LOGIN— Laissez-nous.
L’ordre était calme, presque mécanique, mais il portait une autorité telle que les servantes et le garde se retirèrent sans la moindre hésitation.
La lourde porte se referma derrière eux, me laissant seule avec le Lycan aux cheveux d’argent, debout au centre de la chambre, ses yeux fixés sur moi comme ceux d’un érudit observant un spécimen rare.
Mon souffle se bloqua dans ma gorge. Son visage ne trahissait rien — ni irritation, ni chaleur, juste une immobilité impénétrable.
Il s’avança lentement, chaque mouvement mesuré, scrutant chaque détail de mon corps comme s’il devait en consigner chaque trait. Mon estomac se noua.
— Tu es ma compagne, déclara-t-il enfin, d’une voix plate, comme s’il annonçait un fait tiré d’un manuel.
Je me raidis. — Non… non, vous faites erreur, balbutiai-je, ma voix se brisant malgré ma volonté de paraître forte. — Je suis juste… la nouvelle reproductrice qu’on a amenée ici.
Sa tête s’inclina légèrement, son expression toujours figée, et il me regarda comme une machine traitant une donnée erronée. — Tu es ma compagne. Le lien est absolu. Il ne ment pas.
Mes paumes étaient moites. Je détestais sentir mon cœur s’emballer à ce mot : compagne. — Vous ne comprenez pas, repris-je en secouant la tête. — Je n’appartiens à aucun de vous. On m’a envoyée ici pour une raison qui n’a rien à voir avec ce lien.
Sans ciller, il poursuivit : — Le lien du destin est fort, immédiat et infaillible. Chez les Lycans, il n’a jamais failli. Des générations d’archives le prouvent.
Je me mordis la lèvre. Il ne criait pas comme Rowan, ne souriait pas avec arrogance comme Kai. Il était… étrange. Détaché. Trop détaché. Cela me troublait plus encore que la colère.
Ma voix trembla. — Mais je… je le ressens aussi avec les autres. Comment est-ce possible ?
Il fit un pas mesuré vers moi. — Parce que ce que je ressens, ils le ressentent aussi. Nos destins ont été liés le jour où nous avons atteint notre maturité. Nous partageons une seule compagne : toi.
Mon estomac se contracta. Les quatre ? J’avalai difficilement, la panique me traversant. — Pourquoi… pourquoi aurait-on fait cela ? chuchotai-je.
— Pour le pouvoir. Pour l’unité, répondit-il comme s’il récitait un texte appris par cœur. — Nous sommes liés à une seule femelle afin que notre règne reste indestructible.
Mes genoux vacillèrent. L’idée d’être enchaînée à quatre d’entre eux me donna la nausée.
Il s’approcha encore, sa chevelure argentée captant la faible lumière des torches. — Je te marquerai en premier. Il serait dangereux que nous le fassions tous en même temps. Les intervalles doivent être calculés.
Mes yeux s’écarquillèrent alors qu’il murmurait pour lui-même, comme s’il résolvait une équation. — Un intervalle de quelques jours entre chaque marque garantirait que ton corps ne s’effondre pas sous la contrainte, ajouta-t-il.
Mon souffle devint court, saccadé. — M-me… me marquer ? Non, je… je ne peux pas…
— Quel est ton nom ? demanda-t-il, ignorant ma panique.
J’avalai difficilement. — Mira.
— Damien, répondit-il d’un ton sec. Souviens-toi de ce nom. Je suis le plus intelligent de mes frères. Reste près de moi, et tu pourras endurer tout cela avec moins de souffrance.
Mon cœur battait douloureusement dans mes oreilles. Intelligent ? Il croit que tout cela est une question d’intelligence ?
— Je… — Je humectai mes lèvres sèches. — Mais Kai m’a déjà fait demander. Il a dit que—
— Tu répondras à moi, coupa Damien, d’un ton ferme mais toujours sans émotion. — Quand je te marquerai, tu me le diras. Jusqu’à ce moment-là, son appel ne te concerne pas.
Le mot marquer serra ma poitrine d’une terreur glaciale. Je secouai la tête, la détresse perçant ma voix.
— S’il vous plaît… ne me forcez pas à aller le voir. Je ne suis pas prête. Je… — Je baissai les yeux, feignant la timidité, masquant ma peur du mieux que je pouvais. — Je ne suis pas encore préparée à cela. Je vous en prie.
Pendant un long moment, Damien se contenta de m’observer sans ciller. Puis, sans prévenir, il se détourna et me fit signe de le suivre. — Viens.
Un souffle de soulagement m’échappa. Il m’éloignait de Kai — pour l’instant.
Nous entrâmes dans ses quartiers, et je restai stupéfaite. La pièce ne ressemblait à aucune autre. Des étagères couvraient les murs, remplies de livres, de parchemins et de manuscrits soigneusement empilés. Un large bureau couvert de feuilles occupait le centre. Cela ressemblait plus à un cabinet d’étude qu’à une chambre.
Damien désigna une chaise. — Assieds-toi.
J’obéis prudemment, mes yeux glissant sur les rangées de plumes et d’encriers parfaitement alignés.
Il se tourna vers un garde resté à la porte. — Apporte du thé aux herbes.
Le garde disparut, puis revint quelques minutes plus tard avec une tasse fumante. Damien la posa devant moi avec précision. — C’est la meilleure boisson pour les louves. Mes recherches confirment ses propriétés réparatrices.
Je fixai la tasse, puis lui. — Vous avez… fait des recherches sur moi ?
Il acquiesça. — Chaque compagne doit être comprise. Observée. Analysée.
Ma mâchoire se crispa. Analysée ? Comme une expérience ?
Il s’assit en face de moi, sans jamais détourner le regard. Le silence s’étira, seulement brisé par le grattement de sa plume lorsqu’il nota quelque chose sur un parchemin. C’en était presque insupportable.
Finalement, je me penchai légèrement, forçant un sourire. — Vous savez… je me suis toujours demandé une chose à propos du lien des âmes.
Damien leva les yeux, un léger éclat d’intérêt traversant son regard. — Parle.
— Que deviennent les travailleuses du plaisir, demandai-je lentement, quand elles découvrent qu’elles ont un compagnon ? Est-ce qu’elles… arrêtent ce qu’elles font ?
Il réfléchit, les doigts croisés sous son menton. — Certaines abandonnent aussitôt leur profession. D’autres résistent, mais finissent par céder. Et il y en a même qui tentent de briser le lien entièrement.
Je fronçai les sourcils, feignant la surprise. — Le briser ? C’est… possible ?
Il hocha la tête. — Possible, oui. Mais dangereux. Le processus est à la fois physique et émotionnel. Beaucoup deviennent fous en essayant. Certains meurent.
Un frisson glacé me parcourut. — Comment… comment cela se fait-il ?
Le regard de Damien se fit plus perçant, bien que sa voix demeurât égale. — Cela, je ne te le dirai pas.
Mon ventre se serra. Il savait que je ne voulais pas de ce lien… mais il refusait de m’en montrer l’issue.
— Tu es contrariée, constata-t-il d’un ton neutre. — Je le vois à ton visage. Tu pensais être utilisée comme reproductrice. Mais tu es plus que cela. Tu es notre compagne. Nos plans pour toi doivent changer.
Avant que je ne réponde, un garde apparut à la porte. — Mon seigneur, la cargaison est arrivée.
Damien se leva, rajustant sa robe avec soin. — Attends ici.
Il quitta la pièce avec le garde, la porte se refermant derrière lui.
Dès que le silence retomba, mes yeux se tournèrent vers son bureau. Le cœur battant à tout rompre, je me levai et m’approchai rapidement du livre ouvert qu’il étudiait.
Les pages étaient couvertes de symboles et de textes anciens, mais mes yeux se figèrent sur les mots qui glacèrent mon sang :
Pour rompre un lien de compagnon, il faut rester à proximité du lien et, de sa propre volonté, entailler la poitrine à l’aide d’une dague, libérant ainsi le sang et le lien en sacrifice.
Mon souffle se coupa. Les lettres semblèrent se brouiller sous l’effet de la peur. Douleur. Folie. Mort. Mais l’avertissement de la Reine Serena résonna dans mon esprit, tout comme la mission que j’avais juré d’accomplir. Trop de choses dépendaient de moi.
Mes doigts tremblants se refermèrent sur le manche d’une dague posée là. Je la glissai doucement dans ma robe, la dissimulant contre mon flanc.
Je redressai les épaules, maîtrisant tant bien que mal ma respiration. Je le ferai. Je n’ai pas le choix.
Je quittai la chambre et trouvai un garde à l’extérieur. Ma voix était stable, bien que mon cœur battît à tout rompre.
— Conduis-moi aux appartements du roi Kai.
Si briser un lien les rompait tous, c’est là-bas que je devais commencer.
Point de vue de Mira— J’aimerais que tout cela ne soit qu’un rêve, murmurai-je en ouvrant les yeux, fixant le plafond sculpté au-dessus de moi.Pendant un instant, je restai immobile, espérant — priant — que la veille n’ait été qu’un cauchemar.Mais les rideaux dorés, les draps de velours sous moi et la lourde odeur de bois ciré disaient le contraire.Ce n’était pas mon lit du village.C’était la chambre royale où Rowan m’avait enfermée, plus luxueuse encore, mais aussi plus solitaire.Je fermai les yeux, luttant contre la douleur dans ma poitrine.— Pourquoi moi ?Un coup résonna, sec et rapide. Avant que je ne puisse répondre, la porte s’ouvrit et trois servantes entrèrent, la tête baissée.— Les Rois demandent votre présence pour le petit-déjeuner, annonça l’une d’elles d’une voix froide et bien réglée.Je me redressai, fronçant les sourcils.— Le petit-déjeuner ? Avec eux ?— Oui, ma dame. Nous avons été envoyées pour vous préparer.— Je peux me préparer seule, dis-je vite, serra
Lucian — Point de vueJe m’adossai à mon trône, les doigts tapotant distraitement l’accoudoir, même si mon esprit, lui, ne connaissait aucun repos. Le silence lourd de la salle du trône était sans cesse brisé par la voix de Rowan, tranchante, furieuse.— Elle a osé le faire ! grogna-t-il en faisant les cent pas devant nous, sa cape fouettant l’air à chaque pas. — Elle a essayé de rompre le lien, comme si nous ne valions rien. Rien !Je gardai les yeux fixés sur lui, non pas parce que je partageais sa colère, mais parce que ses réactions étaient prévisibles, presque lassantes. Ses mots, pourtant… résonnaient dans cette salle plus fort qu’ils ne le méritaient.Mon regard glissa brièvement vers mes autres frères. Pour un étranger, nos visages auraient semblé impassibles, indéchiffrables. Mais je les connaissais trop bien.Kai était avachi sur son trône, l’air détaché, une jambe croisée sur l’autre, la tête légèrement renversée en arrière. Indifférent — ou feignant de l’être.Damien, lui,
— Je n’arrive pas à croire que c’est à moi, murmurai-je en m’asseyant sur le bord du lit recouvert de velours. La chambre autour de moi brillait d’incrustations dorées, de bois poli et de riches tentures.Des robes pendaient dans une armoire sculptée, des boîtes à bijoux tapissaient la coiffeuse, et des plateaux de parfums étaient soigneusement alignés.Ce n’était pas la cellule de pierre nue où Rowan m’avait enfermée autrefois. C’était royal, luxueux — fait pour une reine, pas pour moi. Mes doigts glissèrent sur la couette brodée, mais ce confort ne parvint pas à m’apaiser.— Comment une simple fille de village comme moi… a-t-elle pu finir ici ? Ma voix tremblait.Cette pensée me fit enfouir le visage dans mes mains. Il y a seulement vingt-quatre heures, je n’étais rien — juste la fille d’un homme qui me détestait, une louve sans pouvoir qui survivait dans l’ombre. Maintenant, j’étais liée aux puissants rois Lycans de Blackwood, et cette vérité pesait sur moi comme un fardeau.Je res
Point de vue de MiraLa chambre de Kai n’avait rien à voir avec celle de Damien. Dès que j’y entrai, mes yeux s’écarquillèrent. L’endroit ressemblait à un palais à l’intérieur d’un autre palais.Les tables débordaient de nourriture, chaque plat plus somptueux que le précédent, tandis que des serviteurs se déplaçaient silencieusement à l’arrière-plan. Même une musique douce et envoûtante flottait dans l’air.Kai se tenait au centre de tout cela, vêtu d’une robe légère qui épousait parfaitement sa silhouette. Ses longs cheveux étaient détachés, brossés jusqu’à briller.Ma respiration se bloqua malgré moi. Il était trop beau, presque irréel. Pendant un instant, j’oubliai tout… avant de me rappeler pourquoi j’étais là.Pourtant, je fis semblant. Je laissai mes yeux errer dans la pièce, feignant d’être éblouie par le spectacle. Il le remarqua.— Tu n’as jamais vu un tel luxe, n’est-ce pas ? demanda-t-il avec un sourire sûr de lui.La chaleur monta à mes joues, mais pas pour la raison qu’il
— Laissez-nous.L’ordre était calme, presque mécanique, mais il portait une autorité telle que les servantes et le garde se retirèrent sans la moindre hésitation.La lourde porte se referma derrière eux, me laissant seule avec le Lycan aux cheveux d’argent, debout au centre de la chambre, ses yeux fixés sur moi comme ceux d’un érudit observant un spécimen rare.Mon souffle se bloqua dans ma gorge. Son visage ne trahissait rien — ni irritation, ni chaleur, juste une immobilité impénétrable.Il s’avança lentement, chaque mouvement mesuré, scrutant chaque détail de mon corps comme s’il devait en consigner chaque trait. Mon estomac se noua.— Tu es ma compagne, déclara-t-il enfin, d’une voix plate, comme s’il annonçait un fait tiré d’un manuel.Je me raidis. — Non… non, vous faites erreur, balbutiai-je, ma voix se brisant malgré ma volonté de paraître forte. — Je suis juste… la nouvelle reproductrice qu’on a amenée ici.Sa tête s’inclina légèrement, son expression toujours figée, et il me
— Tu t’ennuies déjà de moi ?La voix glissa dans la pièce sombre comme de la soie, et mon cœur fit un bond. Je me retournai, tremblante, pour découvrir Kai debout là, ses cheveux noirs captant la lueur des torches.Ses lèvres se courbèrent en un sourire entendu tandis qu’il s’avançait, chaque pas mesuré, prédateur.Mon pouls s’accéléra lorsqu’il me rejoignit, sa main se levant pour effleurer ma joue. Ses doigts étaient d’abord froids, puis se réchauffèrent contre ma peau, traçant lentement une ligne le long de mon cou. Je frissonnai.— Arrête… murmurai-je, mais ma voix tremblait.— Arrêter ? répéta-t-il avec un sourire plus profond, tandis que son autre main se glissait autour de ma taille, me plaquant contre son torse. Son parfum m’envahit — riche, sombre, enivrant.Le lien du destin pulsa en moi, brouillant mes pensées, transformant mon propre corps en traître. Mon souffle se coupa, mes genoux faiblirent sous la brûlure de son toucher.— Je… Les mots se désagrégèrent sur ma langue.







