LOGINLéo
Je refermai la porte de ma chambre avec une force contenue, un claquement sec qui résonna comme une tentative désespérée de chasser le tumulte incessant qui s’agglutinait en moi. Cette journée plus lourde que toutes celles que j’avais traversées récemment semblait s’être invitée en force, emplie de silences pesants et de regards brûlants, de non-dits plus tranchants que des lames. Et pourtant, malgré cette façade de colère contenue, c’était au fond de moi que les flammes dansaient, furieuses et indomptées.
Elle. Lys. Ce nom résonnait désormais comme un écho obsédant, une énigme que je n’avais pas demandé à déchiffrer mais qui, sournoisement, me dévorait. J’avais toujours cru que rien ni personne ne pourrait me faire vaciller, que j’étais maître de mon propre univers. Mais face à elle, je me découvrais fragile, réduit à un simple être humain, minuscule devant l’immensité de ce mystère.
Je m’appuyai contre le mur froid, ferme les yeux un instant, laissant échapper un soupir profond, comme pour expulser tout ce poids invisible qui m’étreignait. Je voulais faire taire ce vacarme intérieur, ce tourbillon de questions qui n’attendaient qu’une faille pour me submerger. Elle avait laissé ce livre, là, sur la table simple geste, presque anodin et pourtant, c’était comme si elle avait allumé un feu que je ne savais ni contrôler ni éteindre.
Alors, dans ce silence, je me répétai comme un mantra : il faut que je respire. Il faut que je retrouve le sol sous mes pieds. Il faut que je me fasse du bien. Pas à elle. Pas encore.
Un éclair lumineux s’imposa à moi, vibrant sur l’écran de mon téléphone. Un message.Sarah :
« Soirée ce soir ? On fête rien, on boit, on rit. Toi et moi. »Sarah. Depuis des années, elle était cette présence inébranlable. Une amie fidèle, une complicité indéfectible. Elle connaissait mes failles, mes fuites, mes armures de sourires factices. Sarah, c’était mon refuge, l’île où je pouvais déposer mes masques, l’oreille qui n’attendait rien d’autre qu’un mot vrai.
Je tapai sans hésiter.
Moi :
« Ça me ferait du bien. » Le bar était une explosion de sons, de lumières rouges et or, une atmosphère enfumée où le temps semblait s’étirer et se diluer. Je la retrouvai déjà là, accoudée au comptoir, ses rires comme un baume sur mes blessures invisibles. Sans attendre, elle m’attrapa la main, me tira vers elle, et soudain, j’étais redevenu l’homme qui oubliait les questions, la vérité, les démons intérieurs.Elle parlait, riait, ses yeux étincelaient d’une lumière simple et sincère. Je la contemplais, fascinée par cette beauté dépouillée, sans artifices, qui pourtant avait le pouvoir de m’apaiser, ne serait-ce qu’un instant.
— T’as l’air ailleurs, murmura-t-elle, un sourire mi-complice, mi-inquiet.
— J’ai juste… trop de choses en tête.
— Alors arrête un peu, lui répondit-elle avec douceur. Tu ne peux pas toujours porter le monde sur tes épaules. Faut que tu vives, mec. Vraiment.
Son regard me transperçait, me rappelant l’urgence de revenir à la vie, de ne pas me laisser happer par mes propres tourments.
Je lui rendis son sourire, plus sincère qu’il ne l’avait été depuis longtemps. Elle avait raison. Je n’avais pas à m’enfermer dans ce labyrinthe qu’était Lys, pas pour l’instant.
Quelques verres plus tard, nos corps se retrouvaient enlacés, dans une danse où la légèreté et la chaleur corporelle m’offraient un répit inespéré. Sarah se rapprocha, ses doigts effleurant doucement ma joue, déclenchant une décharge électrique qui me rappelait que je pouvais encore choisir la simplicité, l’instantané.— Tu veux qu’on aille ailleurs ? murmura-t-elle à mon oreille, sa voix veloutée et pleine de promesses.
Je hochai la tête, incapable de prononcer le moindre mot. Tout mon être voulait cette pause, cette fuite dans le tangible.
L’appartement était une bulle suspendue, un sanctuaire où le silence n’était plus lourd, mais doux, apaisant. Le regard de Sarah sur moi était un mélange d’attente et de tendresse, un baume sur mes incertitudes, un contrepoint à Lys et ses silences énigmatiques.Je l’embrassai longuement, laissant mes mains tracer des chemins familiers, cherchant dans ce toucher la certitude que j’avais perdue. Pas de promesses, pas d’attentes. Juste l’instant pur, fragile, éphémère.
Pourtant, au plus profond de moi, un frisson me parcourut : ce moment ne comblerait pas le vide qui s’était creusé face à Lys. Mais je m’abandonnai à cette sensation, car c’était ce dont j’avais besoin : me sentir vivant, désiré, libre, ne serait-ce qu’un peu.
Au petit matin, étendu sur le lit, le regard perdu dans les fissures du plafond, le corps de Sarah collé au mien, je me sentais étranger à moi-même. Mon esprit s’échappait loin d’ici, vers des territoires incertains.Je repensai à cette phrase du livre qu’elle m’avait laissé, gravée dans ma mémoire comme un souffle.
« Il me suffit d’un soupir pour m’éloigner de tout ce qui prétend m’atteindre. »
Je laissai échapper un soupir, cette fois chargé d’une mélancolie nouvelle.
Peut-être avais-je fui ce soir-là ce qui prétendait m’atteindre. Mais demain, il me faudrait revenir. Revenir affronter ce piège, ce mystère qui se nommait Lys. Cette fille qui, sans même le savoir, avait déjà commencé à me transformer.
Le soleil s’immisçait doucement à travers la fenêtre entrouverte, caressant les traits endormis de Sarah. Je me levai sans un bruit, enfilai un jean, attrapai mon sac.Avant de partir, mon téléphone vibra une dernière fois. Je pris une profonde inspiration et tapai un message.
Léo :
« Demain. Toujours là. »Je ne savais pas encore ce que cette promesse allait engendrer, ni jusqu’où elle me mènerait. Mais pour la première fois depuis longtemps, je voulais jouer le jeu. Non pour impressionner, ni séduire. Juste pour comprendre.
Et peut-être, pour la première fois, pour me comprendre moi-même.
LéoJe refermai la porte de ma chambre avec une force contenue, un claquement sec qui résonna comme une tentative désespérée de chasser le tumulte incessant qui s’agglutinait en moi. Cette journée plus lourde que toutes celles que j’avais traversées récemment semblait s’être invitée en force, emplie de silences pesants et de regards brûlants, de non-dits plus tranchants que des lames. Et pourtant, malgré cette façade de colère contenue, c’était au fond de moi que les flammes dansaient, furieuses et indomptées.Elle. Lys. Ce nom résonnait désormais comme un écho obsédant, une énigme que je n’avais pas demandé à déchiffrer mais qui, sournoisement, me dévorait. J’avais toujours cru que rien ni personne ne pourrait me faire vaciller, que j’étais maître de mon propre univers. Mais face à elle, je me découvrais fragile, réduit à un simple être humain, minuscule devant l’immensité de ce mystère.Je m’appuyai contre le mur froid, ferme les yeux un instant, laissant échapper un soupir profon
Jules— Mec, t’as vu sa tête ? On dirait qu’il s’est pris un mur.Je décale légèrement mon gobelet, sans lâcher la scène des yeux. Léo, notre Léo, celui qui dribble les silences comme d'autres jonglent avec des mots, est figé. Pas tendu. Pas nerveux. Figé. Comme s’il n’osait plus respirer.Max hoche la tête à côté de moi en sirotant son café, l’air aussi perplexe que moi.— Je te jure, murmure-t-il, j’ai jamais vu Léo comme ça. Il a l’air… paralysé. On dirait un ado en pleine crise existentielle. Tu crois qu’elle lui fait peur ?— Non, je dis. Elle le fascine. Et c’est pire.Là-bas, il est assis en face d’elle. La fille du jeudi matin. La fille du couloir B. Celle qui lit comme si le monde autour n’existait pas. Celle qu’on a tous remarquée, sans jamais réussir à l’approcher. Trop silencieuse. Trop ailleurs. Trop ancrée dans quelque chose qu’on n’arrive pas à nommer.Elle lit. Toujours. Sans lever les yeux. Même quand on la regarde trop longtemps. Même quand on espère qu’elle daigne s
LysIl a dit :— C’est Pessoa qui vous empêche de me voir ou est-ce que je suis simplement invisible ?La voix posée. Grave, modulée avec ce qu’il faut de distance. Pas trop agressive. Pas trop humble non plus. Le genre de phrase qu’il a répétée devant un miroir en ajustant sa montre. Il attend une réaction. Il vit pour ça, je crois. Pour les effets. Pour l’impact. Il veut provoquer quelque chose.Mais je ne bouge pas.Je ne cède rien. Pas tout de suite.Je tourne une page, lentement. Je sens son regard. Il attend. Il guette. Il croit pouvoir m’atteindre avec une réplique. Il ne comprend pas que je suis ailleurs. À des années-lumière des jeux de scène.Enfin, je relève les yeux. Une seconde. Deux.— Invisible, non. Bruyant, plutôt.Et je replonge dans mon livre, comme s’il n’était qu’un courant d’air.Je pourrais sourire, bien sûr. Juste un peu. Par politesse. Par réflexe. Mais non. Je ne veux pas. Pas encore. Ce serait céder trop vite. Ce serait reconnaître le jeu. Or je ne joue jama
LysJe l’ai vu dès qu’il est entré.On les reconnaît vite, ceux qui n’ont jamais douté de leur pouvoir. Ils marchent comme s’ils repoussaient l’air devant eux, comme si le monde leur appartenait depuis l’enfance et que personne n’avait encore eu le courage de leur dire le contraire. Pas besoin de mots. Leurs silences sont pleins de bruit.Je ne les aime pas. Mais je les regarde.Par réflexe. Par lucidité.Le bar sentait le cuir usé, les vapeurs d’alcool rassis et le bois ciré. Une odeur familière. Rassurante. Le genre de lieu où les habitués sont des ombres, et les étrangers des cibles. J’aimais ça. M’asseoir à une table reculée, dans la pénombre, les genoux croisés, un verre de whisky à portée de doigts, Pessoa entre mes mains. J’aimais ce silence volontaire. J’aimais être seule. J’aimais me faire oublier.Mais lui, il ne m’a pas oubliée.Léo. C’est ainsi qu’il s’est présenté à l’autre femme. Celle qui s’était déjà redressée sur sa banquette comme une fleur carnivore flairant sa proi
LéoElle ne m’avait toujours pas vu.Ou peut-être que si.Et c’était bien pire.J’étais debout au milieu du bar, comme un imbécile élégant, les mains dans les poches, à faire semblant d’être absorbé par le décor, alors que tous mes nerfs vibraient dans sa direction. Elle tournait une page de son livre avec la délicatesse d’une promesse. Je devinais ses ongles courts, sans vernis. Ses doigts fins, précis, comme ceux d’une pianiste ou d’une chirurgienne une femme qui ne cherche pas à plaire. Juste à être.Et moi, j’étais là, planté, fasciné comme un gosse devant une vitrine de Noël.Je me suis approché. Pas tout de suite. Un pas, puis un autre, comme si j’explorais le lieu. J’ai pris un verre au comptoir whisky, sec, même si je déteste ça juste pour me donner une contenance. Mes yeux ne la quittaient pas.Elle lisait toujours. Un petit froncement de sourcils apparaissait parfois sur son visage, comme si une phrase venait de la heurter. Puis ses lèvres se détendaient. Elle souriait. P
Léo— Je suis maudit. Maudit par une odeur de Chanel et un soupir d’ennui conjugal.Je l’ai dit tout haut, sans vraiment m’adresser à elle. Juste pour le plaisir d’entendre ma voix flotter entre deux éclats de rire forcé. Le genre de phrase qui fait lever un sourcil ou croiser une jambe.La femme en face de moi ne m’a pas déçu.Elle a souri ce petit sourire carnivore, bien poli, bien appris. Puis elle a replongé ses lèvres glossy autour de sa paille comme si elle suçait le doigt du diable lui-même. Je me suis senti visé. J’ai toujours été un peu possessif avec les pailles.Elle était belle. Spectaculairement. Du genre à se faire offrir des coupes de champagne sans rien demander, à faire tourner les têtes même quand elle fait semblant de chercher son téléphone au fond de son sac. Le brushing avait dû lui coûter la moitié de mon salaire mensuel. Et la robe ? Une œuvre d’art. Rouge incendie. Échancrée avec la précision d’un chirurgien esthétique. Elle avait tout compris.Mais ce qui m’a







