ELENAL’appartement est sombre quand on entre.Pas parce qu’il est vide.Parce qu’il attend.Il y a cette tension particulière, ce souffle suspendu dans les murs, comme si l’espace lui-même retenait son souffle.Comme si chaque meuble, chaque recoin, savait ce qui était sur le point d’arriver.Quelque chose de trop grand pour rester dans les mots.Je dépose ma veste sur le dossier du canapé.Chaque geste est ralenti, pesant, comme si j’évoluais dans l’eau.Mes doigts tremblent.Pas de peur.De trop de choses.Du trop-plein.Dante referme la porte derrière nous.Un déclic étouffé.Et le silence devient total. Dense.Pas un mot.Pas un pas.Mais je sens son regard dans mon dos.Il ne me touche pas.Mais je le sens, déjà, contre ma peau.Je marche lentement vers la baie vitrée, happée par la lumière distante de la ville.Un monde qui tourne sans nous.Qui ignore qu’ici, quelque chose se défait.Et se refait.Je tends la main, la pose contre la vitre froide.La morsure du froid m’ancre.M
DANTEJe l’attends dans le couloir.Arme baissée. Mâchoires serrées.Les murs vibrent encore du passage des agents.Le verrou a claqué derrière elle.Et moi, je suis là.À dix mètres de cette foutue porte.Incapable de bouger.Je l’ai entendue parler.Chaque mot.Chaque silence.Chaque souffle.Drakov a laissé l’audio activé.Pas par erreur.Il voulait que je sache.Il voulait que nous sachions.Il voulait qu’on l’écoute, qu’on entende ce qu’elle portait en elle depuis toutes ces années.Qu’on la regarde devenir autre chose.Quelque chose de plus grand, de plus dur — et de plus vrai.Elle est sortie du silence comme on sort d’un tombeau.Et elle a parlé.Pas pour se venger.Pas pour tuer.Mais pour se libérer.Et bordel…Je ne sais pas si je dois en être fier.Ou terrifié.Parce qu’elle est allée là où personne ne revient intact.Et elle n’en est pas ressortie brisée.Elle est ressortie souveraine.C’est peut-être ça, le pire.Le plus beau.Le plus inquiétant.La porte s’ouvre dans un
ELENAJe reste droite, l’arme levée.Il ne bouge pas.Pas un geste. Pas un mot supplémentaire.Son calme n’est pas celui de l’innocence. C’est celui des bourreaux qui ont perdu le goût du sang, mais pas le plaisir de dominer.Il me regarde. Comme on regarde un tableau qu’on a peint jadis.Un mélange de fascination et d’orgueil, souillé par une pointe de regret peut-être… ou d’envie.Je suis debout. Je suis armée.Et je suis vivante.— Tu peux tirer si tu veux, murmure-t-il enfin.Sa voix est basse, feutrée, presque rassurante.C’est toujours comme ça qu’il faisait.Il ne criait jamais.Il murmurait.Et dans ses murmures, il déposait la peur.Je ne réponds pas tout de suite.Je le fixe. J’analyse la moindre contraction de son visage, la moindre pulsation dans sa tempe.Ce n’est pas l’homme qui m’effraie.C’est ce qu’il a représenté. Ce qu’il a semé. Ce qu’il a sculpté, en moi, et dans tant d’autres.— Tais-toi.Ma voix fend le silence comme une lame.Juste une vérité nue, froide.Je n’
ELENALe silence ici n’est pas absence.C’est un piège. Un avertissement. Une respiration suspendue.Une lame posée à la verticale de la gorge.Chaque souffle semble appartenir à un autre temps.Chaque ombre ressemble à un souvenir que l’on aurait préféré enterrer.Chaque pas menace de réveiller ce qui fut scellé à coups de cris et de faux remords.J’avance.Derrière Dante.À trois pas. Ni plus, ni moins.Assez près pour couvrir ses arrières.Assez loin pour disparaître si tout bascule.Il marche comme on opère :avec une précision chirurgicale, un calme étudié, une tension qui ne dit pas son nom.On dirait qu’il danse avec les angles morts.On dirait qu’il a grandi dans des couloirs comme celui-là, nourri par la peur des autres, immunisé contre ses propres failles.Mais moi…Moi je ne fais que revenir.Je ne suis pas une ombre.Je suis une cicatrice.Je sens les murs.Je les sens respirer, usés, poisseux, transpirants d’un passé qui n’a jamais eu le bon goût de mourir.Le béton trans
DRAKOV02h21 , Périmètre nord-est : Secteur industriel abandonnéLe vent râpe les tôles rouillées dans un sifflement strident, comme un avertissement que personne n’écoutera.Tout est figé. Même les rats semblent s’être tus, cachés dans quelque recoin trop sombre pour être humain.Nous sommes en place depuis trente-sept minutes.Une éternité, quand le moindre souffle peut devenir une trahison.Pas un mouvement. Pas une source lumineuse.Juste l’attente.Le vide.Le calme apparent d’un sol qui s’apprête à s’effondrer.Et nous, nous attendons , non pas par patience, mais parce que c’est dans cette lenteur tendue que nous devenons prédateurs.C’est là, dans l’inaction apparente, que les failles se dessinent.Là que les masques tombent.Là que les faibles révèlent leur cœur tremblant.Je lève la main.L’escouade se disperse aussitôt, sans un bruit, sans un mot, avalée par l’obscurité comme si elle n’avait jamais existé.Pas une vibration, pas même un souffle.Rien que l’ombre qui avance.
COMMANDANT VELASQUEZJe regarde les images en boucle.Les explosions.Le feu.Le sang.Et ce silence, après.Le silence d’un système qui se fige.Qui se rend compte qu’il n’est plus seul à pouvoir frapper.Ils ont osé.Trois relais tactiques.Un dépôt d’armement.Quatre convois interceptés.Des blessés. Deux morts.Et surtout… une heure de vide.Soixante putains de minutes où nos réseaux internes ont été paralysés.Pas de transmission. Pas de relais. Pas de contrôle.C’est plus qu’un sabotage.C’est une gifle.Je fixe l’écran noir. Puis le suivant. Puis le troisième.Et je les revois : ces silhouettes masquées.Ces visages anonymes qui frappent avec la précision d’une armée.Mais qui, dans leurs gestes, trahissent autre chose :Une faim. Une cause. Une colère que même nos drones n’ont pas su prévoir.Je me redresse lentement.J’écrase ma cigarette dans le cendrier de fer, tordu par d’anciens accès de rage.Le goût amer me colle au palais. Le goût de l’orgueil blessé. Le goût d’un éche