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chapitre 6

Author: Emmsi.708
last update Last Updated: 2025-07-25 03:13:52

Chapitre six – La Lettre

La pluie s’était remise à tomber, fine et continue, comme un murmure de ciel en deuil. Julianne, seule dans la bibliothèque, feuilletait les vieux carnets de famille avec une lassitude rageuse. Elle avait besoin de comprendre. De remonter le fil. Pourquoi sa mère s’était tue ? Pourquoi elle-même avait été offerte comme un agneau dans un monde de fauves ? Et surtout… pourquoi Giovanni Pirouli avait-il, dans ses silences, toujours semblé détenir une part d’elle ?

Le vieux secrétaire en acajou grinça sous ses doigts. Elle ouvrit le tiroir du bas. Derrière quelques papiers jaunis et une bible rongée par le temps, ses doigts effleurèrent une enveloppe scellée de cire. Rouge foncé, presque noire.

Son nom y était inscrit à l’encre brune : Julianne.

Le souffle coupé, elle la prit avec précaution. L’écriture était féminine. Tremblante. Mais élégante.

Sa main vacilla. Son cœur aussi. C’était l’écriture de sa mère.

Elle s’assit dans le vieux fauteuil de velours vert, le regard fixé sur l’enveloppe comme si elle allait s’ouvrir seule. Puis, lentement, elle brisa la cire.

À l’intérieur, une feuille pliée en trois. Une seule. L’encre avait légèrement bavé, mais les mots étaient là, figés dans le temps.

Ma Julianne,

Si tu lis cette lettre, c’est que le silence m’a emportée. Je l’avais prévu. Il y a des douleurs qui vous ferment la gorge pour toujours.

Je t’écris non pas pour te faire porter mes regrets, mais pour que tu ne portes pas mes chaînes.

J’ai aimé un homme, Julianne. D’un amour interdit, trop fort, trop tôt. Cet homme s’appelait Giovanni. Oui, ce Giovanni. Il m’a promis le monde, et j’ai cru en lui. J’étais jeune, idiote, et aveugle.

Mais mon père m’a mariée à ton père, au dernier moment, sans explication. Giovanni a été évincé, humilié. Et moi… je suis devenue l’épouse du silence.

Ce que je n’ai jamais dit, c’est qu’avant ce mariage forcé… j’étais enceinte.

Je n’ai jamais pu aller jusqu’au bout de cette grossesse. Je ne sais même pas si l’enfant a survécu. Je crois qu’ils l’ont… pris.

Ton père. Ton grand-père. Peut-être même Giovanni.

C’est flou. On m’a droguée. On m’a enfermée. Et on m’a dit : “C’est terminé.”

Mais ce n’était pas terminé. Ce ne le sera jamais.

Julianne sentit le sang quitter ses joues. Un goût de fer dans la bouche. Un frère. Ou une sœur. Disparu(e). Arraché(e). Caché(e).

Elle continua, la gorge serrée.

Depuis ce jour, Giovanni me hait autant qu’il m’a aimée. Ce n’est pas toi qu’il désire, Julianne. C’est ce que tu représentes : ma trahison, ma souffrance, mon sang qui lui a été volé.

Tu es le double de moi. Belle, forte, courageuse. Et je sais que tu vivras dans un monde cruel. Mais promets-moi ceci :

N’aie pas peur d’aimer. Même si c’est un monstre. Même si c’est un soldat. Même si c’est un homme brisé.

Parce que parfois, le seul rempart contre ce monde, c’est l’amour…

même s’il est né dans la douleur.

Je t’ai toujours aimée. Même quand je ne le montrais pas.

Sois libre, ma fille. Sois sauvage. Sois feu.

– Ta mère, Alessia.

Julianne resta figée. La pluie avait cessé. Le silence dans la pièce était tel qu’elle crut entendre battre son propre cœur. Cette lettre… c’était une gifle. Un écho. Un cri venu d’outre-tombe.

Sa mère avait aimé Giovanni. Avaient eu un enfant. Et ce passé, qu’on lui avait caché… vivait peut-être encore.

Elle relut la fin une seconde fois.

“Même si c’est un monstre. Même si c’est un soldat…”

Elle pensa à Ulric.

Lui aussi avait été brisé. Lui aussi avait été réduit à l’état de pièce d’un échiquier. Mais il avait choisi de la protéger. De se dresser, même contre son propre camp. Ce n’était pas un prince. C’était un guerrier. Et ce genre d’homme… sa mère l’aurait compris.

Julianne replia la lettre. L’embrassa. Puis la glissa contre son cœur.

Elle ne pleura pas.

Elle se releva, droite comme une reine. Si Giovanni croyait encore la manipuler, c’était fini. Elle connaissait désormais la vérité. Elle comprenait les racines de sa rage. Mais elle ne tremblerait plus.

Ce monde de mensonges, de mariages forcés, de pactes de sang ?

Elle allait l’affronter.

Et si un frère ou une sœur existait quelque part…

Elle allait le retrouver.

Et alors, Giovanni Pirouli…

découvrirait ce que c’est qu’une fille élevée par la douleur…

mais forgée dans le feu.

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