seigneur. Des cascades de cristal suspendues, qui attrapent la lumière et la dispersent en milliers d’étoiles autour de moi.

Je n’ose pas toucher. Je n’ose même pas respirer trop fort. J’ai l’impression que si je bouge brusquement, tout va s’effondrer. Et que je vais me retrouver là où j’étais hier encore : cette ruelle grise, cette cuisine sale, cette vie sans lumière.

— Entre, ma chérie. Tu es chez toi maintenant, murmure la femme à mes côtés, en posant une main douce sur mon épaule.

Chez moi.

Ces deux mots frappent fort dans ma poitrine. Comme une vérité étrangère, un rêve à moitié murmuré. Chez moi. Comme si j’avais ma place ici.

Je fais un pas, puis un autre. L’air sent le jasmin, la cire d’abeille et le bois ancien. C’est une odeur chaude, enveloppante. Une odeur de foyer. Je n’en ai pas connu beaucoup, des foyers.

Et puis je le vois.

Il se tient debout dans le salon, les bras croisés. Un homme jeune, mais déjà habité par cette froideur qu’ont ceux qui portent trop tôt des responsabilités. Il me fixe. Un regard gris, presque métallique. Calme. Trop calme.

— Lucas, dit la femme dans un souffle tendre, voici ta sœur.

Je me fige. Il ne bouge pas.

Pas un mot. Pas un geste.

Il m’observe comme une énigme. Comme une pièce rapportée qu’on tente de forcer dans un puzzle ancien. Dans ses yeux, il y a quelque chose de distant… et une brisure que je ne comprends pas encore.

— Ne te laisse pas tromper par son air froid, ajoute-t-elle avec un léger sourire. Lucas est le PDG du groupe familial, maintenant. Il a quitté le bureau dès qu’il a su qu’on t’avait retrouvée. À ta naissance, il était si heureux ! Vous étiez inséparables. Tu n’en gardes vraiment aucun souvenir ?

Je ne sais pas quoi répondre.

Des souvenirs, j’en ai. Mais flous. Fragmentés. Comme des éclats de verre qu’on essaie de recoller à l’envers. Un rire. Un jardin. Une main chaude. Et puis… plus rien.

Je force un sourire. Un sourire douloureux.

— J’ai toujours cru que ces images dans ma tête étaient des rêves… Une illusion pour fuir la douleur.

Il tressaille. Je le vois. Une faille dans le masque. Un frémissement. Une émotion.

Son regard change. À peine, mais assez. Comme s’il m’écoutait pour la première fois.

— Tu te souviens… de quoi ? demande-t-il. Sa voix est grave, mais vacille légèrement.

Je ferme les yeux.

Et les souvenirs reviennent. Plus nets. Plus vrais.

— Il y avait un arbre immense, dans le jardin… On accrochait des rubans colorés pour faire des vœux. Et un chien. Blanc. Il s’appelait Neige. Et… une cabane en bois derrière les buissons. Tu disais que c’était notre château secret.

Je rouvre les yeux.

Il a fermé les siens.

— La cabane… Je l’ai reconstruite l’an dernier. Juste… au cas où.

Un souffle passe dans la pièce. Pas un vent. Un souffle de vie. Comme quelque chose qui se réveille.

Je veux pleurer. Mais pas comme avant.

Pas de douleur. Pas de rage.

Du soulagement.

Il pose une main sur mon épaule. Ferme. Réservée. Mais réelle.

Un ancrage.

— Je te ferai visiter demain. Repose-toi ce soir. Tu dois être épuisée.

Je le suis. Mais pas seulement dans mon corps.

Je suis épuisée de douter. De me méfier. De fuir.

Ma chambre… j’hésite à l’appeler ainsi. C’est un palais.

Des rideaux lourds, en velours prune. Un lit immense, recouvert de coussins et d’un édredon moelleux. Une coiffeuse en bois laqué, des bougies parfumées, des livres à perte de vue. Des murs doux, nacrés. Et un petit balcon, qui donne sur le jardin.

Tout est fait pour moi.

Et je ne comprends pas pourquoi.

Je vais jusqu’au miroir. Mon reflet me surprend.

Une robe neuve. Des cheveux coiffés. Un teint presque reposé.

Mais mes yeux…

Ils n’ont pas changé.

J’y vois la fille qui pleurait seule dans le noir. Celle qui se cachait pour manger. Celle qu’on traitait comme un fardeau.

Et soudain, cette chambre me fait presque peur.

Comment un cœur aussi cabossé peut-il habiter un lieu aussi beau ?

Je m’assieds sur le lit. Et je laisse les larmes couler. En silence.

Je ne pleure pas de tristesse.

Je pleure parce que je suis perdue. Parce que j’ai peur d’y croire. Et encore plus peur de voir tout ça s’effondrer.

— Pourquoi moi ? Est-ce que c’est vrai, tout ça ? Ou juste un mirage ? je murmure.

Mais personne ne répond.

J’ai peur. Peur que ce soit un rêve. Que demain je me réveille là-bas, dans la crasse et l’oubli. Mais non. C’est la réalité. Je suis ici. Dans ce palais. Je dois y croire.

Lucas

Je ne dors pas.

Je suis dans mon bureau, face à la baie vitrée, les mains dans les poches.

J’ai tout donné pour cette famille. Pour rester debout quand mes parents s’effondraient. Pour faire tourner l’entreprise. Pour honorer la mémoire d’un vide.

Celui qu’elle avait laissé.

Et ce soir, ce vide est devenu présence.

Elle est là. Elle est revenue.

Et je n’arrive pas à la voir comme une étrangère.

Parce qu’elle a parlé de Neige. De la cabane. Parce qu’elle a répété cette phrase…

On sera toujours ensemble, d’accord ?

Je croyais que c’était un mensonge qu’un enfant se raconte pour survivre.

Mais elle s’en souvenait.

Je l’ai regardée longtemps. Elle n’a plus la même voix. Plus le même corps. Mais elle a gardé ce regard. Ce mélange d’espoir et de solitude.

Et je me fais une promesse, ici, maintenant.

Si elle est vraiment de retour, alors je la protégerai. Même si elle me repousse. Même si elle me hait. Même si je dois tout affronter pour ça.

Elle est ma sœur.

Et je suis son grand frère.

— Bienvenue à la maison, Lyra.

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