Le taxi s’arrêta devant les grandes grilles noires surmontées de dorures. Même dans la nuit, la villa des Bakary imposait son luxe. Des lumières discrètes éclairaient l’allée bordée de palmiers taillés au millimètre.
Alia resta immobile quelques secondes, le front collé contre la vitre. Ce portail, elle ne l’avait pas franchi depuis six ans. — Tu es prête ? demanda sa tante Cécile en posant une main sur son bras. — Pas vraiment… mais on n’a pas le choix. Elles descendirent. Un vigile les dévisagea avec un mélange d’embarras et d’hésitation, comme s’il ne savait pas s’il devait ouvrir ou prévenir quelqu’un. Finalement, il appuya sur le bouton. Les lourdes grilles s’écartèrent lentement dans un grincement discret. L’air sentait le jasmin et la pierre mouillée. Les talons de Cécile résonnaient sur le pavé, tandis qu’Alia avançait d’un pas plus mesuré, observant les ombres des colonnes, la façade blanche immaculée, les baies vitrées qui reflétaient la lumière chaude de l’intérieur. --- Dès qu’elles entrèrent dans le vaste hall, le parfum entêtant de lys blancs et de cire d’ameublement les enveloppa. Les murs étaient ornés de tableaux, les lustres en cristal jetaient des éclats au plafond. Et là, sur un grand canapé crème, la nouvelle épouse de son père, habillée d’une robe de soie ivoire, se leva. Belle, comme toujours, mais glaciale. Ses yeux clairs glissèrent sur Alia comme sur un meuble déplacé. — Alia… murmura-t-elle, sans chaleur. — Madame, répondit Alia, la voix neutre. À côté d’elle, une jeune femme de vingt ans, mince, peau claire comme celle de sa mère, les cheveux lissés impeccablement. Demi-sœur d’Alia. Même absence d’expression. — Mes condoléances, dit Cécile, d’un ton ferme. — Merci… répondit la belle-mère. Asseyez-vous. --- Sur la table basse, trônait un cadre argenté : une photo récente du père d’Alia, le sourire franc. Mais l’homme qui reposait sur le canapé à l’autre bout du salon n’avait plus ce sourire. Le corps, étendu et recouvert d’un drap blanc jusqu’à la poitrine, semblait minuscule au milieu des coussins. Son visage était pâle, les traits détendus. Alia sentit ses genoux trembler. — Tu veux… t’approcher ? souffla sa tante. Elle s’avança, chaque pas plus lourd que le précédent. Sa gorge se serrait, ses mains étaient froides. Elle s’agenouilla près de lui, chercha dans ce visage inerte l’écho du père qui, autrefois, la portait sur ses épaules. Rien. Juste un silence qui hurlait. — Je suis venue, papa… dit-elle presque sans voix. --- — Nous ne pensions pas que tu viendrais, lança la voix tranchante de sa belle-mère derrière elle. Alia se redressa lentement. — Pourquoi ? — Eh bien… Tu sais, tu n’étais pas… très présente dans sa vie ces dernières années. Un sourire presque imperceptible étira les lèvres de la demi-sœur. — Peut-être parce qu’on m’en a tenue à l’écart, répondit Alia calmement, mais avec un éclat d’acier dans les yeux. Sa belle-mère haussa légèrement les sourcils, comme si la répartie l’avait surprise. — Ce n’est pas le moment pour ce genre de remarques. Nous sommes en deuil. Cécile, qui jusque-là avait observé en silence, intervint d’un ton sec : — Justement, Madame Bakary. Ce n’est pas le moment de diviser, mais de respecter les liens du sang. Un silence tendu suivit, seulement troublé par le tic-tac lointain d’une horloge ancienne. --- Un homme en costume sombre entra alors. Il avait une cinquantaine d’années, des lunettes rectangulaires et une mallette noire. — Mesdames… je suis Maître Djibril, le notaire de Monsieur Bakary. Je suis désolé pour votre perte. La belle-mère s’avança, comme pour reprendre le contrôle de la scène. — Maître, ce n’est peut-être pas le moment… — Je comprends, Madame. Mais conformément aux volontés du défunt, la lecture du testament aura lieu demain matin à neuf heures précises, dans mon cabinet. Il se tourna alors vers Alia, comme si la pièce entière venait de disparaître autour d’eux. — Mademoiselle Bakary… il est impératif que vous soyez présente. Un murmure presque imperceptible se fit entendre : la demi-sœur. — Pourquoi elle ? La belle-mère, elle, perdit un instant son masque lisse. — Pardon ? fit-elle, un ton plus haut. — Oui, répéta le notaire calmement. C’est une clause expresse de votre défunt mari : la lecture ne peut se faire qu’en présence de ses deux filles… et plus particulièrement, de son aînée. Le mot aînée claqua comme une gifle invisible. Les yeux de la belle-mère se rétrécirent, un éclat d’hostilité y dansant. — Soit, dit-elle enfin, la voix froide. Mais inutile de nourrir de faux espoirs. Alia, elle, ne dit rien. Elle se contenta de soutenir son regard, jusqu’à ce que sa belle-mère détourne les yeux. --- Le notaire referma doucement sa mallette. — Je vous laisse vous recueillir. Mais, encore une fois, Mademoiselle… soyez à l’heure demain. C’est… important. Il marqua une courte pause, comme s’il s’apprêtait à en dire plus, puis se ravisa. Cécile posa une main discrète sur l’épaule de sa nièce. — On y sera, dit-elle simplement. --- Elles quittèrent la villa une heure plus tard. Derrière elles, les grilles se refermèrent dans un claquement lourd, comme si elles tentaient de retenir quelque chose à l’intérieur. Dans le taxi, Alia resta silencieuse, le regard fixé sur les lumières de la ville qui défilaient. Demain, elle saurait. Ou peut-être… qu’elle ne voudrait pas savoir.La salle était silencieuse, presque solennelle, alors qu’Idriss et Alia se tenaient devant l’autel. Les fleurs blanches ornaient les colonnes, la lumière du soleil filtrait à travers les vitraux, jetant sur eux des éclats dorés. Les invités retenaient leur souffle. Alia, dans sa robe ajustée, le regard fixé sur Idriss, esquissa un sourire ironique. — Alors… tu n’es pas trop secoué par ta nuit d’hier ? demanda-t-elle à voix basse, les lèvres à peine remuées, comme si elle glissait un secret. Idriss fronça les sourcils, surpris. — Pardon ? — Tu as failli ruiner notre mariage en arrivant en retard, reprit-elle avec douceur mais un éclat piquant dans la voix. Va falloir surveiller tes apparitions publiques maintenant que monsieur est marié… ou presque. Il cligna des yeux, sincèrement perdu. — Je ne comprends pas de quoi tu parles. Mais le prêtre poursuivait, imperturbable, égren
Les jours s’égrenaient comme un sablier qu’on ne pouvait plus retourner. Le mariage approchait à grands pas, et pour Séréna, chaque matin était une gifle : Idriss restait insensible à ses tentatives, imperturbable, presque distant. Ce soir-là, dans le salon faiblement éclairé, Séréna était vautrée sur le canapé, bras croisés, mine renfrognée. Mireille, debout près de la fenêtre, fumait nerveusement une cigarette. — Trois jours… Trois petits jours et il sera marié, lâcha-t-elle en expulsant un nuage de fumée. — J’ai tout essayé, maman. Tout. Il ne me regarde même pas. Mireille se tourna vers elle, le regard dur. — Alors on passe au niveau supérieur. Séréna fronça les sourcils. — C’est-à-dire ? Mireille avança, baissant la voix comme si des murs pouvaient les trahir. — Si tu ne peux pas l’avoir, il faut quand même les séparer. Le mariage doit être annulé. Peu importe
Séréna claqua la porte derrière elle, un sourire triomphant accroché aux lèvres. Mireille, assise sur le canapé avec une tasse de thé, leva immédiatement les yeux. — Alors ?! demanda-t-elle, impatiente. Séréna lança son sac sur le fauteuil, s’assit à côté de sa mère et déclara avec fierté : — J’ai eu le poste. Les yeux de Mireille s’illuminèrent. — Je le savais ! Mon instinct ne me trompe jamais. Elles échangèrent un regard complice, presque conspirateur. — Maintenant, le jeu commence vraiment, continua Mireille, un sourire rusé aux lèvres. Tu vas tout faire pour qu’il te voie, qu’il te remarque, qu’il oublie complètement Alia. — C’est déjà prévu, répondit Séréna en croisant les jambes. Je vais m’infiltrer dans sa vie, petit à petit… — Tu dois être subtile, l’avertit Mireille. Pas de précipitation. Tu dois le séduire sans qu’il s’en rende compte. Et quand il ouvrira les yeux… il sera trop tard. Séréna acquiesça, déterminée. Ce soir-là, elles parlèrent longtemps, pe
Séréna n’était pas une employée comme les autres. Dès son premier jour, elle avait décidé de faire de chaque entrée dans l’entreprise un petit défilé de mode. Talons aiguilles claquant sur le sol en marbre, tailleurs cintrés toujours un peu plus courts ou échancrés que le dress code ne l’autorisait, parfum capiteux laissant une trace derrière elle comme un sillage calculé. Sa marche était lente, presque chorégraphiée, ponctuée d’un balancement de hanches maîtrisé. Elle ne disait jamais un simple “bonjour” : avec elle, c’était “Bonjour Idriss”, accompagné d’un sourire appuyé et d’un regard qui s’attardait une seconde de trop. Dans les couloirs, ses collègues chuchotaient. Certains la trouvaient charmante, d’autres clairement agaçante. Mais Séréna s’en fichait. Elle n’était pas venue pour se faire des amis. Avec Idriss, elle usait d’un ton mi-professionnel, mi-séducteur. Parfois, elle déposait des dossiers sur son bureau en se penchant plus que nécessaire. Parfois, elle “oubliait” de
La nuit était tombée sur la ville, mais dans le salon de Mireille, les lumières restaient allumées. Séréna et sa mère étaient penchées sur un ordinateur portable, scrutant chaque détail de la vie d’Idriss. Elles avaient passé des heures à chercher des informations, à analyser son parcours, son entreprise, et les publications récentes qui pourraient leur donner un avantage. — Regarde ça ! s’exclama Mireille en pointant l’écran. Ils viennent tout juste de poster une offre d’emploi chez Morel Industries. C’est parfait ! dit-elle avec un sourire rusé. Séréna fronça les sourcils, hésitante. — Maman… je… je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée. Je n’ai même pas les compétences pour postuler à un poste dans une entreprise comme la sienne. — Ce n’est pas le problème, ma chérie, répondit Mireille avec fermeté. L’important, c’est de te rapprocher de lui. C’est le seul moyen de rester dans son cercle, de l’influencer… et de trouver une ouverture. Séréna soupira, peu convaincue. — M
Séréna entra précipitamment dans la maison familiale, le visage illuminé par l’excitation. Elle trouva sa mère, Mireille, assise dans le salon, un café à la main, et ne put contenir son agitation. — Maman ! s’exclama-t-elle en s’asseyant presque à la volée. Mireille leva les yeux, intriguée par l’enthousiasme de sa fille. — Qu’y a-t-il, ma chérie ? demanda-t-elle avec un sourire curieux. Séréna prit une profonde inspiration et parla d’une traite : — Je suis allée chez Alia aujourd’hui, et devine qui est venu ? L’homme qu’elle doit épouser… Idriss ! Il est incroyablement beau, maman ! J’en suis presque tombée sous le charme. Et je… je pense qu’il lui plaît aussi, mais je… je veux tout faire pour l’empêcher de l’épouser. Mireille posa sa tasse sur la table, un léger sourire malicieux se dessinant sur ses lèvres. — Je vois… tu ne veux pas que ta demi-sœur s’approprie ce… beau jeune homme. Eh bien, ma chérie, je pense que nous avons ici une opportunité. Séréna sentit son c