DanteLe vent cogne contre la carrosserie.Une tempête sans pluie. Juste de l’électricité dans l’air, comme une menace suspendue.Le genre de nuit où le monde retient son souffle. Où même les ombres hésitent à respirer.Je roule sans parler. Les pneus tracent leur route sur l’asphalte trempé, une litanie de frottements sourds et réguliers.Les phares ouvrent un tunnel pâle dans l’obscurité, un couloir aveugle vers ce qu’on ne peut plus éviter.À côté de moi, Elena est immobile.Pas une parole. Pas un mouvement.Mais elle vibre.Comme une corde tendue au bord de la rupture.Ses yeux sont fixés devant, mais elle ne regarde pas la route.Elle regarde ailleurs.Dans le passé.Dans un souvenir qui colle à la peau, qui infecte encore chaque battement de cœur.Elle murmure un nom. Presque sans voix. Comme une blessure qui ne guérit pas.Elena— Arrête-toi ici.DanteJe pile.La voiture glisse un peu. Le moteur tousse, proteste.Elle sort avant même que je coupe le contact.On est dans une im
DanteLe matin ne s’est pas levé.Je l’ai forcé à s’agenouiller.Le soleil peut bien crever à l’horizon, je ne vois plus que ses blessures.Et cette fureur, immense, silencieuse, qui n’a plus de cage.Je suis assis sur le bord du lit, le dos voûté sous le poids de ce qui s’en vient.Elena est blottie contre moi. Son corps s’est réfugié dans le mien sans le vouloir, par réflexe, par instinct. Mais son âme, elle, est ailleurs.Je le sens à la tension de ses muscles, à ce souffle qui ne se relâche jamais entièrement.Comme si le sommeil n’était plus qu’un mirage qu’elle feint de toucher.Je la garde contre moi. Parce que c’est tout ce que je peux faire pour l’instant.La retenir.La contenir.L’empêcher d’exploser.Je pense à ceux qui lui ont fait ça. À ceux qui ont pensé qu’elle plierait.À ceux qui l’ont regardée se débattre sans lever un doigt.Ils ont fait une erreur. Une seule.Ils ont oublié qu’elle m’appartient.Et moi, je ne pardonne pas.Je l’ai protégée autant que j’ai pu. Mais
ElenaJe ne savais pas qu’on pouvait survivre à ça.À l’attente. Au silence. À la morsure du temps qui se tord autour de tes poignets comme des chaînes invisibles.Ils m’ont arrachée à lui. Brutalement. Comme on arrache un cœur d’une poitrine encore vivante. Ils ont cru que me séparer de lui suffirait à me briser. Que son absence creuserait un vide si profond qu’il m’engloutirait. Mais on ne détruit pas une femme qui a aimé un homme comme Dante.On la retient. On la frappe. On la mutile à l’intérieur. Mais on ne l’éteint pas.J’ai compté les heures. Les coups. Les regards qui me disséquaient. Les menaces, crachées comme du poison. Le goût du sang dans ma bouche. Le froid qui s’infiltrait jusque dans mes os.J’ai encaissé. Pas pour moi. Pour lui.Parce que je savais. Je le connaissais.Je savais qu’il viendrait. Qu’il traverserait l’enfer pour me retrouver. Qu’il brûlerait les murs, les hommes, le ciel s’il le fallait. Et je savais aussi que, quand il arriverait, il ne parlerait pas.D
DanteJe sens encore son parfum sur ma peau.Fugace. Insupportablement doux. Une note de miel, de nerfs à vif, de lumière volée. Chaque inspiration me déchire la poitrine. Chaque battement de cœur me rappelle qu’elle n’est pas là. Qu’ils l’ont prise. Qu’elle a disparu sans un mot, sans un cri. Et que moi… je suis resté.Pas pour longtemps.Je suis silence.Je suis tempête.Et je suis en train de les traquer.La ville s’ouvre devant moi comme un corps que je vais éventrer. Quartier après quartier. Ruelle après ruelle. Il n’y a pas de limites. Pas de règles. Plus maintenant. Je ne cherche pas des réponses. Je cherche des coupables. Des têtes à faire tomber. Des noms à rayer un par un. Des bouches à faire parler.Je ne pense plus. Je calcule.Je ne pleure pas. Je tue.La nuit est mon alliée. Elle me couvre, m’enveloppe, m’efface. Le feu dans mes veines éclaire chacun de mes gestes. Chaque pas me rapproche d’eux. Chaque seconde sans elle est une agonie. Les murs transpirent la peur. Les t
ElenaJ’ai mal.Pas cette douleur vive et brutale qui fait hurler. Non. Une douleur sourde, rampante. Celle qui s’infiltre entre les côtes, qui pulse dans les tempes, qui engourdit les bras et brouille la pensée. Une douleur qui s’installe, familière, presque intime. Comme si mon corps reconnaissait cette souffrance. Comme si elle avait toujours été là, tapie sous la surface, attendant son heure.Je suis allongée sur un matelas rêche, posé à même le sol d’une pièce sans fenêtres. Le plafond est bas. Les murs en béton brut suintent l’humidité. Une lumière blafarde pend du plafond, vacillante, comme si elle hésitait à rester allumée ou s’éteindre définitivement. Elle grésille par intermittence. Chaque clignement éclaire un peu plus l’horreur tranquille de cet endroit.Il fait froid.Pas seulement physiquement. Un froid plus profond, plus insidieux. Celui qui vient du regard des hommes qui m’ont amenée ici. Celui qui plane dans l’air, dans les silences, dans le métal des chaînes qu’ils o
DanteJe me réveille en sursaut.Le silence est trop lourd. L’obscurité trop calme. L’air semble figé, presque étranger. Mon corps me signale aussitôt qu’il manque quelque chose. Quelqu’un.Je tends la main. Le lit est vide.Ses draps sont encore tièdes, froissés comme si elle venait de s’en extraire. Mais elle n’est plus là. L’absence me frappe en pleine poitrine. Elle est brutale, glacée. Comme une lame invisible qu’on enfonce lentement entre mes côtes.Je me redresse d’un bond, le cœur déjà cabré.« Ella ? »Ma voix est rauque, endormie, mais déjà tremblante. J’appelle encore. Plus fort. Comme si la forcer à m’entendre allait suffire à la faire apparaître.« Ella ! »Aucune réponse.Je traverse l’appartement à grandes enjambées. Chaque pièce me renvoie son vide comme une gifle. Le salon est désert. La salle de bain silencieuse. La cuisine, muette, immobile. Je pousse la porte du placard, du débarras. Je fais le tour deux fois, trois fois, jusqu’à ce que l’absurdité devienne certitu
DanteOn marche longtemps sans parler.Le bruit de nos pas résonne sur l’asphalte comme des échos de tout ce qu’on n’ose plus dire. Le vent est glacial, mais je n’y pense pas. Ses doigts sont toujours dans les miens, noués comme une prière qu’on murmure les yeux fermés. Et je me dis que si je la serre trop fort, elle pourrait se briser. Mais si je la lâche, elle pourrait s’effondrer.Ses pas sont hésitants, comme si chaque mètre franchi était une trahison contre un passé encore tiède. Un passé qu’elle n’a pas tout à fait enterré. Je le sens dans sa main. Dans ses silences. Dans ses soupirs.Je ne parle pas. Pas encore.Je suis là. C’est tout.Présent. Solide.Ancré comme un rivage que la tempête ne pourra plus effacer.Quand elle s’arrête devant chez moi, elle ne dit rien. Elle me regarde à peine. Mais je sais.Je sais qu’elle n’a nulle part d’autre où aller ce soir. Nulle part où déposer ce chagrin que même les mots ne peuvent contenir.Elle entre sans demander.Je referme la porte d
DanteElle sort.Et je sens sa main trembler encore dans la mienne, même lorsqu’elle n’y est plus.Comme si sa présence avait laissé une empreinte brûlante dans ma paume.Une brûlure douce. Inoubliable. Qui palpite encore, comme un écho.Je reste figé.Le souffle suspendu, le cœur suspendu, le monde suspendu.Elle a dit les mots.Ceux que j’attendais.Ceux que je n’osais plus espérer.Mais ce n’est pas une victoire.Ce n’est pas une fin heureuse.C’est une cassure nette.Un frisson de lame entre ce que nous étions et ce que nous devenons.Je me tourne lentement vers Lorenzo.Il est resté immobile.Statue figée. Cœur en miettes.Il regarde la porte comme si elle allait s’ouvrir à nouveau.Comme si le destin pouvait avoir la décence d’offrir une seconde chance.Ses épaules s’affaissent.Son visage reste sec, figé dans un silence violent.Et moi, je suis là, entre deux ruines.Un homme qui espère, et un autre qui chute.Et au milieu, elle.Elle, qui ne nous appartient plus à aucun des de
ElenaIls sont là, tous les deux.Face à moi.Deux visages, deux vérités, deux amours impossibles.Et moi, au milieu, comme un cri retenu trop longtemps.Dante.Lorenzo.Celui qui m’a attendue.Celui que j’ai fui.Le présent et le passé se confrontent sans merci.Et je ne sais plus quelle part de moi mérite d’être sauvée.Je les regarde, figée.Comme si le temps avait décidé de me juger.L’un porte la douleur de l’absence.L’autre, la fidélité de l’attente.Et moi…Je suis cette fille qui n’a pas su rester.Ni partir vraiment.---ElenaJe croyais pouvoir oublier.Tourner la page.Faire semblant.Mais on ne se libère pas de ses silences.Ils s’incrustent dans la peau, dans la gorge, dans le cœur.Et les mots qu’ils prononcent me déchirent.Parce qu’ils disent tous les deux qu’ils m’aiment.À leur manière.Avec cette sincérité qui fait mal.Je me suis enfuie, oui.Le jour du mariage.Sans un mot.Sans un regard.Parce que j’ai eu peur.Peur de Lorenzo.Peur de ce que je ressentais.Peu