MasukAngèle
L’entretien est un duel. Il pose des questions précises, incisives, testant mes connaissances, ma résistance à la pression. Je réponds avec une assurance calculée, citant des chiffres, des tendances, proposant une analyse risquée d’une de ses acquisitions. Je vois une lueur d’intérêt, fugace, s’allumer dans son regard de glace.
— Vous avez de l’audace, mademoiselle, remarque-t-il, se penchant en avant, les mains jointes sur le bureau. Son regard parcourt mon visage, puis descend le long de mon cou, avec une lenteur délibérée. Beaucoup d’audace pour quelqu’un d’aussi… jeune.
Le sous-entendu est clair. Mon corps fait partie de l’épreuve. Un frisson de dégoût et d’excitation malsaine me parcourt. Je soutiens son regard, refusant de baisser les yeux.
— L’audace est une monnaie d’échange dans votre entreprise, je présume ? je rétorque, un léger sourire aux lèvres.
Néron Valesco sourit à son tour. Un sourire lent, dangereux, qui n’atteint pas ses yeux.
— En effet. Et je paie très cher cette monnaie-là.
La porte du bureau s’ouvre à la volée, sans coup frapper.
L’intrusion est comme un coup de tonnerre. Un homme jeune se tient sur le seuil. Il a hérité du magnétisme de son père, mais chez lui, il est transformé en une énergie sauvage et impulsive. Des cheveux noirs en désordre, un costume impeccable mais dont la veste est ouverte, la cravate desserrée. Ses yeux, d’un bleu électrique, balayent la pièce et se plantent sur moi avec une intensité qui manque de me faire tressaillir.
— Père. Désolé de te déranger, j’avais… Sa voix, plus rauque, plus jeune, mais tout aussi chargée d’autorité, s’arrête net. Il me toise, un sourcil levé, un sourire arrogant aux lèvres. … une question urgente. Mais je vois que tu es occupé.
Néron Valesco n’a pas bronché. Son visage est un masque de pierre.
— Rabis, tu connais les règles. Frappe avant d’entrer.
Rabis. Le fils.
Rabis ignore la remarque. Ses yeux n’ont pas quitté les miens. Il entre dans la pièce, approchant avec la démarche souple d’un fauve. Il sent le cuir, le bois épicé et l’arrogance.
— Et qui est votre… nouvelle recrue ? demande-t-il, le mot « recrue » traînant avec une insinuation délibérée.
— Mademoiselle Derval est candidate pour le poste de conseillère stratégique junior, répond Néron, la voix neutre.
Rabis s’arrête à côté de mon fauteuil, si près que je peux sentir la chaleur qui émane de lui. Il se penche, posant une main sur le dossier de mon siège, m’emprisonnant sans me toucher.
— Enchanté, mademoiselle Derval, dit-il, son regard bleu plongeant dans le mien avec une audace qui frise l’impudeur. Rabis Valesco. Je suis sûr que nous aurons l’occasion de… travailler ensemble. Très étroitement.
Le défi dans sa voix est palpable. Une marque de territoire. Un avertissement. Je sens un mélange de rage et de quelque chose de plus primitif, de plus dangereux, monter en moi. Je suis prise entre deux forces, deux tempéraments opposés mais également prédateurs.
Je lève les yeux vers lui, refusant de me laisser intimider. Mon cœur cogne contre mes côtes, un tambour de guerre.
— L’avenir nous le dira, monsieur Valesco, je réponds, ma voix étonnamment stable.
Néron observe la scène, un éclat indéchiffrable dans son regard gris. Il voit l’étincelle entre nous, la tension palpable. Et il n’a pas l’air mécontent.
— Je pense que l’entretien est terminé, mademoiselle Derval, annonce Néron, me ramenant à lui. Nous vous contacterons.
Je me lève, sentant le regard de Rabis sur moi, un poids presque physique qui me suit tandis que je traverse la pièce. À la porte, je me retourne pour une dernière courtoisie.
Mes yeux rencontrent ceux de Néron. Il me fixe avec une intensité dévorante, comme s’il voyait déjà à travers mes défenses, comme s’il contemplait déjà ma soumission.
Puis mon regard glisse vers Rabis, qui, adossé au bureau de son père, m’adresse un sourire carnassier, promettant sans équivoque un jeu bien différent.
Je sors du bureau, le corps vibrant, l’esprit en alerte. L’ascenseur redescend, mais je ne suis plus la même. La colère froide a été tempérée, forgée en une arme plus complexe. J’ai vu mes ennemis. L’un, un glacier calculateur qui veut me posséder. L’autre, un incendie impulsif qui veut me consumer.
J’ai allumé la mèche. Maintenant, je dois danser avec les flammes. Et alors que je retrouve l’air libre, une seule pensée m’habite, une pensée qui est à la fois une peur et une excitation terrible :
Dans cette guerre, qui de nous trois brûlera le premier ?
Angèle La révélation du projet Janus tourne dans ma tête comme une roue dentée, broyant mes pensées. Je passe la nuit à chercher, à fouiller dans les archives auxquelles Néron m'a donné accès, un accès élargi, privilège dangereux. Je ne trouve rien. Janus est un fantôme, un nom murmuré seulement dans les plus hautes sphères. Cette ignorance est une faille dans mon armure, une faille que Néron a délibérément laissée ouverte pour observer comment je la comblerai.Au petit matin, épuisée mais lucide, je reçois un message. Pas de ma source habituelle. De Rabis.Rabis : « Vous voulez savoir ce qu'est Janus ? Rencontrez-moi. Ce soir. 20h. L'entrepôt Docks 7. Venez seule. Montrez que vous avez plus de cran que de prudence. »C'est un piège. Évident. Grossier. Mais envoûtant. C'est la porte qui s'ouvre sur la partie cachée de l'échiquier. Et Rabis, dans sa rage impulsive, est peut-être la clé la plus facile à tourner.La journée est un exercice de dissimulation. Je croise Néron brièvement. S
Angèle Les jours qui suivent sont un exercice d'équilibre constant. Je deviens un fantôme dans les couloirs de l'empire Néron, une présence à la fois indispensable et insaisissable. Chaque interaction est calculée, chaque mot pesé.Avec Rabis, je cultive une froideur distante. Il rôde, plus agressif, frustré par mon retrait stratégique. Ses avances se font plus directes, presque menaçantes. Je les esquive avec une élégance froide, laissant toujours planer le doute. Un "non" trop franc pourrait le braquer. Un "oui" n'est pas envisageable. Alors je danse dans l'entre-deux, alimentant sa frustration, cette faiblesse que son père méprise.Avec Néron, j'incarne l'efficacité absolue. Je lui présente mes avancées sur Helios, détaillant la faille que ma source m'a confirmée. Je lui montre comment retourner les frères Lemoine non par la force, mais par la menace élégante de révéler leur double jeu. Il écoute, approuve d'un hochement de tête. Son regard sur moi se fait plus intense, plus posse
Angèle La nuit ne m’a pas apporté le sommeil, mais une clarté terrible. Au petit jour, assise dans mon salon silencieux, je repasse chaque instant, chaque frôlement, chaque parole échangée avec Rabis. La peur rétrospective a cédé la place à une froide évaluation tactique. J’ai commis une erreur : j’ai sous-estimé l’animalité de Rabis, sa capacité à faire voler en éclats les règles non écrites de notre jeu. Je ne peux plus me contenter de danser à la lisière du précipice. Je dois apprendre à y construire une forteresse.Mon téléphone vibre sur la table basse. Un email. L’expéditeur est une adresse cryptée. Mon contact.Sujet : Matériel de construction.Le message est court, laconique. Une pièce jointe. Un fichier audio. Aucune instruction. Juste un outil.Je branche mes écouteurs, le cœur soudain lourd. J’appuie sur lecture.D’abord, un grésillement, puis des voix. Celle de Rabis, immédiatement reconnaissable, épaisse de mépris et d’arrogance. Et une autre, plus jeune, plus nerveuse.
Angèle Le restaurant est un lieu que Rabis a choisi avec une intention évidente : un endroit intimiste, aux lumières basses, où les tables sont séparées par des voilages de soie et où le murmure des conversations se perd dans le son feutré d'un piano. L'air est chargé d'un parfum d'épices et de richesse. C'est le territoire du prédateur, un décor conçu pour la séduction et l'abandon.Je m'y rends vêtue d'une arme : une robe noire simple, mais qui épouse mes courbes avec une fidélité cruelle. Ma seule concession à la parure est des boucles d'oreilles en argent froid qui capturent la lumière par éclats discrets. Je ne suis pas là pour lui plaire. Je suis là pour être un objet de désir si parfaitement taillé qu'il en oublie toute prudence.Il est déjà attablé, un verre de whisky ambré à la main. Son regard, luisant dans la pénombre, me déshabille lentement tandis que je m'approche.— Je commençais à croire que vous aviez eu plus peur que je ne le pensais, dit-il, sa voix un ronronnement
Angèle La voiture silencieuse qui me ramène chez moi est un sanctuaire roulant. Les lumières de la ville glissent sur la vitre comme des stries de néon. Je ferme les yeux, mais je ne vois pas la nuit. Je vois le regard de Néron, cette obscurité possessive. Je sens le contact brûlant de Rabis. Deux pôles opposés, deux dangers distincts que je dois équilibrer avec la précision d’un funambule.Mon téléphone vibre. Un message d’un numéro inconnu.Inconnu : « La pierre angulaire a une fissure. Regardez le dossier Helios. »Mon cœur fait un bond. C’est mon contact. La mystérieuse source qui m’a approchée il y a des semaines, me fournissant juste assez d’informations pour orienter mes recherches sans jamais se révéler. Helios. C’est l’une des trois cibles que j’ai identifiées aujourd’hui. Une société d’investissement familiale, l’un des actionnaires historiques les plus fidèles de l’empire Néron.Je range mon téléphone, le visage impassible. La "fissure". Je sais ce que cela signifie. Une f
Angèle Je lève les yeux, affichant une lassitude polie.— Je travaille, Rabis.Il s’assoit sans invitation, repoussant l’assiette de l’autre côté de la table. Son regard balaie ma tenue, s’attardant sur la ligne de ma jambe, sur le bouton dégrafé de mon chemisier.— Le projet secret de père ? chuchote-t-il en se penchant. Il te fait croire que tu es spéciale. Mais tu n’es qu’un jouet neuf. Il finira par se lasser.Je pose ma fourchette, soutenant son regard. Je laisse un peu de défi s’allumer dans mes yeux.— Et toi, Rabis ? Tu collectionnes les jouets ? Ou tu les casses juste pour passer le temps ?Il sourit, un vrai sourire, sauvage et authentique. Je viens de m’adresser à lui comme à un égal, en le provoquant. C’est ce qu’il veut.— Moi, je préfère les jeux où tout le monde participe. Surtout les plus… intéressants.Sa main, sous la table, effleure ma cheville. Le contact est brûlant, intrusif. Je ne recule pas. Je ne souris pas. Je maintiens son regard, permettant à ce contact d’







