LÉOJe me réveille seule.La chaleur s’est dissipée. Le lit est tiède encore, mais vide. Mon bras tendu ne rencontre que le drap lisse, légèrement froissé. Je reste immobile quelques secondes, les paupières à demi closes, le souffle suspendu, comme si le silence de la pièce pouvait encore me donner un indice. Un signe. Une trace de lui.Mais non.Il est parti.La pièce est figée , tout est trop propre , trop nette. Elle n’a pas été dérangée par le moindre geste maladroit, par le moindre abandon.Je me redresse lentement. Mon corps a froid. Pas ce froid qu’on chasse avec une couverture, mais un autre. Un froid intérieur, sourd, celui qui vient quand quelque chose s’est retiré sans bruit.Un manque sans explication. Un vide qui s’est glissé sous la peau, presque imperceptible mais tenace.Le jour s’est levé, pâle et diffus à travers les rideaux tirés. Pas de soleil. Juste cette clarté blême, presque clinique, qui n’éclaire pas, mais qui révèle. Tout. Les surfaces. Le silence. Moi.Je re
LÉOJe ne dors pas.Ou du moins, pas vraiment. Mes paupières se ferment par réflexe, mais l’esprit, lui, demeure en éveil agité, lucide, harcelé par des pensées trop vives. Mon cœur tambourine dans ma poitrine comme un oiseau affolé en cage. Mon ventre se noue encore du poids de ces regards, de ces silences chargés, de cette honte indicible qu’on a fait peser sur moi, sans un mot, sans un geste, mais avec une cruauté impeccable.Et pourtant, ce n’est pas cela, ce n’est pas seulement cela, qui m’empêche de sombrer.C’est lui.Marko.Il repose là, à quelques centimètres à peine. Immobile. Silencieux , presque irréel. Un corps allongé, tendu de calme apparent, mais dont émane une vigilance souterraine. Je l’entends respirer un souffle régulier, profond, peut-être feint. Je devine que son sommeil, s’il existe, n’est jamais complet, jamais total. Comme s’il ne se permettait jamais l’abandon absolu.Je l’observe.Je sais que je ne devrais pas.Mais mes yeux refusent de se fermer lorsqu’il e
LÉOJe serre sa main, sans trop y croire, sans trop savoir pourquoi je fais ça. Mon corps obéit, mais dedans, tout hurle encore. Ma gorge gratte, mon ventre se tord, et je tremble si fort que j’ai l’impression que mes os vont se désolidariser.Marko ne dit rien. Il me tire doucement, comme on mène une bête blessée, sans chaînes mais sans me laisser vraiment le choix. Son pas est calme, son corps tendu mais sûr, et moi, je le suis comme une ombre collée à sa lumière.On sort du dortoir.Le couloir est désert, plongé dans cette lumière blafarde qui ne connaît pas la nuit, cette clarté froide qui te fout à poil sans chaleur. Les néons zèbrent le sol de lignes pâles. Chaque pas résonne, étouffé mais tranchant. Mes pieds nus collent au carrelage. Le silence est trop propre pour être réel.On avance.Mais à l’angle suivant, un homme surgit. Grand, trapu, des bras comme des troncs. Un de ceux qu’on ne croise jamais sans que leur regard te vide de ton sang. Il s’arrête net en nous voyant. Il
LÉOIl a refermé la porte.Mais c’est comme si elle était restée ouverte, béante, brûlante.Je reste assise contre le mur, les genoux ramenés contre moi, les bras enroulés autour. Mes doigts tremblent. Mes poumons brûlent. La colère, l’humiliation, la peur tout se mélange, comme une mare d’eau sale que je ne peux pas vider.Marko ne bouge pas. Il reste là, devant moi, figé comme une sentinelle. Il ne dit rien. Il m’observe. Pas pour juger. Pas vraiment. Mais comme s’il avait besoin de comprendre à quel point je suis encore là. Combien il me reste de forces, de mots, d’air.Et moi, je n’ai plus rien.— Tu crois qu’il va parler ? je murmure enfin.Il hoche la tête, lentement, puis la secoue. Comme s’il se contredisait lui-même.— Pas tout de suite. Pas tant qu’il sera en colère. Il réfléchit encore. Il hésite.Je fronce les sourcils.— Et s’il ne fait pas que réfléchir ? Et s’il va directement voir les autres ?Marko se tourne, passe une main dans ses cheveux, s’approche de la fenêtre s
LÉO— Léo ?Je sursaute.La voix vient de l’autre côté de la porte. Un ton sec, impatient. C’est Kiran.— Léo, t’es là ? Ouvre.Trop tard.La poignée tourne, et il entre sans frapper.Et pendant une seconde, le temps se fige.Kiran reste figé dans l’encadrement. Ses yeux balaient la pièce, s’arrêtent sur moi, sur Marko torse nu, les cheveux en bataille, toujours debout près du lit. Et sur nous. Trop proches. Trop intimes. Trop évidents.Je me recule d’un pas, trop tard pour faire semblant.— Qu’est-ce que… ? commence Kiran, fronçant les sourcils.Puis, plus fort :— C’est qui, elle ?MARKOJe lève les yeux vers lui, la gorge sèche.— Elle c'est Léo, dis-je. Celui qu’on connaît tous.Il plisse les yeux. Son regard passe de moi à elle, de ses traits fins à ses vêtements trop grands.— Attends… quoi ?Il cligne des yeux, la bouche entrouverte. Et dans le silence qui suit, je sens le poids tomber. La révélation, brutale.— Elle se faisait passer pour un homme ? Tout ce temps ?Je hoche le
LÉOIl ne bouge plus.Son souffle cogne contre ma joue, chaud, irrégulier, presque douloureux.Ses mains sont encore sur moi, mais il ne serre plus. Il retient. Il lutte.Mais moi, je sens déjà qu’on est au bord. Que quelque chose va céder. Peut-être moi.Peut-être lui. Peut-être tout ce qu’on prétendait contrôler jusque-là.Et je n’ai plus envie de me battre. Pas contre ça. Pas contre lui.— Dis-le encore, murmure-t-il. Que tu n’es pas contre moi.Je lève les yeux. Lentement. Je pourrais mentir. Encore.Mais je ne peux pas. Pas quand il est là, à quelques centimètres de ma bouche. Pas quand mes doigts refusent de le lâcher. Pas quand mon corps tout entier hurle déjà vers le sien.— Je ne suis pas ton ennemie, répété-je, dans un souffle brisé.Un instant.Un seul.Et il craque.MARKOJe l’embrasse comme on cogne. Avec violence, avec besoin, avec tout ce que je n’ai pas su dire.Sa bouche est douce et fiévreuse à la fois. Elle gémit contre mes lèvres, ses ongles s’enfoncent dans ma nuq