Kaël
Je m'appelle Kaël Da Silva, et aujourd'hui est l'un des jours les plus mémorables de ma vie. Le jour de mon mariage avec Élina, la femme que j'aime de tout mon cœur. Depuis des mois, je vivais dans une anticipation fébrile, chaque détail de cette journée soigneusement planifié pour qu'il soit parfait. Mon enthousiasme était palpable, un feu intérieur qui ne demandait qu'à s'exprimer.
En me regardant dans le miroir ce matin, vêtu de mon costume noir taillé sur mesure, j'avais senti une bouffée de fierté et d'excitation. Mes cheveux bruns soigneusement coiffés, je me sentais prêt à entamer ce nouveau chapitre de ma vie. L'image que me renvoyait le miroir était celle d'un homme sûr de lui, prêt à s'engager dans cet avenir radieux que nous avions imaginé ensemble.
Hier soir, Élina et moi avions parlé au téléphone, une conversation qui résonnait encore dans ma tête. Elle avait ri en évoquant la cérémonie, sa voix douce et rassurante dissipant mes dernières inquiétudes. "Je n'arrive pas à croire que ce soit demain," avait-elle dit, son ton teinté d'une joie nerveuse. "Je suis tellement heureuse, Kaël. Je t'aime."
Ces mots avaient réchauffé mon cœur, chassant les ombres de doute qui parfois menaçaient de s'y installer. Nous avions parlé longuement, de tout et de rien, partageant des souvenirs, des projets d'avenir, et cette complicité qui était la nôtre. Elle avait mentionné sa robe, sans en dévoiler trop, souhaitant me surprendre. "Tu vas adorer," avait-elle murmuré, et j'avais ri, impatient de découvrir cette vision qu'elle préparait pour moi.
Pourtant, malgré cette conversation réconfortante, une petite voix intérieure continuait de murmurer des questions auxquelles je préférais ne pas prêter attention. Des absences récentes, des messages de plus en plus brefs... mais je les avais balayées du revers de la main, convaincu que rien ne pouvait troubler la magie de cette journée.
Et maintenant, ici, devant l'allée où elle devait bientôt apparaître, je ressentais cette impatience renaître, un frisson d'excitation qui me parcourait à l'idée de la voir enfin marcher vers moi, de l'accueillir comme ma femme.
Le silence s’installa peu à peu, enveloppant la scène dans une atmosphère presque sacrée. Même les murmures se firent respectueux, conscients de l'intensité du moment. Tout autour de moi brillait d’élégance : des arches blanches ornées d’orchidées raffinées, un tapis ivoire déroulé avec soin jusqu’à l’autel, des musiciens en costume accordant leurs instruments pour créer une ambiance parfaite. Pourtant, malgré cette beauté orchestrée, je me sentais ailleurs, mon esprit englué dans une attente anxieuse.
Mon costume sur-mesure, bleu nuit aux reflets discrets, épousait ma silhouette avec une précision presque militaire. Mes cheveux bruns, soigneusement coiffés, ajoutaient à mon apparence soignée. Mais c'était mon regard sombre, fixé sur l’allée vide, qui trahissait mon agitation intérieure. Une tension à peine dissimulée raidissait mes épaules, révélant l’incertitude que je m'efforçais de cacher.
Dans ma main droite, je tenais une petite boîte en velours que je n’avais pas encore ouverte. J'aimais sentir sous mes doigts la forme lisse et familière de la bague qu’elle contenait. Une bague ancienne, en or pâle, surmontée d’un saphir bleu nuit. Ce bijou, chargé d'histoire, appartenait à ma mère défunte. Je l’avais gardé toutes ces années, attendant le bon moment, la bonne personne.
Élina.
Je voulais croire en elle, malgré tout. Malgré la froideur de ses messages ces derniers jours, qui avaient semé le doute. Malgré ses absences répétées qui avaient creusé un fossé entre nous. Malgré les doutes que j’avais enfouis sous des excuses raisonnables, espérant préserver la vision de notre avenir ensemble.
« Elle viendra, » murmurai-je pour moi-même, comme un mantra, une prière silencieuse à laquelle je m'accrochais désespérément.
Les invités m’observaient, certains attendris par l’émotion du moment, d’autres manifestant une impatience croissante. J’aperçus, à l’extrémité d’une rangée, le regard inquiet de ma sœur aînée, cherchant à me rassurer de loin. Un de mes oncles consultait discrètement sa montre, l’avancée du temps devenant un poids de plus en plus lourd à porter.
Lucas, mon ami de toujours, s'approcha doucement, percevant l'angoisse que je tentais de masquer. Son regard était empli de sollicitude, mais aussi d'une inquiétude qu'il ne pouvait cacher.
« Kaël, » murmura-t-il à voix basse, « est-ce qu'elle va venir ? »
Je tournai lentement la tête vers lui, et je savais que mes yeux devaient trahir l'angoisse que je m'efforçais de contenir. La question, bien que posée avec tact, avait touché une corde sensible. Je pouvais sentir le poids de la boîte en velours dans ma main, plus écrasant que jamais.
« Je... je ne sais pas, Lucas, » répondis-je finalement, ma voix à peine un murmure, presque emportée par le vent. « Elle devrait être là… mais... »
Les mots restaient en suspens, incapables de capturer le tourbillon d'émotions qui menaçait de me submerger. Lucas hocha la tête, comprenant sans qu'il soit nécessaire de tout dire. Son regard était plein de compassion, et je lui en étais reconnaissant. Dans ce moment de vulnérabilité, sa présence était un ancrage bienvenu.
Je reportai mon attention sur l'allée vide, espérant toujours voir la silhouette d'Élina apparaître, espérant que ce moment d'incertitude ne soit rien de plus qu'un mauvais rêve. Mais l'angoisse persistait, tapie dans l'ombre, menaçant de m'engloutir à chaque instant qui passait sans elle.
Et la bague dans ma main me semblait soudain plus lourde que jamais, un fardeau de promesses et d’espoirs qui menaçait de s’effondrer sous le poids de l'absence.
Certains convives jetaient des coups d’œil curieux vers l’allée encore vide, espérant apercevoir la mariée tant attendue. D’autres, moins discrets, consultaient leur téléphone ou murmuraient à voix basse, scrutant les visages de la famille Da Silva à la recherche d'indices. La situation semblait vaciller dangereusement, oscillant entre conte de fées et tragédie mondaine.
Les murmures se faisaient plus audibles, des fragments de conversations flottant dans l'air :
« Tu crois qu'elle a changé d'avis ? » chuchota une femme au chapeau flamboyant, son regard pointé vers l’autel.
« On dirait bien qu’il se passe quelque chose... » répondit un homme à ses côtés, étudiant mon visage à la recherche de réponses.
« Je parie que les médias vont en faire toute une histoire, » ajouta un autre invité, son téléphone à la main, prêt à capturer le moindre développement.
Les caméras, elles, ne rataient rien. Des objectifs s’attardaient sur moi, capturant chaque détail de mon visage figé, de mes mains crispées, de la bague que je tournais maintenant nerveusement entre mes doigts. Les médias people présents flairaient un événement qui basculait, prêt à devenir un sujet brûlant de discussion.
Ma mère, une femme à la prestance froide et calculée, ne disait rien. Assise au premier rang, elle gardait les bras croisés et le menton haut, ses yeux d’un bleu métallique scrutant l’allée comme si elle pouvait y faire apparaître Élina par la seule force de sa volonté. À ses côtés, mon père – le patriarche Da Silva – feignait l’indifférence, mais ses doigts tapaient nerveusement l’accoudoir de son fauteuil, trahissant son agitation intérieure.
Le prêtre, vêtu d'une aube immaculée, échangea un regard hésitant avec un assistant, tenant son missel contre lui comme un bouclier. Ce n’était pas la première fois qu’il mariait des héritiers de haut rang, mais c’était la première fois qu’une mariée manquait autant à l’appel, rendant la scène presque irréelle.
Moi, je ne bougeais presque plus. Mes yeux allaient de ma montre à l’arche fleurie, puis à la montre à nouveau. Chaque seconde qui passait sonnait comme un avertissement, une confirmation silencieuse que quelque chose n'allait pas.
« Elle est en retard… mais elle viendra. Elle doit venir. » Je me répétais cette phrase en boucle, un mantra désespéré destiné à me convaincre, à étouffer les voix dans ma tête. Celles qui me rappelaient qu’Élina n’avait pas répondu à mon dernier message. Celles qui chuchotaient que l’amour ne se commande pas, ne se tient pas à l’heure.
La tension montait, lente, sourde, implacable. Et tout le monde le sentait : quelque chose n’allait pas. La scène, si soigneusement préparée, menaçait de se transformer en un spectacle d'une autre nature, où le rêve risquait de se briser sous le poids de la réalité.
KaëlJe m'appelle Kaël Da Silva, et aujourd'hui est l'un des jours les plus mémorables de ma vie. Le jour de mon mariage avec Élina, la femme que j'aime de tout mon cœur. Depuis des mois, je vivais dans une anticipation fébrile, chaque détail de cette journée soigneusement planifié pour qu'il soit parfait. Mon enthousiasme était palpable, un feu intérieur qui ne demandait qu'à s'exprimer.En me regardant dans le miroir ce matin, vêtu de mon costume noir taillé sur mesure, j'avais senti une bouffée de fierté et d'excitation. Mes cheveux bruns soigneusement coiffés, je me sentais prêt à entamer ce nouveau chapitre de ma vie. L'image que me renvoyait le miroir était celle d'un homme sûr de lui, prêt à s'engager dans cet avenir radieux que nous avions imaginé ensemble.Hier soir, Élina et moi avions parlé au téléphone, une conversation qui résonnait encore dans ma tête. Elle avait ri en évoquant la cérémonie, sa voix douce et rassurante dissipant mes dernières inquiétudes. "Je n'arrive pa
Le parc est un petit coin de verdure au milieu de la ville, entouré d’arbres aux feuilles qui dansent doucement sous la brise. Leur murmure est apaisant, une douce mélodie qui contraste avec le tumulte de la vie urbaine qui nous entoure.Samira court devant moi, son ballon rouge serré contre elle comme un trésor. Ses boucles sautillent au rythme de ses pas, et ses éclats de rire s’élèvent dans l’air chaud du début d’après-midi, résonnant comme une musique joyeuse et insouciante. Le soleil, filtrant à travers les branches, dessine des motifs mouvants sur le sol, créant un jeu de lumière auquel elle se mêle avec une grâce enfantine.Je la regarde s’élancer, insouciante, libre, et une chaleur douce m’envahit. C'est comme si, pendant un instant, tout le poids du monde s'évanouissait, laissant place à une légèreté oubliée.Rien que pour ce rire, je me dis, je peux supporter le poids de ce monde. Chaque sourire de Samira est une victoire sur l’adversité, une lueur dans notre quotidien souve
Le soleil tape fort, même si c’est à peine le début de l’après-midi. La chaleur est écrasante, mais Samira ne s'en soucie pas. Elle glisse sa petite main dans la mienne, sa peau douce contrastant avec la rugosité de la mienne, marquée par les épreuves. Elle sautille à côté de moi, légère malgré ses sandales trop usées qui laissent entrevoir ses orteils poussiéreux, et la faim qui creuse nos ventres depuis trop longtemps.On marche, sans but précis. Seulement vers l’air, vers la lumière, vers l’idée de quelque chose d’un peu meilleur. Chaque pas est un acte de résistance, un défi lancé à la misère qui nous poursuit.Les rues sont pleines de monde. Des enfants courent, bien habillés, les joues pleines de crème glacée. Leurs rires cristallins résonnent comme des notes de musique dans l’air chaud. Des familles rient sur les terrasses, trinquent avec des verres pleins, s’éventent avec des billets comme des éventails de luxe. Je les observe, un pincement au cœur, consciente que leur réalité
Le silence de la faim n’est pas un vrai silence. C’est un grondement sourd, continu, qui vibre dans la cage thoracique, remonte dans la gorge, étouffe les pensées. Un genre de bourdonnement cruel qui t’empêche même de dormir. Je suis allongée sur ce vieux matelas sans mousse, le dos en feu contre les ressorts rouillés. À côté de moi, Samira dort encore. Du moins, je crois. Elle bouge parfois, pousse de petits gémissements, serre les genoux contre son ventre vide. Même dans son sommeil, la faim la poursuit.Il fait chaud. Une chaleur lourde, stagnante, qui colle à la peau. Il n’y a plus d’électricité depuis trois semaines. Plus d’eau courante non plus. La citerne est vide et les voisins ont changé leur cadenas. J’ai trop demandé. Trop de fois. Je me redresse lentement, les muscles engourdis. Ma tête tourne. Deux jours. Deux jours qu’on n’a rien avalé. Je n’ai plus de salive, plus d’énergie. Même penser me fatigue.Je baisse les yeux vers Samira. Cinq ans. Elle a les cheveux emmêlés, le