All Chapters of LA FAVORITE DU ROI : Chapter 41 - Chapter 50

Le RoiJe sens la pierre rugueuse sous mes genoux et pourtant je n’y suis pas. Je suis dans un tunnel fait de voix, de métal, de sang qui déborde en miroir. Le vin sur la pierre fume comme une blessure fraîche. Je sens son goût dans ma bouche, d’un fruit trop mûr. Selia respire encore, mais chaque respiration est plus faible, comme si on tirait sur un fil trop fin.— Apportez des herbes ! crie quelqu’un. Un médecin ! hurle un autre.Les ordres fusent autour de moi comme des pierres, mais aucun ne touche l’essentiel : je n’ai pas de savoir pour retenir ce qui s’en va. Je n’ai gouverné que des corps et des lois. Jamais un cœur qui s’éteint.Je lève Selia contre moi et son poids est une accusation. Son parfum, ce mélange de jasmin et de soie, me déchire comme une vérité. Je colle mon oreille à sa poitrine, je chasse la poussière, j’écoute. Le battement est là, mais paresseux, comme un cheval qui s’éteint. Je donne des ordres que je voudrais écouter : « Respire ! Maintenant ! » Mais l’ord

Le RoiJe le sens : la cour s’est figée dans un silence coupable. Les murmures s’arrêtent quand leurs regards convergent vers moi ; certains baissent les yeux, d’autres pleurent en cachette. Le masque d’autorité me colle encore au visage, mais il ne tient plus. Il glisse, il craque. Je le retire d’un geste et je reste nu devant eux, presque honteux d’avoir été puissant. Ils voient un roi qui pleure. Ils n’en ont jamais vu ; je ne l’ai jamais été non plus, auparavant.Je pense à Selia dans les moments les plus simples : le sourire qu’elle a jeté à un pupitre, la façon dont elle touchait un livre comme si chaque page était une main qu’elle cajolait, la manière dont elle m’a nommé une fois, à voix basse, « toi ». Ces petites choses me reviennent comme des couteaux qui se plantent. Comment ai-je pu croire que le monde entier pouvait être réglé par prononcer des lois, par promesses ? Comment ai-je pu imaginer que l’amour n’exigerait pas de moi un autre savoir, celui du soin et de la vigila

CalandraL’aube s’infiltre dans mes appartements comme une intruse, sournoise, arrogante. Les rideaux tirés n’ont pas suffi à la repousser : une lumière blafarde s’insinue, trace des sillons pâles sur mes murs dorés, fait luire d’un éclat malade les moulures et les miroirs. Tout est déformé, grotesque, comme après une nuit de bacchanale.Les coupes renversées brillent encore de leur liqueur rubis, collante et séchée. Les assiettes, gorgées de fruits éventrés et de viandes refroidies, empestent d’une lourde odeur sucrée qui m’écœure désormais. Ce parfum de victoire que j’ai voulu exhaler partout, cette débauche de mets rares et de vins précieux, se retourne contre moi à l’heure blême : tout cela me paraît rance, trop sucré, trop gras, trop plein.Je m’effondre sur les coussins, robe défaite, cheveux emmêlés, la gorge brûlée par l’excès. Mes doigts traînent jusqu’à la dernière coupe vide, encore poisseuse de vin rouge. Je l’ai vidée il y a à peine quelques instants, et pourtant elle me

CalandraLa nouvelle est tombée comme un fruit mûr qu’on cueille enfin.Selia est morte ! Morte !Je l’ai répété à voix basse, comme on goûte un mot sucré, en le laissant rouler contre ma langue, en savourant chaque syllabe. Puis le rire a jailli, clair, éclatant, incontrôlable. Un rire qui a traversé mes appartements, rebondissant sur les murs tachés de vin, sur les draps froissés, sur les coupes renversées. Tout autour de moi porte encore la marque de la débauche, de la nuit de chaos. Mais qu’importe. Rien n’existe plus que cette vérité : Selia n’est plus.Je me lève, titubante. Mes jambes vacillent mais mon cœur vole. L’aube blafarde s’infiltre par les rideaux déchirés. Hier encore, je la maudissais , lumière cruelle, qui me rappelait chaque fois mes échecs, mes chaînes, mon attente. Mais aujourd’hui, elle est mon alliée. Elle éclaire ma victoire. Elle révèle mon triomphe.J’ouvre les bras, ivre, comme une prêtresse qui reçoit l’offrande de son dieu.— Enfin… il est à moi.Je le vo

SeliaD’abord, il n’y a rien.Rien qu’une blancheur sans fin. Une mer silencieuse, sans rive, sans ciel.Un lieu sans temps, où tout se tient immobile, suspendu dans une attente infinie.Je flotte. Ou peut-être je tombe. Je ne sais pas. Le monde n’a plus de direction, plus de poids.Tout est calme. Trop calme.Un calme de fin, ou de commencement.Et dans ce silence si dense qu’il en devient presque vivant, une vibration. Infime.Une onde.Un frisson.Quelque chose qui cherche à travers la brume, comme un souvenir de chaleur, un appel d’avant la nuit.Puis une voix.Faible, lointaine, déformée, comme venue d’un autre monde.Elle perce la mer, la pierre, le néant.Elle dit mon nom.Une fois. Puis encore.Et chaque syllabe est une caresse et une déchirure à la fois.Je la reconnais.Sa voix.Rauque, brisée, presque méconnaissable, mais c’est bien lui.Le Roi.Mon Roi.Alors quelque chose bouge, quelque chose respire au fond de moi , un fil ténu, une étincelle qu’un souffle ranime, un ord