Une fois rentrée chez elle, elle resta un long moment figée, bouleversée. L’émotion, le stress, la peur… tout se mélangeait dans son esprit. La fatigue finit par l’emporter. Elle s’effondra sur le lit, les yeux grands ouverts vers le plafond.
Elle savait qu’il était dangereux. Elle le savait depuis le premier jour. Mais pas à ce point. Pas à ce niveau d'intensité, de menace, de folie. Demain s’annonce long, pensa-t-elle. Pourquoi m’a-t-il demandé de venir à 8h à l’entrepôt ? Que veut-il vraiment ? Elle soupira. Elle n’avait pas de réponse, juste des suppositions. Pour l’instant, elle n’avait besoin que d’une chose : une bonne douche et un peu de sommeil. Le lendemain Le réveil fut brutal. Elle se leva d’un bond, le cœur oppressé. L’anxiété était là, collée à sa peau comme une seconde couche. Elle appréhendait. Ce démon… qu’allait-il lui demander aujourd’hui ? Qu’allait-elle devoir faire ? Elle espérait seulement que ce ne serait pas un nouveau cauchemar. Difficilement, elle sortit du lit. Son corps était lourd, courbaturé, comme si elle avait été broyée dans la nuit. Elle se dirigea vers la salle de bain, entama sa routine avec automatisme : lavage du visage, soins, lentilles, comme chaque jour. Elle ne les précisait jamais, mais elles étaient là, invisibles, indispensables. Après une bouchée rapide – une pomme et un reste de café froid – elle retourna dans sa chambre pour s’habiller. Un jean noir, un t-shirt sobre, des baskets discrètes. Rien d’extravagant. Juste de quoi être prête. Elle attrapa ses affaires, inspira profondément et quitta l'appartement. Direction : l'entrepôt. Là où l’attendait l’inconnu. Là où l’attendait… sa mission. Ekaterina arriva enfin à destination. Un entrepôt délabré, presque silencieux, si ce n’est pour les faibles grincements du métal sous l’effet du vent. Elle pénétra à l’intérieur, s’installa dans une pièce sombre, attendant l’arrivée de celui que l’on nommait Yasinkov. Le démon. Et il se faisait désirer, comme une star entrant en scène. Malgré elle, elle ne put s’empêcher d’être impressionnée par l’autorité qu’il exerçait sur ses hommes. Cela n’étonnait guère Ekaterina ; son regard froid et sa posture rigide parlaient d’eux-mêmes. Il ne plaisantait pas. Lorsque la porte s’ouvrit, elle écarquilla les yeux, scrutant l’ombre. Son instinct lui soufflait que c’était lui, mais une part d’elle redoutait de se tromper. Elle ne lui faisait pas confiance. Rien chez lui ne respirait la vérité. Il avait affirmé que Petrovich était mort. Était-ce vrai ? Avait-il menti sur cette perte de connaissance, sur le fait qu’il ne l’avait pas... touchée ? Tant de questions tournaient dans sa tête, sans réponse. — Alors Ekaterina, comment tu vas ? lança Yasinkov en souriant. — Comment tu connais mon prénom ? demanda-t-elle, le fixant. — Tu ne crois quand même pas que je recrute quelqu’un sans me renseigner ? répliqua-t-il calmement. — Pourquoi tu m’as demandé de venir ici ? — Tu veux bosser pour moi, non ? Ou tu t’es dégonflée ? répondit-il avec un rire moqueur. — Non. Je veux toujours. — Ah ! Bonne nouvelle. — Alors c’est bon, je peux enfin— — Pas si vite. Tu vas d’abord me dire pourquoi tu veux tant travailler pour moi, coupa-t-il, s’asseyant en face d’elle. — Je te l’ai déjà dit. — Tu veux buter Sergeï, hein ? C’est tout ? — J’ai besoin de fric. Ça te va ? — Une battante comme toi sans boulot ? — J’ai pas de diplôme. — Une délinquante. J’aime ça. T’as qu’à demander à papa-maman. — Ils sont morts. Mais ça, tu devrais le savoir ! hurla-t-elle, hors d’elle. — Quel dommage, répondit-il, hilare. Bon, trêve de plaisanteries. Si tu veux bosser pour moi, il va falloir me prouver ta loyauté. — Comment ? — Trois tâches. C’est tout. Tu les réussis, tu m’appartiens. — Lesquelles ? — Quelle impatiente, dit-il en lui caressant la joue. Tu vas commencer par un combat. Contre un de mes meilleurs hommes. Elle se leva d’un bond. — Pas de problème. Où est-il ? — Doucement ma jolie. Les gars, emmenez-la. Deux hommes la prirent par les bras pour l’escorter jusqu’à une grande salle circulaire, une sorte d’arène improvisée. Ils la relâchèrent, mais restèrent tout près, prêts à intervenir au moindre faux pas. — Où est-il ? demanda-t-elle. — Il arrive, répondit Yasinkov. Elle balaya les environs du regard, puis ses yeux s’écarquillèrent. Un colosse approchait. Un ogre de chair et d’os. Au moins 1m90, bâti comme un taureau. Chaque pas faisait trembler le sol. Mon Dieu, pensa-t-elle. Je suis trop jeune pour mourir. — Voilà ton adversaire, annonça Yasinkov. — Pas de problème, répliqua-t-elle d’une voix tendue. Elle tenta de se concentrer. Peu importaient sa taille ou ses muscles, elle devait rester méthodique. Ce combat, c’était sa porte d’entrée. Pour elle. Pour le commandant. Pour son pays. — À trois, le combat commence. Tous les coups sont permis. La règle est simple : tuer son adversaire, annonça Yasinkov en ricanant. Tuer ? Elle ouvrit de grands yeux. Elle n’était pas une meurtrière. Elle sauvait les vies, elle ne les ôtait pas. Mais elle n’eut pas le temps de réfléchir davantage : l’ogre fonça sur elle comme une furie. — Ça commence mal pour toi, princesse, railla Yasinkov. Le géant la plaqua au sol. Tout son poids l’écrasait. Il la frappa au visage. Elle tenta de bouger, mais chaque geste lui arrachait un cri. Sa main fouilla sa poche, cherchant son petit couteau. Tous les coups sont permis, non ? — Trop facile, se vanta l’homme en relâchant sa garde. Elle en profita pour lui planter son couteau dans la main. Il hurla, furieux. — Putain, la pouffiasse ! Libérée, elle se releva et l’attaqua avec tout ce qu’elle avait. Il encaissait ses coups comme s’il s’agissait de simples caresses. Mais elle ne céda pas. Elle recula soudain, se mit à courir. C’était sa stratégie. L’épuiser, le désorienter, frapper au moment crucial. Elle se dirigea vers une forêt, grimpa dans un arbre avec une agilité acquise à l’école de police. Là, perchée, elle le vit errer comme un idiot. Yasinkov, au loin, semblait perdre patience. L’ogre, malgré ses plaies et son souffle court, la repéra. Du sang coulait du ventre d’Ekaterina, la trahissant. Il leva les yeux, la vit, et sourit. Puis, il s’attaqua à l’arbre. Il frappait, secouait le tronc. L’arbre résistait… mais pour combien de temps encore ? Il était temps de réfléchir sérieusement. Comment allait-elle s’en sortir maintenant ? Morgan jeta un regard à droite, puis à gauche. Elle devait se trouver à près de vingt-cinq mètres du sol. C'était haut. Très haut. Elle tenta, tant bien que mal, d’analyser les environs. L’arbre sous elle commençait à flancher. Elle le sentait. Une rivière. Toute proche. Son regard glissa vers le bas. Puis vers l’arbre. Vers l’homme. Et enfin vers Yasinkov. Pas le choix. Plaaaaaaaash ! Son corps entier s’enfonça dans l’eau glacée. Un frisson la parcourut violemment. Elle avait froid. Terriblement froid. Elle avait l’impression que tout son sang quittait son corps. Elle se sentait faible. Brisée. Une douleur sourde lui lacérait l’estomac. Elle perdait trop de sang. Il fallait qu’elle remonte. Vite. Mais elle n’y arrivait pas. Chaque mouvement était un supplice. Puis, dans les profondeurs de son esprit, la voix de son fils s’éleva. Douce. Encourageante. « Courage maman, tu vas y arriver. Ce n’est pas le moment de perdre espoir. Tu es une héroïne, et les vrais super-héros ne reculent jamais devant les méchants. » Ces mots résonnaient en boucle dans sa tête. Elle ne pouvait pas abandonner. Pas si près du but. Malgré la fatigue, malgré la douleur, malgré la peur… Morgan remonta à la surface, luttant contre l’eau et la souffrance. Elle nagea jusqu’à atteindre le rivage, haletante. Elle reprit son souffle, se calma, pensa à son fils. Que serait-il devenu si elle n’avait pas survécu ? Cette pensée lui insuffla une nouvelle force. Son regard tomba alors sur une arme, posée au sol. Elle la saisit, méfiante. Tout ceci semblait trop bien orchestré. Yasinkov avait-il prévu chaque étape ? Était-ce le plan depuis le début ? Ce n’était pas ce qu’elle avait imaginé. Mais avait-elle seulement le choix ? Non. C’était lui… ou elle. Elle ne pouvait pas mourir maintenant. Trop de gens comptaient sur elle. BANG ! BANG ! BANG ! L’homme tomba. Elle aussi. Ses paupières s’alourdissaient, les bruits autour d’elle devenaient flous, comme étouffés. Elle avait mal. Trop mal. Mais elle ne pouvait pas flancher. Pas devant lui. Puisant dans ses dernières forces, elle se releva. Telle une guerrière. Vacillante, à peine debout, elle l’affronta du regard. — Et bien, déclara Yasinkov en applaudissant doucement, il faut croire que je t’ai sous-estimée. J’avais tout prévu… sauf ta victoire, ma princesse. — Je ne… suis… pas ta princesse, murmura-t-elle en recrachant du sang. Yasinkov s’approcha, caressa doucement sa joue. — Tout doux, fit-il avec un sourire en coin. (Puis, à un homme derrière lui :) Ramène-la dans une chambre. — Oui, chef. L’homme la prit par le bras et la guida jusqu’à une petite pièce sombre, sans charme. Allongée sur le lit dur, Ekaterina sentit l’agacement monter. Cette mission devenait un cauchemar. Elle regrettait. Son fils lui manquait. Thomas aussi. Elle voulait les revoir. Elle n’en pouvait plus. Fatiguée. Brisée. Même ses vêtements, autrefois élégants, étaient en lambeaux. Ses cheveux bruns poissaient. Ses yeux brûlaient. Elle voulait juste… redevenir elle-même. Morgan. Pas Ekaterina. Elle espérait que tout cela ne durerait pas trop longtemps. Honnêtement, elle n’était pas certaine de pouvoir tenir. Elle avait peut-être été trop naïve. Yasinkov était cruel, féroce, autoritaire… tout ce qu’elle haïssait. Mais le pire… c’est qu’elle commençait à se détester elle-même. Et maintenant ? Quelle serait la deuxième épreuve ? Serait-elle aussi éprouvante que la première ? Tout cela… juste pour intégrer un cartel ? C’était ridicule. Disproportionné. Et elle en était convaincue : s’il s’agissait d’un homme, Yasinkov n’aurait jamais exigé autant. Quel sexiste. La colère montait. Mais le sommeil fut plus fort. Elle pensa à son fils. À son sourire. Et s’endormit, épuisée.Dans sa course effrénée, Sky heurta de plein fouet madame Magdalena. Celle-ci, fidèle à sa réputation, la foudroya du regard avec une sévérité glaciale.— Espèce de sale petite morveuse, tu pourrais au moins regarder où tu mets les pieds! cracha-t-elle.— Pardon, grand-mère, répondit Sky, confuse.— Qui tu appelles grand-mère? Moi? Tu crois vraiment que moi, je pourrais être ta grand-mère? Écoute-moi bien, petite: je ne suis pas ta grand-mère et je ne le serai jamais. Pigé?— Pigé…— Si je te revois encore traîner autour de moi, je n’hésiterai pas à te faire fesser, menaça-t-elle.Sky fronça les sourcils.— Mais j’ai dit pardon. Je ne l’ai pas fait exprès. Pourquoi êtes-vous toujours si aigrie? Ce n’est pas bon pour votre santé, vous savez. À force de vous énerver comme ça, vous allez finir par vieillir plus vite que prévu.Madgalena haussa les sourcils, choquée par tant d’aplomb.— Voilà qu’une petite bâtarde me fait la morale. Je sais très bien comment prendre soin de moi, je n’ai p
Après son échange complice avec Sky, Yasinkov se retira pour répondre au coup de fil qu’il avait dû interrompre.— _J’écoute_, dit-il d’un ton ferme.— _Monsieur_, fit Serena à l’autre bout du fil, _la police est passée nous voir._— _La police?_ s’étonna-t-il, ses traits se durcissant.— Oui. Apparemment, quelqu’un les aurait alertés, mais... Un instant, s’il vous plaît...Yasinkov grimaça. Il détestait être mis en attente. Sans attendre, il raccrocha et remonta directement dans sa chambre, où Morgan l’attendait déjà.En le voyant entrer, elle le fixa d’un regard plein de reproches.— Un souci? Tu me regardes comme si j'avais tué quelqu’un, lança-t-il avec un sourire en coin.— Jusqu’à quand vas-tu garder cette rancune envers ta sœur? Entre toi qui boude, et Vich qui la rejette, Yulia ne sait plus où donner de la tête...Yasinkov la coupa, presque amusé:— Dis-moi, on s’est salués ce matin?— Ah… pardon. Bonjour! souffla-t-elle, légèrement confuse.Il s’approcha d’elle, l’enlaça douc
Le lendemain matin, la maison s’éveillait doucement. Tous étaient debout, à l’exception des enfants encore plongés dans le sommeil. Dans le jardin, Yasinkov profitait du calme, adossé à un arbre, tandis que Yulia l’observait discrètement depuis le balcon.Elle venait tout juste d’apercevoir Mitrovich.— Tu crois que je devrais lui parler? demanda-t-elle avec hésitation.— Je n’en sais rien, répondit-il en haussant les épaules, prêt à repartir.— Tu n’as pas passé la nuit ici, lança-t-elle avec reproche.— Et en quoi ça te concerne? répliqua-t-il sèchement.Yulia sentit son cœur se serrer.— Pourquoi tu m’en veux, Vich? À cause de Sky? À cause d’Alfonso? Ou est-ce que...— C’est parce que tu es une idiote, coupa-t-il.— _Quoi?! s’étrangla-t-elle, les yeux écarquillés.— Ne sois pas choquée. Tu es la reine des idiotes. Unique en ton genre. Un spécimen rare.— Vich, tu as bu…?— Je ne t’en veux pas d’avoir un enfant, soupira-t-il. Je t’en veux parce que tu m’as menti. Tu sais que je déte
Ils étaient toujours dehors, quand Yasinkov, intrigué, ne cessait de fixer Sky. La fillette, fidèle à elle-même, arborait un grand sourire espiègle.— Pourquoi me regardez-vous comme ça, monsieur? demanda-t-elle en haussant un sourcil. Vous auriez pas eu… le coup de tonnerre pour moi?Yasinkov éclata de rire.— On dit _le coup de foudre_, pas de tonnerre! Et non, je te rassure. C’est juste que ton visage me dit quelque chose.Sky ouvrit de grands yeux, dramatique.— Mon Dieu… comme le monde est étrange…— Qu’est-ce qui est étrange, petite dame?— Dame, s’il vous plaît. J’aime pas le mot “petite”, ça sonne mal dans mes oreilles. Moi, je suis une grande fille. Vous pouvez le demander à ma maman.— Ta maman, hein? Et où est-elle, ta maman?— Elle est...Mais avant qu’elle n’ait pu finir, une voix retentit.— Sky, tu…Yulia venait d’apparaître. À la vue de Yasinkov, elle se figea, le teint blême.— Yulia? murmura-t-il.— Grand... grand... grand frèèèèèèèèèère!Sa voix tremblait, son regar
Après l’incident houleux survenu plus tôt dans la journée, Yulia s’était enfermée dans sa chambre avec Sky. Elles n’étaient toujours pas sorties, ce qui commençait sérieusement à inquiéter Ekaterina.Elle s’approcha de la porte, frappa doucement, mais aucun son ne lui parvint en retour. Elle crut cependant entendre Yulia demander à la servante de faire venir Dimitri.— Ah, le voilà…— Dimitri! l’interpela-t-elle en bas des escaliers.— Ekaterina, bonsoir, répondit-il d’un ton poli.— Bonsoir… Yulia est là-haut.— Merci, je vais voir ce qu’il en est, répondit-il, déjà en route pour l’étage.Ekaterina voulut le suivre, puis s’immobilisa. Elle venait d’apercevoir Mitrovich, prêt à monter dans un véhicule.Elle pressa le pas et le rattrapa juste à temps.— Un problème? demanda-t-il en se retournant.— Pas vraiment… Où est mon fils?— Ah, tiens, j'avais complètement zappé, admit-il en sortant son téléphone.Il composa rapidement un numéro.— Serrena? Ramène-moi le petit, s’il te plaît.Il
Après sa conversation avec Vich, Yulia pénétra dans la maison, sans se douter qu’elle allait croiser le regard perçant de madame Magdalena. Cette dernière la fixa avec une froideur glaciale.— Tiens donc… Qui voilà? Ce ne serait pas… Yulia? lança Magdalena avec un sourire aussi tranchant qu’un couteau.Yulia s’efforça de garder contenance.— Bonjour, ma tante…— Hum! En quoi cette journée pourrait-elle être bonne si c’est toi que je croise en premier? Ne devais-tu pas être morte?Le regard de Magdalena foudroya la jeune femme, qui recula d’un pas, saisie.— Morte? Je ne comprends pas…— Tu comprendras tôt ou tard. Toi et ton cher petit ami, avec l’appui de son mollusque de père, avez détruit ma fille. Je m’étais dit que le poids de la honte et de la culpabilité finirait par t’achever, mais te voilà bien vivante. Il semblerait que tu aies oublié ce que tu lui as fait. Ne crois pas un instant que je pourrai te le pardonner. Jamais, tu m’entends? Jamais!La voix de Magdalena tremblait de