Camille
Le silence dans la voiture est plus pesant qu’un ciel d’orage prêt à éclater.
Dehors, les gyrophares de la police illuminent mon immeuble de flashes rouges et bleus, peignant l’intérieur du véhicule d’ombres mouvantes. Je vois les agents entrer chez moi, mon estomac se noue. Qu’est-ce qu’ils font là ?
Je tourne brusquement la tête vers Lorenzo, le souffle court.
— C’est vous qui avez fait ça ?
Son regard noir se pose sur moi, calme, insondable.
— Non.
Une réponse simple, mais je n’y crois pas une seconde.
— Alors c’est Lambert ?
Il incline légèrement la tête.
— C’est une possibilité.
Mon cœur bat trop vite. Je sens que quelque chose m’échappe. Je n’ai plus le contrôle. Et ça, c’est insupportable.
— Si je descends et que je vais parler aux flics, qu’est-ce qui se passe ?
Lorenzo s’adosse lentement contre le siège, un air presque amusé sur le visage.
— Trois scénarios.
Je me crispe.
— Le premier : vous entrez, et ils vous posent simplement des questions. Rien de grave, juste une coïncidence malheureuse.
Je hoche la tête, les lèvres serrées.
— Le deuxième ?
— Quelqu’un a glissé quelque chose chez vous. Des documents compromettants, de la drogue, une arme… n’importe quoi qui pourrait vous impliquer dans une affaire criminelle.
Un frisson me parcourt l’échine.
— Et le troisième ?
Lorenzo se penche légèrement vers moi, son regard devenant plus intense.
— Vous entrez… et vous ne ressortez pas.
Je déglutis.
— Qu’est-ce que vous voulez dire ?
— Que vous disparaissez, Camille.
Mon sang se glace.
Je fixe la scène devant moi, mon appartement envahi par des inconnus. Quelqu’un m’a piégée.
Mais pourquoi ?
Et surtout… pourquoi maintenant ?
Je détourne le regard vers Lorenzo.
— Vous saviez que ça allait arriver.
Il esquisse un sourire à peine perceptible.
— J’avais des soupçons.
— Et vous m’avez laissée dans le flou ?
— Si je vous avais dit que vous alliez perdre votre maison ce soir, vous ne m’auriez pas crue.
Il marque une pause, puis ajoute doucement :
— Mais maintenant, vous savez.
Je serre les poings, bouillonnante. Cet homme joue avec moi comme si j’étais un pion sur son échiquier.
— Alors quoi ? Vous attendez que je vous supplie de m’emmener avec vous ?
Son sourire s’élargit.
— Non, Camille. Je sais déjà que vous allez venir.
Son assurance me rend folle.
Mais le pire ?
Il a raison.
Je ne peux pas rentrer chez moi. Pas tant que je ne saurai pas qui m’a visée.
Je ferme les yeux une seconde, prise entre la rage et la résignation.
Puis je prends une longue inspiration.
— Très bien. Emmenez-moi.
Je ne vois que le bref éclat de satisfaction dans ses yeux avant qu’il ne se détourne et ne donne un ordre à son chauffeur.
La voiture démarre en douceur.
Ma vie vient de basculer.
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Lorenzo
Elle est assise à côté de moi, droite comme une lame, le regard rivé sur la route. Son dos est raide, son souffle mesuré.
Camille vient de comprendre une vérité essentielle : dans mon monde, le libre arbitre est une illusion.
Elle pense encore avoir choisi.
Elle se trompe.
Mais je la laisse dans cette illusion un instant de plus.
— Vous êtes trop calme.
Sa voix tranche le silence, glaciale.
Je souris.
— Vous voulez que je me réjouisse ?
Elle tourne enfin la tête vers moi, ses yeux brûlant d’une lueur dangereuse.
— Non. Je veux que vous arrêtiez de me manipuler.
Je pose un coude sur l’accoudoir et approche légèrement mon visage du sien.
— Si je vous avais manipulée, Camille, vous n’auriez pas compris que vous l’étiez.
Elle serre la mâchoire, ses joues s’empourprant légèrement.
Un mélange d’exaspération… et de trouble.
Intéressant.
Je me redresse, satisfait.
— Détendez-vous. Vous êtes en sécurité avec moi.
— Je doute que "sécurité" soit le mot approprié.
Je souris.
— Peut-être. Mais croyez-moi, Camille. Vous préférez être à mes côtés que contre moi.
Elle détourne la tête, fixant la route.
Je vois sa main se crisper légèrement sur sa cuisse.
Elle est plus affectée qu’elle ne veut le montrer.
Bien.
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Camille
Quand la voiture s’arrête, je m’attends à une villa clinquante, un manoir de gangster.
Mais non.
L’immeuble devant nous est élégant, sobre, avec une entrée discrète.
— Bienvenue chez vous.
Je me tourne vers Lorenzo, méfiante.
— J’ai encore le droit de poser des questions ?
Il sourit, amusé.
— Autant que vous voulez. Je me réserve juste le droit de ne pas répondre.
Je souffle, agacée, et sors de la voiture.
L’entrée est luxueuse sans être ostentatoire. L’ascenseur nous mène au dernier étage. Une clé magnétique, un scan de la main de Lorenzo, et la porte s’ouvre.
Je découvre un immense loft, baigné de lumière tamisée, avec une vue imprenable sur la ville.
— C’est votre repaire ?
— Mon sanctuaire.
Je lève un sourcil.
— Vous êtes toujours aussi dramatique ?
— Seulement avec vous.
Je me fige.
Il enlève sa veste, la posant sur un fauteuil, puis se tourne vers moi.
— Installez-vous. Vous restez ici maintenant.
Je croise les bras.
— Pour combien de temps ?
Il s’avance lentement, réduisant la distance entre nous.
— Jusqu’à ce que je décide que vous êtes en sécurité.
Je ne cille pas.
— Et qui décide si c’est vrai ?
Un sourire, félin.
— Moi.
L’air se charge entre nous, d’un poids indéfinissable.
De la peur ? De l’excitation ?
Peut-être un mélange des deux.
Je me détourne et marche jusqu’au canapé.
— J’ai besoin d’une douche.
— Au fond du couloir, deuxième porte à droite.
Je m’arrête, le regardant avec méfiance.
— Je peux me laver sans que vous ne surveilliez ?
Il sourit lentement.
— Ce serait dommage d’interrompre votre moment de détente, non ?
Je serre les dents et disparais vers la salle de bain, claquant la porte derrière moi.
Merde.
Qu’est-ce que je viens de faire ?
CamilleJe sens encore ses mains sur moi. La morsure de ses doigts. Le feu dans mes entrailles. Mon corps entier résonne de sa présence, comme une cloche fêlée qu’il a frappée trop fort. Trop juste. Chaque parcelle de ma peau se souvient. De la violence. De l’abandon. De la chute. De la montée. De cette déflagration qui m’a réduite en cendres… pour mieux me faire renaître.Et pourtant, dans ce silence qui nous enveloppe après le chaos, c’est mon esprit qui hurle.Je ne bouge pas. Je suis blottie contre lui, nue, salie, glorifiée. Brûlante et glacée à la fois. Comme si tout ce qui me tenait debout avait été arraché et remplacé par autre chose. Quelque chose de plus brut. De plus vrai. Quelque chose de lui.Ses bras sont autour de moi. Lourds. Protecteurs. Possessifs. Et pourtant, je me sens libre. Libre comme je ne l’ai jamais été. Parce qu’il n’a pas cherché à me posséder. Il m’a laissée devenir. Il m’a regardée me déchirer, m’abandonner, m’effondrer pour me redresser plus forte, plus
LorenzoElle est là, ses yeux brûlants d'une intensité que je connais, d’une faim que je reconnais. Ses lèvres sont entrouvertes, et sa respiration saccadée résonne comme un signal, un appel à l'extase, à la destruction. J’attrape ses poignets, la forçant à s’abandonner dans le tourbillon que j’ai lancé. Tout en elle me crie que cette nuit, il n’y a pas de place pour la douceur. Pas de place pour les hésitations. Ce qui nous lie, ce n’est pas l’amour, ni le désir, mais quelque chose de plus primal, d’indomptable. Un cri, une rage, un besoin de brûler ensemble, jusqu'à n'être plus que des cendres.Je la soulève sans un mot. Elle s'accroche à moi comme si sa vie en dépendait. Ses mains se posent sur mon torse, ses doigts frémissent, s’enfoncent dans ma peau. Je la sens trembler, pas de peur, mais d'excitation. C’est elle qui m’attire, qui me pousse dans cette folie. Chaque fibre de son corps hurle, réclame, désire tout à la fois.Je la dépose sur le lit d’un geste impétueux. Ses yeux ne
LorenzoLe vent de la mer souffle froid, frais contre ma peau. Le bruit des vagues est comme une mélodie ancienne, une chanson que je n’ai jamais entendue avant, mais qui résonne en moi comme si elle m’avait toujours appartenu. Ce matin, il y a une douceur dans l’air, presque irréelle. Comme une promesse, mais une promesse qu’on sait qu’on ne pourra pas tenir.Je suis là, sur ce balcon, seul. Le regard plongé dans l’horizon. Camille n’est pas loin, mais elle m’a laissé ce moment. Ce moment où il n’y a plus de nous, juste moi et le vide du monde. Le vide qu’on essaie tous de fuir, mais qui revient toujours. Parce qu’il n’y a pas de fuite. Il n’y a que l’acceptation.J’ai l’impression de l’avoir cherchée toute ma vie, et quand je l’ai enfin trouvée, je l’ai laissée s’échapper à travers mes doigts, inaperçue, comme une illusion trop fragile. Camille a été ma quête, mon erreur et ma rédemption. Chaque partie d’elle, chaque mouvement, chaque geste que j’ai cru posséder, m’a échappé. Et pou
LorenzoL'aube se glisse silencieusement par les fenêtres, ses rayons effleurant notre peau encore brûlante des fragments de la nuit. L’air est frais, mais il porte encore l’odeur de la chair, de l’intimité. L’odeur de nous. Il y a dans cette lumière douce quelque chose de déconcertant, comme une promesse et une trahison, une invitation à se lever mais aussi à rester, à ne jamais bouger.Je suis allongé sur le dos, mon bras autour de son corps. Elle est là, contre moi, profondément endormie, son souffle encore irrégulier, mais apaisé. Je la regarde, fascinée par la paix qui l’habite, un calme que je ne lui connaissais pas, que je n’ai jamais cru possible.Elle est belle, fragile, humaine. Chaque imperfection, chaque fissure sur son corps est une victoire silencieuse. Une victoire sur tout ce que la vie lui a pris, sur ce que j’ai pris. Et je reste là, figé dans cette vision, comme si l’instant avait une fin, comme si demain était déjà une promesse qu’on ne pourrait pas tenir.Je cares
LorenzoLe silence après l’extase. Il est là. Dense. Chargé. Pas vide — jamais vide avec elle — mais habité de tout ce qui ne s’est pas dit.Je suis encore en elle. Ma joue contre sa tempe. Nos souffles lents, décalés. Elle ne parle pas. Elle ne me repousse pas non plus. Son bras reste enroulé autour de mon dos, ses doigts effleurent distraitement ma peau. Comme si elle essayait de dessiner un mot secret sur mes omoplates.Je me redresse un peu. Je glisse mes lèvres contre sa mâchoire, puis sa bouche. Elle m’embrasse doucement. Ce n’est plus un baiser de désir. C’est un baiser d’après. De ceux qui disent : je suis encore là. Je ne suis pas partie.— Tu pleures ? je demande, sans bouger.Elle secoue imperceptiblement la tête. Mais une larme, pourtant, trace une ligne humide sur sa joue.— Non… Je respire, c’est tout.Je fronce les sourcils. J’effleure sa tempe du bout du nez.— Ça faisait combien de temps que t’avais arrêté ?Elle esquisse un sourire. Triste. Vrai.— Assez pour ne plus
LorenzoElle ne dit rien. Elle ne m’enlace pas, ne me guide pas. Mais elle reste là. Sa main dans la mienne. Et c’est le seul consentement dont j’ai besoin ce soir.Je me relève lentement, comme on sort d’un rêve ou d’un deuil. Chaque mouvement semble soupesé par la peur de réveiller la douleur. Mon corps est lourd, mais quelque chose en moi redevient vivant. Un battement. Un souffle. Une certitude ténue.Son regard ne lâche pas le mien. Pas une seconde. Il est noir de souvenirs, de douleurs, de tempêtes. Mais il est là. Présent. Brûlant. Et dans cette intensité muette, je lis quelque chose d’infiniment fragile. Comme si elle me disait : essaie encore. Mais fais-le bien, cette fois.Je n’ai pas l’habitude qu’on me laisse aimer. J’ai toujours cru qu’aimer, c’était prendre. Enfermer. Posséder. Ce qu’on m’a appris, c’est l’obsession, le contrôle, la peur de perdre. Pas la tendresse. Pas la patience.Mais ce soir, j’ai peur de la casser si je la touche trop vite.Alors je tends la main. D