PVD de Paula
Cela fait une semaine que je jongle entre l’hôpital et le bar, entre les pansements de maman et les verres qu’on aligne à la chaîne. Les journées sont longues, les nuits trop courtes. Mon corps commence à tirer la sonnette d’alarme : mes paupières pèsent une tonne, mes jambes me brûlent, et même mon dos proteste dès que je reste debout trop longtemps. Mais je tiens. Parce que je n’ai pas le choix. Parce que maman va mieux. Enfin... un peu mieux. Chaque matin, elle réussit à se lever seule. Elle prépare son café en s’aidant du plan de travail et passe un petit coup de chiffon sur la table, par automatisme. Elle cache encore sa douleur, mais je la vois, dans la façon dont elle s’arrête plus souvent, comme si son souffle lui manquait. Pourtant, elle me sourit. Toujours. Et ça, ça suffit à me faire continuer. Ce soir-là, en rentrant du bar, je pousse la porte de notre appartement, mes muscles criant grâce. La lumière du salon est allumée. Jimena est là, affalée sur le canapé, un bol de nouilles instantanées à moitié vide entre les mains. Elle se tourne vers moi avec un petit sourire complice. ___ Tu ressembles à un zombie. Un joli zombie, mais un zombie quand même. Je ris doucement, m’affalant à ses côtés. Elle est sûrement passée voir ma mère et comment elle se porte. ___ Tu peux parler, t’as une tête de panda qui aurait perdu son bambou. Elle me donne un petit coup de coude. ___ Ça fait combien de temps que t’as dormi plus de quatre heures d’affilée ? ___ Une légende. J’en ai entendu parler, mais jamais vue en vrai. On rit ensemble, un peu doucement pour ne pas réveiller maman. Puis elle se tourne vers moi, plus sérieuse. ___ Comment ça se passe, au bar ? Je prends une grande inspiration. Comment dire… ___ Épuisant. Entre les clients bourrés, les commandes qui s’enchaînent, et surtout… ces vieux mecs dégueulasses. Sérieusement, Jim, y en a un qui m’a demandé si je voulais lui faire un massage spécial dans les toilettes. Elle grimace. ___ Quelle horreur. Mais t’as bien réagi ? ___ J’ai souri. Et je lui ai renversé son verre sur les genoux « par accident ». Elle explose de rire. ___ Voilà pourquoi je t’adore. Mais fais gaffe, certains peuvent devenir agressifs. Je hoche la tête. J'en ai déjà vu, dans les bars lorsqu'on se faisait une sortie entre amies. Ils harcelaient les serveuses et quand certaines rispotent, d'autres explosent de rage comme s'ils avaient raison. Pouf ! ___ Lucas veille, mais il ne peut pas être partout. Et je me sens sale, parfois. Même si j’ai rien fait. C’est juste… lourd. Elle pose une main sur mon bras et ce simple geste suffit à me détendre. ___ Tu fais ce que tu dois faire. T’as pas à avoir honte de ça. T’es forte, Paula. T’as des tripes. Et le reste, c’est eux qui devraient avoir honte. Pas toi. Ses mots me réchauffent. Jimena, c’est ce genre de personne. Elle parle peu, mais quand elle le fait, ses mots restent. Elle est très sage, bien qu'elle ait vingt cinq ans, comme moi. Peut-être que c'est le fait qu'elle n'a aucune famille et qu'elle a vécu à la rue, qui l'a emmenée à être mature. ___ Merci, Jim. Elle me serre brièvement contre elle et je me sens bien. ___ Allez, va dormir. Tu l’as bien mérité. Je suis juste passée voir comment ta maman va. On a discuté et elle est allée se coucher. *** Le lendemain soir, mon service s’éternise. On a eu une soirée spéciale match de foot et le bar était bondé. Il est plus de minuit quand je quitte enfin le comptoir, lessivée. Je salue Lucas d’un geste de la main, enfile ma veste et sors dans la rue glaciale. L’air de la nuit me fouette aussitôt le visage. Je resserre mon écharpe autour de mon cou, frissonnante. Les rues sont presque désertes. Mes pas résonnent sur le trottoir. J’accélère, pressée de retrouver mon lit. J’ai à peine fait cent mètres que j’entends des bruits de pas derrière moi. Rapides. Trop proches. Je me retourne. Personne. Mais mon cœur s’emballe. Puis un sifflement fend l’air. ___ Hé, señorita, on marche toute seule ? Je presse le pas, mes mains tremblantes dans mes poches. Deux ombres me suivent. Mon estomac se noue. ___ T’as pas peur, hein ? Reste un peu avec nous… J'accélère mes pas, mais je n’ai pas le temps de faire plus de trois mètres qu’un cri retentit derrière moi. ___ Vous avez un problème ? La voix est grave, ferme et autoritaire. Je me retourne brusquement. Un jeune homme s’interpose entre moi et les deux types. C’est lui. Le mec du bar. Le regard perçant. Le costume qui n’a rien à faire dans ce quartier. Les deux hommes hésitent. L’un d’eux lâche un « C’est bon, on rigolait », puis ils s’éloignent à grandes enjambées. Je reste figée, haletante. Il se tourne vers moi. ___ Ça va ? Je le fixe, toujours sur la défensive. ___ Je pouvais m’en sortir seule. Il hausse un sourcil, amusé. ___ Vraiment ? Tu courais presque. Je serre les dents. Ça me fout la rage d'être dans cette situation. ___ J’étais prudente. Ça ne veut pas dire que j’avais besoin d’aide. Il sourit. Ce sourire-là… trop confiant, trop propre, trop riche. ___ Très bien, Miss Indépendante. Alors je te laisse ici, dans cette rue glauque, à minuit passé. Je croise les bras et le dévisage. ___ T’es quoi, au juste ? Un justicier en costume ? Il rit doucement, puis me répond d'un air détaché. ___ Juste un type qui passait par là. Et qui n’aime pas voir les autres emmerdés. Tu rentres où ? Je te raccompagne. ___ Non. Merci. J’ai pas besoin qu’un gosse de riche joue les héros. Il écarquille les yeux, visiblement amusé. Je me remets à marcher. ___ Gosse de riche ? Ah, voilà, on y est. Tu me catalogues déjà ? ___ Je connais votre genre. Toujours à vouloir tout contrôler. Les gens, les situations, les filles qui veulent juste rentrer chez elles. ___ Et toi, tu crois tout savoir sur moi parce que je porte une chemise repassée. On continue de marcher, enfin… je marche, et il me suit obstinément. ___ T’as pas compris que je veux être seule ? ___ Et toi, t’as pas compris que je suis têtu ? Je pousse un soupir exaspéré. Et soudain, une voix m’interpelle. ___ Paula ? Je me fige. Cette voix… Je me retourne lentement. Et mon cœur se serre. C’est lui. Juan, mon ex. Il est là, dans cette ruelle, les mains dans les poches, l’air un peu perdu. Je sens immédiatement une vieille douleur remonter. C'est la dernière personne à qui je souhaite aborder, mais une idée surgit. ___ Juan… Nicolas regarde entre nous deux, intrigué. Je prends une décision rapide. Tant pis. Je m’approche de Juan et m’accroche à son bras. ___ Tu tombes bien. Je rentre avec lui. Merci pour ton aide, Nicolas. Il fronce les sourcils. Juan est un peu surpris, mais je le vois esquisser un sourire qui le rend encore plus idiot. ___ T’es sûre ? me demande le mec. ___ Oui. Je suis en sécurité. Il hésite encore un instant, puis finit par hocher la tête. ___ Très bien. Bonne nuit, alors. Il tourne les talons, disparaît dans la nuit. Je relâche immédiatement Juan et fais un pas en arrière. ___ Merci. C’était juste pour qu’il parte. Il semble un peu blessé, mais je m'en fiche. Après tout ce qu'il m'a fait, il ne mérite même pas que je lui accorde ne serait-ce qu'une seconde de mon temps. ___ Je vois… ___ C’est fini, Juan. Ce que nous avons eu, c’est du passé. Je veux pas qu’on rejoue cette pièce. ___ Mais, Paula... ___ Non, il n'y a pas de Paula. Je t'ai dit que c'est fini, alors c'est fini. OK ? ___ Je sais que... j'ai été un idiot, je t'ai fait beaucoup de mal mais laisse-moi me racheter. S'il te plaît. Je fais un petit rire ironique, qui le déconcerte aussitôt. ___ Allez, laisse-moi te raccompagner. Il se fait tard et... ___ Je n'ai besoin de personne, tu comprends ? C'est pas la première fois que je rentre à une heure pareille. Maintenant, laisse-moi tranquille. Il baisse les yeux, murmure un « d’accord ». Puis il s’éloigne, lentement. Je me retrouve enfin seule. Le calme revient. Et le froid aussi. Je remonte mon col et reprends la route. Le mec du bar… Qu’est-ce qu’il faisait là ? Je ne le connais pas. Pas vraiment. Mais quelque chose me dit qu’il ne va pas s’arrêter là. Et ça, ça m’inquiète autant que ça m’intrigue.Valeria est assise dans son vaste salon, perchée sur son canapé en velours beige, la tablette posée sur ses genoux. La lumière de l’après-midi éclaire ses traits froids, mais il y a quelque chose d’agité dans ses yeux. Ses doigts tapotent nerveusement sur l’écran. Elle est tombée sur cette vidéo… cette maudite vidéo.La demande en mariage de Nicolas à Paula.On y voit Nicolas, un immense bouquet dans les bras, se mettre à genoux devant cette fille. Cette fille qu’elle a juré d’écraser, de réduire au silence. Et Paula qui dit oui, les larmes aux yeux, sous les applaudissements et les sifflements amusés. L’image est claire, belle, presque parfaite.Valeria sent une brûlure dans la poitrine, comme si chaque éclat de rire et chaque note de bonheur dans cette vidéo étaient dirigés contre elle.___ Non… non… c’est impossible… murmure-t-elle, la mâchoire serrée.Mais Internet, lui, ne ment pas.En quelques minutes, son téléphone se met à vibrer de toutes parts. Des notifications inondent son
PVD de PaulaLa lumière du matin filtre par les rideaux beiges de ma chambre d’hôpital. L’odeur stérile me pique encore un peu les narines, mais aujourd’hui… c’est différent. Aujourd’hui, je sors enfin. Assise au bord du lit, j’attache calmement mes cheveux, tandis que Jimena, installée sur la chaise près de la fenêtre, me regarde avec un grand sourire.___ Tu sais que t’as raté le match du siècle, hein ? commence-t-elle, les yeux pétillant d’excitation.Je ris doucement, secouant la tête.___ Je l’ai vu à la télé, je te rappelle.___ Oui, mais tu n’as pas vu ça comme moi je l’ai vu ! La tension, la folie dans le stade… Paula, c’était incroyable. Le Real a littéralement écrasé son adversaire. Et Nicolas… mon Dieu, il a été parfait. Tu aurais vu comment il courait, comment il contrôlait le ballon… et ce but en deuxième mi-temps… les gens hurlaient ton nom à travers lui, je te jure.Ses paroles ravivent en moi une chaleur que j’avais déjà ressentie hier devant l’éc
PVD de Paula Ma mère et moi sommes allongées sur ce lit d’hôpital, collées l’une contre l’autre, à suivre le match sur l’écran accroché au mur. L’odeur de désinfectant flotte toujours dans la pièce, et le bruit régulier des machines de monitoring rythme l’ambiance. Nicolas est sur le terrain, concentré, et chaque fois que la caméra le filme, mon cœur se gonfle de fierté. ___ Il joue bien aujourd’hui… murmure ma mère, un petit sourire aux lèvres. Je hoche la tête, incapable de détacher mes yeux de lui. Ses gestes sont précis, son visage fermé, mais je sais qu’à l’intérieur, il brûle de cette envie de gagner. Il mouille le maillot pour son équipe… et pour nous. Ma mère finit par se redresser. ___ Je vais aux toilettes, je reviens. ___ D’accord, Maman. La porte se referme derrière elle. Un léger silence s’installe, seulement brisé par les commentaires du match et les cris des supporters qu’on entend à travers la télé. Je caresse doucement mon ventre arrondi, un sourire attendri sur
PVD de Paula Nicolas me regarde fixement comme s'il n'attendait que cette réponse depuis longtemps. Je déglutis, essaie de ressasser ce moment où j'ai perdu connaissance. Mes yeux se voilent un instant. L’image revient, brutale, comme si j’y étais encore. *** Flash-back Je marche d’un pas rapide, les mains profondément enfoncées dans mes poches. Le froid me mord le visage, mais je ne sens presque rien. Mon esprit est ailleurs… enfermé dans les mots tranchants de la mère de Nicolas. Chaque phrase résonne encore dans ma tête, chaque regard de mépris me brûle. Comment a-t-elle pu oser mettre les pieds chez moi et me parler de cette façon ? Ai-je bien fait de ne pas lui avoir répondu ? Aurais-je dû lui faire comprendre que j'en ai rien à cirer du compte bancaire de Nicolas Reyes ? Je porte son petit fils et pourtant elle semble en avoir rien à faire. Tout ce qui compte pour elle, c'est que je ne mérite pas d'être avec son fils. Je serre encore les dents, toujours remontée contre
PVD de Nicolas Je fais les cent pas dans le couloir, incapable de rester en place. Chaque minute qui passe est une torture. Jimena, assise sur le banc, ne dit rien, les mains jointes sur ses genoux. Moi, je sens mon cœur cogner comme s’il voulait exploser. Toujours aucune nouvelle de Paula… ni du bébé. Andres revient enfin, les épaules légèrement voûtées, après avoir déposé la mère de Paula chez elle. ___ Toujours rien ? me demande-t-il. Je secoue la tête, le souffle court. ___ Je vais finir par perdre la tête, Andres. Je te jure, je tiens plus. Il pose une main ferme sur mon épaule. ___ Courage, mon frère… Ils savent ce qu’ils font. Elle est entre de bonnes mains. Ses paroles se veulent rassurantes, mais elles glissent sur moi sans vraiment s’ancrer. Il rejoint Jimena sur le banc, lui adressant un sourire fatigué. Je m’adosse contre le mur froid et ferme les yeux un instant. Des images défilent dans ma tête : le rire de Paula, ses mains qui se posent sur mon visage, la chale
PVD de JimenaL’odeur antiseptique de l’hôpital me donne toujours ce mélange étrange de malaise et d’appréhension, mais aujourd’hui… c’est pire. Les néons au plafond diffusent une lumière crue, presque agressive, qui me donne mal à la tête. Nous sommes assis depuis ce qui me semble être des heures dans cette salle d’attente glaciale. À ma gauche, Madame Carmen se tord les mains, ses yeux rougis et gonflés d’avoir trop pleuré. Elle ne dit presque rien, si ce n’est des murmures brisés par des sanglots.___ Ma fille… ma pauvre fille…Je sens ma gorge se serrer. Moi aussi, je suis inquiète. Paula est quelque part derrière ces portes battantes, inconsciente ou blessée, et personne ne daigne venir nous dire dans quel état elle se trouve. Je veux la rassurer, lui dire que tout ira bien, mais la vérité, c’est que j’en sais rien. Alors, je me contente de poser une main douce sur son épaule et de lui tendre un mouchoir.___ Elle est forte, madame Carmen… elle va s’en sorti