LOGINAlthéa
Je suis l’inconnu. Mes jambes sont de coton, ma tête un tourbillon de peur et de questions sans réponses. Il marche à quelques pas devant moi, son silence une présence plus lourde que n’importe quel mot. Il ne me regarde pas, ne vérifie pas si je suis toujours là, mais je sais, avec une certitude animale, qu’il est conscient de mon moindre frémissement.
Nous quittons les ruelles mal éclairées pour une avenue plus large. Une berline noire, aussi discrète et luisante qu’un corbeau, est garée le long du trottoir. Il ouvre la portière arrière.
— Montez.
Je m’exécute, le cuir froid du siège me glaçant à travers mon jean. L’intérieur de la voiture sent le propre, le neuf, et une subtile odeur de santal. Une odeur d’homme, son odeur. Elle efface presque le relent de sang qui colle encore à mes narines.
Il s’installe au volant. Le moteur s’allume dans un murmure. Nous glissons dans la nuit, fantômes derrière les vitres teintées. Je regarde défiler les lampadaires, les derniers bars encore ouverts, des lambeaux de vie normale qui me semblent soudain appartenir à un autre univers.
— Où m’emmenez-vous ? Qui étaient ces hommes ?
Ma voix est un filet étranglé dans le silence feutré.
Son regard croise le mien dans le rétroviseur. Des yeux de glacier. Calmes. Implacables.
— Des questions auxquelles vous n’êtes pas prête à entendre les réponses. Pour l’instant, sachez seulement que vous êtes en sécurité.
— En sécurité ? grince-je, une bouffée de colère subite chassant la peur. Je viens de voir trois hommes se faire… se faire mettre hors d’état de nuire par un inconnu qui connaît mon nom ! Vous appelez ça être en sécurité ?
— Je vous appelle en vie. C’est déjà un progrès.
Le calme plat de sa réponse éteint ma colère aussi sèchement qu’une mèche dans l’eau. Je me renfonce dans mon siège, les bras croisés, observant la ville que je connais depuis toujours se transformer en un territoire inconnu. Nous traversons des quartiers que je n’ai jamais fréquentés, où l’architecture devient plus imposante, les grilles plus hautes, l’ombre plus dense.
La voiture ralentit et s’engage dans une allée privée, derrière une haute grille en fer forgé qui s’ouvre silencieusement à notre approche. Nous nous garons devant un immeuble ancien, austère, qui semble absorber la lumière de la lune. L’homme sort, ouvre ma portière.
— Nous y sommes.
Je le suis dans un hall marbré et sombre, puis dans un ascenseur aux parois de laiton. Il appuie sur le bouton du dernier étage. La cage monte sans un bruit. Les portes s’ouvrent directement sur un vestibule, puis sur un loft immense.
L’espace est épuré, presque brutaliste. Béton ciré, murs en pierre apparente, de vastes baies vitrées offrant une vue à couper le souffle sur les lumières de la ville. C’est un nid d’aigle. Un bunker de luxe. Il n’y a pas de bibelots, pas de photos. Rien de personnel. Seulement une impression de puissance et de contrôle absolu.
— Vous resterez ici jusqu’à ce que la situation soit clarifiée, annonce-t-il en posant un trousseau de clés sur une console en acajou. Vous y trouverez tout le nécessaire. Ne sortez pas. Ne contactez personne.
— Je suis prisonnière ?
— Vous êtes sous protection.
Il se dirige vers un cellier et en sort une bouteille d’eau qu’il me tend. Je la prends machinalement. Mes doigts tremblent.
— Mon nom est Lorenzo Vitalli.
Le nom tombe dans le silence comme une pierre dans un puits. Il résonne, chargé d’un poids que je ne comprends pas, mais que je sens. C’est un nom qui impose le respect. Et la crainte.
— Vitalli… C’est vous… la mafia ?
Un léger sourire, qui ne touche pas ses yeux, effleure ses lèvres.
— Je suis un homme d’affaires. Avec des responsabilités familiales. Ces hommes, dans la ruelle, travaillaient pour une organisation concurrente. Ils s’intéressaient à vous pour des raisons qui dépassent votre compréhension.
— Et vous ? Pourquoi vous vous intéressez à moi ?
Il me regarde, longuement. Son regard semble peser chaque parcelle de mon être.
— Parce que vous avez une valeur. Une valeur que je dois protéger.
La manière dont il dit « valeur » me glace. Je ne suis pas une personne. Je suis un actif. Un objet précieux.
AlthéaLa voiture nous emmène non pas dans un restaurant, mais dans une demeure ancienne, massive, cachée derrière de hauts murs. L'intérieur est sombre, oppressant, rempli d'œuvres d'art qui semblent regarder avec mépris. L'odeur est celle du vieux bois, du cigare et d'un pouvoir sans âge.Dans la salle à manger, un homme est assis à la tête d'une table pouvant accueillir vingt personnes. Don Vittorio Vitalli. Plus vieux que je ne l'imaginais, le dos droit, les mains noueuses posées sur la table. Ses yeux, d'un gris plus pâle et plus impitoyable que ceux de Lorenzo, me détaillent sans une once de chaleur.— Asseyez-vous, Mademoiselle Althéa.Sa voix est un râle de gravier. Je m'assieds, Lorenzo prenant place à ma droite, raide comme la mort.Le dîner est un supplice. Un service impeccable, des plats raffinés que je goûte à peine. Don Vitalli parle affaires, politique, de tout sauf de l'éléphant dans la pièce : moi. Il me sonde, testant mes réactions, ma peur. Je me tais, me contentan
AlthéaJe me lève, tremblante de rage.—Pourquoi ? Pourquoi vous souciez-vous de ce qui m'arrive ? Pourquoi avez-vous pris une balle pour moi ? Ce n'est pas pour "protéger votre investissement". Un bon homme d'affaires sacrifie un actif défectueux.Mon hurlement résonne dans le loft spacieux.—POURQUOI ?Le masque de Lorenzo se fissure. Une émotion violente passe dans ses yeux gris. De la colère, de la frustration, et autre chose, quelque chose de plus sombre, de plus profond.— Parce que je n'ai pas le choix !Sa voix n'est plus un murmure contrôlé. C'est un grondement, chargé d'une passion que je ne lui soupçonnais pas.—Vous croyez que c'est simple ? Vous croyez que je peux me permettre de... de ressentir quoi que ce soit ? Vous êtes un pacte, Althéa ! Un serment de sang que ma famille a prononcé il y a un siècle ! Vous êtes la malédiction que j'ai héritée en naissant Vitalli !Il avance vers moi, son corps tendu, son regard brûlant.—Je suis censé vous surveiller, vous contrôler,
AlthéaSoudain, un coup de feu. Lorenzo crie. Je tourne la tête, une fraction de seconde. Il est à genoux, une main serrée sur son épaule, le sang coulant entre ses doigts. Son arme a glissé sur le sol.Lykos en profite. Sa morsure se referme sur ma patte avant. La douleur est aveuglante, brûlante. Je hurle.Kael rugit en voyant ça. D'un mouvement désespéré, il balaye ses adversaires et se jette sur Lykos, le arrachant de moi.Le combat fait rage. Je suis blessée. Lorenzo est hors de combat. Kael se bat comme un démon, mais ils sont trop nombreux.C'est alors qu'un nouveau son retentit. Une sirène. Lointaine d'abord, puis de plus en plus proche. Des phares de voitures balayent l'entrée du parc. Les hommes de Lorenzo. La mafia arrive.Les loups de Lykos hésitent. Leur avantage s'évapore.— Retraite ! ordonne Lykos, recrachant du sang. Mais ce n'est que partie remise, Lunaire ! La meute viendra pour toi !En un instant, ils disparaissent dans l'ombre des arbres, emportant leur blessé.L
AlthéaJe les entends à peine. Leurs paroles ne sont que du bruit. En moi, c'est le chaos. La louve se cabre à la fois contre le contrôle de Lorenzo et contre la sauvagerie de Kael. Elle ne veut ni la laisse ni la meute. Elle veut... elle veut être. Juste être.— Assez !Ma voix claque, plus forte que je ne l'aurais cru possible. Les deux hommes se tournent vers moi, surpris.— Je ne suis pas un trophée à gagner. Je ne suis pas une arme à contrôler. Je suis... je suis ce que je suis. Et je décide.Je pointe un doigt tremblant vers Lorenzo.—Toi, tu m'as menti par omission. Tu m'as traitée comme un objet précieux. Tu m'as offert une cage dorée.Mon doigt se tourne vers Kael.—Et toi, tu m'offres la forêt, mais à quel prix ? Rejoindre ta meute ? Devenir l'une des vôtres ? Suivre un autre Alpha ?Je recule d'un pas, les regardant tous les deux, sentant mon corps frémir, les os qui bourgeonnent, la peau qui picote. La lune, quelque part derrière les nuages, m'appelle. C'est une douleur et
AlthéaUn sourire fendu, sauvage, étire ses lèvres.— La vérité, Althéa, n’est pas quelque chose qu’on dit. C’est quelque chose qu’on vit. Tu veux savoir ce que tu es ? Alors, vis.Il avance d’un pas. Je recule, mais mon corps tremble, non de peur, mais d’anticipation. La bête en moi se love, ronronne presque.— Les Vitalli ont passé un pacte avec ta meute, il y a des générations. Un pacte de sang et de soumission. Ta lignée, les « Loups Lunaires », a toujours été leur arme secrète, leur assurance tout risque. Toi, tu es le dernier rejeton. Le plus puissant. Lorenzo ne te protège pas. Il te garde en cage jusqu’à ce que tu sois assez forte pour être utilisée. Ou éliminée si tu deviens incontrôlable.Ses mots frappent avec la force de l’évidence. Ils expliquent le regard calculateur de Lorenzo, cette « valeur » dont il parlait.— Et vous ? Quelle est votre offre ? Une autre cage ? Une meute qui voudra aussi me contrôler ?— Ma meute te veut morte, Althéa. Ils voient en toi une abominati
AlthéaMais ses mots, à présent, sonnent faux. Car je viens de goûter, ne serait-ce qu’une seconde, à un autre type de sécurité. Celle de ne plus me sentir monstrueuse, mais simplement… naturelle.Je regarde la silhouette sous l’arbre, puis je reporte mon regard sur Lorenzo.Et pour la première fois, je me demande qui, de l’ombre ou du reflet, est mon plus grand péril. Ou mon seul salut.La nuit est interminable. Enfermée dans la chambre d’invité , une cellule luxueuse aux murs nus , je tourne en rond. L’image de l’inconnu, Kael, planté sous l’arbre comme une sentinelle des bois, est gravée au fer rouge derrière mes paupières. Son appel silencieux résonne encore en moi, un écho apaisant à la tempête qui gronde dans mes veines.Lorenzo. Kael. Deux pôles opposés. Deux prisons potentielles. La froideur calculée du penthouse contre la sauvagerie primale de la forêt. Le contrôle contre l’abandon. Lequel est le leurre ? Lequel est la vérité ?Au petit matin, épuisée par l’insomnie et les fr







