Home / Romance / BAISE-MOI ENCORE 2 / Chapitre 3 — Les Cendres Sous la Peau

Share

Chapitre 3 — Les Cendres Sous la Peau

Author: Déesse
last update Last Updated: 2025-10-27 00:49:41

Grâce

Je n’ai presque pas dormi.

Peut-être une heure. Deux tout au plus.

Le reste du temps, je suis restée là, les yeux ouverts sur l’obscurité, avec cette sensation d’étranglement au creux de la gorge.

Comme si mes pensées avaient pris toute la place. Comme si mon propre corps était devenu trop étroit pour les contenir.

Mon esprit tourne en boucle.

Encore.

Encore.

Encore.

Les mots de Florent.

Son regard.

Ce moment suspendu où il a frôlé ma peau ou peut-être ma volonté.

Ce pas que j’ai fait en arrière, le seul geste de survie qui me reste.

Je l’ai repoussé, oui. Mais je sais que ce n’était pas une victoire. C’était juste un sursis.

Et ce sursis va durer quatre mois.

C’est ça, la nouvelle réalité :

quatre mois de cohabitation.

Noura et Florent ont quitté leur appartement en travaux, et ils vivent ici, avec nous, jusqu’à la fin de la rénovation.

C’est temporaire.

Mais ce "temporaire" me colle à la peau comme un piège.

Quatre mois à partager les pièces, les repas, les couloirs.

Quatre mois à croiser ses yeux, à entendre sa voix dans la pièce d’à côté, à guetter inconsciemment le son de ses pas dans l’escalier.

Quatre mois à faire semblant.

Je me lève comme on se dégage d’un cauchemar trop dense.

Lentement. En morceaux.

Sous la douche, l’eau est tiède. Inutile. Elle glisse sur ma peau sans me laver de rien.

Je voudrais qu’elle efface la veille. Qu’elle m’arrache cette brûlure qui palpite dans le creux de mon cou, là où il a presque posé les lèvres.

Mais il n’y a rien à effacer. Rien n’a été "fait".

Et pourtant… tout a basculé.

Je m’habille vite. Un pull ample, gris pâle. Un pantalon fluide.

Je ne veux pas qu’on me voie aujourd’hui.

Je ne veux pas qu’il me voie.

Quand je descends, la maison est déjà éveillée.

Le parfum du café m’agresse.

Je sais que c’est lui qui l’a préparé. Il le fait tous les matins, même quand ce n’est pas chez lui. C’est presque sa façon de dire "je suis là".

Et ça me rend folle.

Et puis j’entends sa voix. Pas celle de Florent. Celle de Noura.

Claire. Rieuse. Pleine de vie.

— Tu dors tard aujourd’hui ! Je croyais que tu étais déjà sortie !

Elle est là, assise dans la cuisine, les cheveux encore humides, une tasse dans les mains.

Sa beauté naturelle, sa joie, sa désinvolture me frappent.

Elle est heureuse d’être ici. Elle aime cette maison, cette ambiance.

Elle se sent chez elle.

Et moi… je suis étrangère à moi-même.

— J’ai mal dormi, je réponds. C’est vrai. Mais pas pour les raisons qu’elle croit.

Je m’assieds. Je prends ma propre tasse. Mes doigts tremblent légèrement.

Noura parle. Elle raconte ses rêves, une série qu’elle a commencée, les couleurs qu’elle imagine pour leur futur salon.

Elle me montre des photos sur son téléphone.

Elle rit. Elle rayonne. Elle croit en l’avenir.

Et moi, je suis incapable de suivre.

Florent n’est pas dans la pièce.

Mais je sens qu’il est là.

Dans le couloir. À l’étage. Ou dans ma tête, peu importe.

Il est là.

Il ne me faut pas ses mots. Il suffit de son absence pour qu’il hante déjà l’air.

Je bois une gorgée de thé. Il est tiède, amer. Je me surprends à me demander si c’est lui qui l’a préparé.

Et cette pensée seule me donne envie de pleurer.

— Tu es sûre que ça va ? demande Noura. Son regard se fait plus attentif.

Je me fige.

Une fraction de seconde. C’est tout ce qu’il faut pour que la panique me saisisse.

Est-ce qu’elle sent quelque chose ?

Est-ce que mon silence trahit ? Est-ce que ma main tremble trop ? Mes yeux fuient trop vite ?

Je relève la tête. Je souris.

— Juste un peu fatiguée, je dis. Rien de grave.

Elle hoche la tête. Elle me croit. Ou elle fait semblant.

Elle retourne à son téléphone, me laissant dans le silence.

Mais ce silence-là est terrible.

Parce qu’il est plein de ce que je ne dis pas.

Je n’ai pas embrassé Florent.

Il ne m’a pas touchée.

Mais je le porte en moi.

Pas dans le corps pas encore.

Mais dans mes pensées. Dans cette attente trouble qui m’écœure autant qu’elle m’aimante.

Je sais ce qui m’attend, si je ne fuis pas.

Je sais que chaque jour sera plus difficile que le précédent.

Chaque repas partagé. Chaque regard évité. Chaque contact effleuré dans un couloir trop étroit.

Et je sais surtout… que si je cède, c’est Noura que je détruirai.

Elle est là. Pleine de confiance.

Elle me parle, m’offre sa tendresse sans méfiance.

Et moi, je suis en train de devenir celle qui pourrait lui briser le cœur.

Alors je me lève. Je m’excuse. Je prétexte une balade, une course, un besoin d’air.

— Tu veux que je vienne avec toi ? propose-t-elle, si naturelle, si sincère.

Je secoue la tête trop vite.

— Non, j’ai besoin d’être un peu seule. Ça ira.

Elle ne pose pas de question.

Elle me fait confiance.

Et c’est ça, le plus douloureux.

Je sors.

Je respire fort.

Je marche vite. Trop vite. Comme si fuir à pied pouvait me libérer de ce que j’ai laissé germer.

Le vent me gifle, m’arrache les larmes que je refuse d’avouer.

Mais rien n’efface ce qu’il a réveillé.

Rien ne m’éloigne de cette vérité nue :

je suis en train de brûler de l’intérieur.

Et j’ai peur.

Peur de ne plus savoir comment m’arrêter.

Peur que quatre mois dans la même maison… soient un compte à rebours, pas une épreuve.

Continue to read this book for free
Scan code to download App

Latest chapter

  • BAISE-MOI ENCORE 2   Chapitre 13 — Sous le regard voilé

    FlorentLe couloir du bureau s’étire devant moi, blanc, glacial, et silencieux comme une salle d’attente avant le verdict.Mes pas résonnent, trop forts, trop lourds pour cette atmosphère figée.Je pousse la porte de son bureau, ce sanctuaire qu’elle a érigé entre nous.Elle est là, absorbée dans ses dossiers, fronçant les sourcils, le front plissé.Un éclat de normalité dans un océan de chaos.Je reste figé, la détaillant.Elle ne m’a pas vu entrer.Dans ses épaules, je lis la tension d’un combat intérieur.Elle s’attend à un duel.Puis ses yeux s’élèvent, tombent sur moi.Surprise rapide, puis un sourire sec, presque une grimace.Un masque poli, tranchant, qu’elle porte comme une armure.— Florent.Son prénom tombe comme une accusation glaciale.Je referme la porte sans bruit, mon regard brûlant cherchant le sien.— Je voulais juste voir comment tu allais.Elle lâche son stylo avec un claquement sec, croise les bras, et me regarde droit dans les yeux, sans la moindre tendresse.— Ça

  • BAISE-MOI ENCORE 2   Chapitre 12 — Le Poids des Non-Dits

    GrâceJe referme la porte de la cuisine dès que je peux.Je monte, une main crispée sur la rampe, l’autre enfoncée dans la poche de mon pull.Je sens encore son regard sur ma nuque.Même absent, Florent est là.Partout.Mes jambes me portent à peine.Chaque marche est un effort, chaque respiration un mensonge.Mon corps se souvient.Et le pire, c’est que je n’ai aucune envie d’oublier.Mais à l’instant où j’arrive à l’étage, une voix me coupe dans mon élan :— Tu crois que c’est normal qu’il me parle plus trop, le soir ?Je m’arrête net.Noura est là, adossée à l’encadrement de la salle de bain, serviette autour de la tête, pyjama trop grand.Elle me regarde avec ce mélange d’ironie et de vulnérabilité qu’elle seule maîtrise.— Florent ? je demande, en tentant de jouer l’étonnée.Elle hoche la tête.Puis elle entre dans la salle de bain et s’assoit sur le rebord de la baignoire, comme si elle m’invitait à un conseil de guerre.— Il fait tout pareil. Il rentre, il bouffe, il dit deux m

  • BAISE-MOI ENCORE 2   Chapitre 11 — L’invisible au bord des lèvres

    GrâceLe matin me gifle.Pas brutalement.Mais avec cette insistance sourde, lente, inévitable.Le jour est là, et je ne peux plus me cacher. Pas de nuit pour flouter. Pas d’ombre pour fondre.Je reste un moment allongée dans mon lit, les yeux ouverts, fixes.Je n’ai pas dormi. Ou à peine.Un demi-sommeil traversé par des éclats de mémoire. Des fragments.Ses mains.Sa bouche.Son souffle dans ma nuque.Le mur froid contre mon dos.Et mon cœur , traître fidèle , qui bat encore au rythme de cette nuit qu’il aurait voulu prolonger.Je me lève à contrecœur, comme on se relève d’un coup de feu.Tout mon corps est tendu, éveillé, encore imprégné.J’ai la peau sensible, les reins douloureux, les pensées déréglées.Je me sens étrangère à moi-même, mais aussi... plus vivante qu’hier.Je choisis mes vêtements sans réfléchir.Un pull large, un jean qui ne me serre pas.Quelque chose qui efface mes formes, qui me fait oublier que j’ai un corps.Mais j’en suis consciente. Ce camouflage n’est pas

  • BAISE-MOI ENCORE 2   Chapitre 10 — La faille

    FlorentJe referme la porte de ma chambre sans bruit.Mais mon cœur, lui, fait un vacarme impossible à taire.Il cogne. Fort. Trop fort. Comme s’il voulait me rappeler que ce que je viens de faire dépasse la ligne.La ligne que je m’étais juré de ne jamais franchir.Je reste là, immobile, dos contre la porte, la main figée sur la poignée.Je n’ose pas bouger. Comme si l’ombre de Grâce était restée accrochée à mes épaules.Comme si en faisant un pas de plus, je risquais de me briser.Je ferme les yeux.Mais au lieu du vide, c’est elle que je retrouve.Ses lèvres.Ses cils qui tremblent.Le goût de sa peau, subtil, intime, comme une vérité que je n’aurais jamais dû connaître.Grâce.J’ai franchi quelque chose avec elle.Et ce n’était pas juste un baiser.C’était une fracture.Je revois le couloir.Ses pas discrets.Sa robe de nuit à peine visible, flottant autour de ses jambes.Elle avait l’air ailleurs. Absente de son propre corps.Et pourtant, je n’ai jamais senti une présence aussi f

  • BAISE-MOI ENCORE 2   Chapitre 9 — Les Restes du Baiser

    GrâceJe ne sais pas combien de temps je reste là.Le dos contre le mur.Les lèvres encore brûlantes.Le souffle morcelé.Le silence autour de moi est si dense qu’il semble me coller à la peau. Comme une seconde chair.Et dans cette immobilité trouble, tout en moi continue de vibrer.Son souffle.Sa bouche.Ses mains.La façon dont il a murmuré mon prénom comme si ce mot, que j’entends chaque jour, ne m’avait jamais vraiment appartenu jusqu’à ce qu’il le dise.Il est parti, et pourtant il est partout.Je pourrais presque sentir encore la pression de ses doigts sur ma nuque.Je pourrais presque croire qu’il est derrière moi, encore.Mais je suis seule.Et ce vide, là où il se tenait, est pire que tout.Je devrais remonter.Je devrais me laver le visage, boire un verre d’eau, retrouver une forme quelconque de contrôle.Mais mon corps ne répond pas.Il est resté coincé dans cette cuisine, dans cette minute précise où ses lèvres ont rencontré les miennes.Comme si le temps s’était figé, p

  • BAISE-MOI ENCORE 2   Chapitre 8 — Le Couloir des Ombres

    GrâceLa maison dort. Du moins, c'est ce que je pense. Il y a dans ces silences trop propres quelque chose qui m’agace. Une paix factice, endormie sur elle-même, comme une bête qui feint la mort.Noura est dans sa chambre, la porte fermée, aucune lumière sous l'encadrement. Elle dort profondément, ou fait semblant elle aussi.Silvio… j’ai entendu ses pas plus tôt. Lents, mécaniques. Il s’est enfermé dans sa routine comme dans une armure. Dîner à vingt heures. Télé. Brossage de dents. Lecture. Extinction des feux. Rien ne dépasse.Mais moi, je n’y arrive pas.Le sommeil me repousse.Je suis une boîte trop pleine, un vase fêlé qui ne sait plus s’il déborde ou se vide.Alors je descends.Pieds nus, en robe de nuit.Le parquet est tiède sous mes pas.Le couloir, lui, semble m’absorber long, noir, saturé d’ombres épaisses. Les murs respirent lentement autour de moi, comme si la maison s’éveillait à mesure que je m’enfonce dans sa gorge.Je vais vers la cuisine.Pas vraiment pour boire. Pl

More Chapters
Explore and read good novels for free
Free access to a vast number of good novels on GoodNovel app. Download the books you like and read anywhere & anytime.
Read books for free on the app
SCAN CODE TO READ ON APP
DMCA.com Protection Status