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Corine, fragments d'une obsession
Corine, fragments d'une obsession
Author: Scilla

chapitre 1: Héritage

Author: Scilla
last update Last Updated: 2025-09-22 13:45:25

Prologue — Là où le vent ne dort jamais

Le vent souffle, mais rien ne bouge.

Le saule est là, immobile, comme s’il écoutait.

Sous ses racines, une pierre.

Sur la pierre, une spirale.

Et dans la spirale, une mémoire.

Elle ne sait pas encore qu’elle est là.

Elle ne sait pas encore qu’elle cherche.

Mais déjà, quelque chose l’appelle.

Un carnet oublié.

Un pendentif enfoui.

Une phrase griffonnée :

“Là où le vent ne dort jamais.”

Il fait beau dehors. L’air est frais et le soleil est à son comble ce matin. Je sens le vent qui souffle doucement et caresse mes cheveux châtains, légèrement bouclés, qui retombent sur mes épaules. Par chance, j’ai glissé mon petit veston en coton bleu clair dans mon sac à main à bandoulière — juste au cas où le vent déciderait de soulever le sable sur le sol, en ce jour d’automne. À l’intérieur, mon carnet m’accompagne toujours, prêt à accueillir mes pensées.

Je marche tranquillement sur le bord de la route, en direction du Cégep de St-Jean. Mon allure est généralement calme et paisible, mais aujourd’hui, ma démarche est un peu plus pressée — j’ai toujours cette énergie en moi qui me pousse à avancer. C’est d’ailleurs pour cela que la nature m’apaise autant, quand j’en ressens le besoin.

Je viens d’emménager ici en Montérégie à Saint-Jean-sur-Richelieu, il y a environ deux semaines. J’ai acheté une maison sur la rue Fortin. Mes parents sont décédés dans un accident de voiture il y a déjà deux ans.

À l’époque, je vivais en ville avec des amis. Ma sœur et moi sommes devenues héritières d’un patrimoine familial, grâce à notre père qui œuvrait dans le domaine de l’archéologie depuis plus de trente ans.

Les deux familles — celle de papa et celle de maman — ne se voyaient pas souvent. Elles étaient constamment en chicane depuis des années. Nos parents ont décidé de tout nous déléguer, à part entière.

Stella, ma sœur cadette, âgée de 26 ans, vivait déjà chez son copain Steve depuis trois ans, en ville. Ils ont choisi d’y rester, de moderniser leur maison et d’agrandir leur terrain pour de futurs projets.

Moi, je suis tout le contraire. Je fuis le vacarme des moteurs et la pollution qu’ils traînent avec eux, les cris des enfants à la garderie d’à côté, les alarmes de voitures qui se déclenchent par erreur et projettent des sons assourdissants à travers ma fenêtre le matin… Comme je n’ai pas d’enfants, et que je suis encore célibataire à 28 ans, j’en ai profité pour déménager en toute tranquillité, près de la nature, et poursuivre mes études.

Je porte généralement un pantalon noir bien taillé, accompagné d’un chandail à la fois décontracté et glamour. Mes chaussures de marche me suivent partout, sauf l’été, où je ne quitte jamais mes sandales assorties. Mes lunettes de vue encadrent mon regard, et je porte toujours les boucles d’oreilles de ma mère — un bijou précieux, hérité de mes parents.

La maison que j’ai achetée est loin d’être aussi moderne et splendide que celle de Stella. Évidemment, nos états d’âme sont différents. J’aurais très bien pu choisir une maison tout aussi grande et charmante que celle de ma cadette, mais ce n’était pas dans mes convictions.

La maison que j’ai choisie est accompagnée d’une grande cour et d’un immense saule pleureur à l’arrière. J’adore les arbres. Très pratique pour lire ou faire la sieste lors d’un bel après-midi ensoleillé. Le décor est chaleureux et le voisinage, très calme.

À l’intérieur, on trouve une jolie salle à manger au style un peu champêtre, avec des murs jaune pâle. Une petite fenêtre au-dessus de l’évier donne sur ma cour arrière. Je trouve que cela apporte beaucoup de lumière à la maison et laisse entrer le soleil dans les pièces voisines. Quand je lave la vaisselle, je peux sentir l’odeur du vent qui amène l’arôme des plantes et du gazon. Cette pièce donne aussi accès au salon, et mène au sous-sol par la droite en entrant. Ma chambre se trouve à l’étage, avec une salle de bain et une autre pièce que j’utilise comme espace de détente, quand j’en ressens le besoin. J’aime bien peindre et dessiner pour me changer les idées. La maison a été construite dans les années 1950. Normal que les planchers craquent à certains endroits. Il y aurait quelques rénovations à faire, mais pour le moment, cela me suffit.

Alors voilà. Depuis peu, je suis résidente en Montérégie et j’étudie en enseignement au collège du quartier. J’aime apprendre, approfondir mes connaissances et les partager. Surtout avec les enfants — c’est fascinant de voir à quel point ils comprennent vite et réalisent les choses avec une spontanéité désarmante.

La seule chose qui m’a dérangée en arrivant ici, c’est de devoir faire face à l’inconnu, en quelque sorte.

Je me rappelle avoir ressenti cette angoisse, comme quand on entre dans une nouvelle école, remplie de gens inconnus qui te dévisagent comme si tu étais une créature étrange sur deux pattes. Comme si j’avais une maladie contagieuse et que personne ne devait m’approcher.

Ça me rappelle mon enfance en ville, quand j’ai changé d’école pour la première fois au secondaire. On dirait que toute la population de l’école devient ton propre centre d’attention. Les étudiants semblent déjà te détester, comme si tu venais de commettre la pire gaffe de ta vie. Tout est fait pour te faire sentir minable et seul au monde pendant des semaines. Jusqu’au jour où quelqu’un d’autre devient nouveau à son tour, et que tu te fais des amis, des connaissances.

Heureusement, avec les années, j’ai pu développer une certaine confiance en moi. Mes premières semaines à St-Jean-sur-Richelieu n’ont pas été si pénibles. Je suis juste choquée de constater qu’il y a encore des préjugés dans ce monde — surtout de nos jours.

Me voilà presque arrivée à l’entrée du collège. Il n’y a pas beaucoup d’étudiants dehors ce matin. Le vent semble s’être levé, les feuilles tourbillonnent devant les marches. J’entends la cloche qui sonne. Je me dirige vers mon casier. Il me reste dix minutes pour rejoindre ma classe. Je me demande sur quoi portera le cours d’aujourd’hui… Le premier examen approche à grands pas.

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